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L’évêque, le duc et le roi

Moyen est mentionné comme un lieu fortifié à partir du XIIe s.1. D’après différents documents2, c’était une possession des abbés de Senones. On sait en effet que l’évêque de Metz Jean d’Apremont acquit en 1224 tous les biens qu’ils avaient à Moyen. Les dîmes et le droit de patronage restèrent à l’abbaye, ce qui signifie qu’elle était alors considérée comme à l’origine d’une fondation à cet endroit3. L’évêché de Metz poursuivit cette politique d’acquisitions au détriment des seigneurs et des religieux du pays, si bien qu’il fit de Moyen le chef-lieu d’une châtellenie dont les droits couvraient plusieurs localités4. Au XVe s., l’évêque tenait toute la région.

Vers 1444, Conrad Bayer de Boppart5, évêque de Metz, entreprit la construction d’un puissant château à Moyen. En y faisant travailler des gens d’Épinal, qui lui appartenaient, il suscita le mécontentement des seigneurs des environs mais il traita leurs plaintes par le mépris et appela son château Qui-Qu’en-Grogne. Les évêques, par la suite, ne résidèrent qu’occasionnellement au château6, laissant la place sous le commandement de châtelains qui furent parfois de véritables brigands.

Robert de Lenoncourt tint le siège épiscopal de Metz entre 1551 et 1555. Il fut un fidèle serviteur du roi de France : grâce à son concours, l’évêché de Metz passa sous protection française en avril 1552, comme ceux de Toul et de Verdun7. Cela devait avoir de lourdes conséquences. En particulier, vers 1555, Robert de Lenoncourt obtint de la France une garnison française pour le château de Moyen. Celui-ci constitua dès lors une position française en plein duché de Lorraine.

Lors des guerres de religion qui enflammèrent la France et ses voisins au XVIe s., la région fut traversée à maintes reprises par des hordes de protestants allemands, de Bourguignons et d’Espagnols. Ils causèrent de graves dommages au Qui-Qu’en-Grogne. Rien ne fut pire cependant que le passage des reîtres en 1597. Battus à Thiébauménil, ils pillèrent le pays et mirent le feu au château et au village.

Peu après, la Guerre de Trente Ans (1618-1648) ravageait l’Europe. La Lorraine souffrit énormément des grandes misères de la guerre8. Le château de Moyen fut un des nombreux endroits où se cristallisèrent les ambitions territoriales de la France puisqu’il eut à subir deux sièges. A la mort du duc Henri II, le duché aurait dû revenir à sa fille Nicole, ainsi qu’il l’avait souhaité. Mais elle fut évincée par son mari, Charles de Vaudémont, qui devint duc sous le nom de Charles IV9. Le roi de France Louis XIII contesta cette succession et occupa le duché de Lorraine10. En 1635, Charles IV s’empara du château de Moyen. Le maréchal de La Force, commandant des troupes françaises, vint assiéger la place, qui se rendit au bout de cinq jours parce qu’elle manquait d’eau. Le château fut toutefois repris par les Lorrains un an plus tard.

Les Français n’en restèrent pas là. Le 1er août 1639, du Hallier11, gouverneur du duché de Lorraine pour la France, mit le siège devant le château. Il commandait des troupes importantes - 4 000 hommes, augmentés de régiments de cavalerie venus en renfort - alors que les assiégés n’étaient qu’une centaine. Malgré ce rapport de forces inégal, le siège dura cinq semaines car les Lorrains se défendirent avec audace. Leur situation devint intenable lorsque les assaillants parvinrent à ouvrir deux brèches dans la muraille : c’est ce que représente une gravure de François Collignon, sur laquelle il faut bien reconnaître qu’on replace difficilement les ruines actuelles12. Les Français accordèrent aux Lorrains une capitulation honorable et le siège prit fin le 15 septembre. On nomma un gouverneur mais Richelieu ne tarda pas à démanteler la forteresse.


  • 1. Moyen est en Meurthe-et-Moselle, non loin de Baccarat. Le village est le cours de la Mortagne, un affluent de la Meurthe. On peut penser raisonnablement que l'endroit était déjà fortifié, peut-être dès l’époque romaine, comme le laisserait supposer le nom latin de Castrum Medium : l’endroit semble en effet situé sur une voie antique entre Deneuvre et la vallée de la Mortagne.
  • 2. Un diplôme de l’empereur Henri V daté de 1111, une bulle du pape Calixte II de 1123 et une charte de l’évêque de Metz Étienne de Bar en 1124.
  • 3. En droit canon, le droit de patronage appartient à celui qui a fondé une église : il peut disposer des ses revenus (dîmes) et présenter un ecclésiastique au bénéfice vacant. Ce droit se transmettait aux héritiers. Lorsqu’au XVIIIe siècle Dom Calmet attribuait Moyen à l’abbaye de Senones, cela n’était plus exact mais se référait sans doute à une époque ancienne.
  • 4. On mentionne Vathiménil, Chenevières, Saint-Clément, Laronxe et le prieuré de Meraville, qui sont tous dans la proche vallée de la Meurthe.
  • 5. Conrad Bayer de Boppart, évêque de Metz de 1415 à 1459, fut appelé à juste titre le « réparateur de l'évêché de Metz ». Il entreprit en effet de racheter les terres de l'évêché que ses prédécesseurs avaient engagées ; il mit fin aux exactions de certains nobles et bandits de grands chemins et réforma les abus dans les abbayes de Metz.
  • 6. L’évêque Georges de Bade mourut ainsi au château de Moyen le 11 octobre 1484.
  • 7. Ce sont les Trois-Évêchés. Metz fut assiégée en vain par Charles Quint en 1552. Une statue commémore sa défaite dans le parc du château de Courcelles à Montigny-lès-Metz (Voir notre article concernant ce château sur archeographe).
  • 8. Sous le titre Les Grandes misères de la guerre, le graveur lorrain Jacques Callot réunit des eaux-fortes qui en témoignent avec force.
  • 9. Un tour de passe-passe machiavélique ! Charles de Vaudémont s’appuya sur un testament du duc René II que l’on retrouva fort opportunément : le document affirmait que la succession ne pouvait se faire que par les héritiers masculins. Charles incita son père, François de Vaudémont, à revendiquer le duché puisqu’il était le frère cadet de Henri II. François devint donc duc de Lorraine et de Bar en 1624, mais il abdiqua un an plus tard en faveur de son fils, qui put ainsi lui succéder avec une apparence de légitimité.
  • 10. Charles IV fut contraint d’abdiquer en 1634 en faveur de son frère Nicolas-François. Mais bien que celui-ci eût l’agrément de Louis XIII et de Richelieu, les troupes françaises restèrent dans le duché. A l’exception de courtes périodes, les ducs de Lorraine ne devaient plus résider sur leurs territoires jusqu’en 1697 : par le traité de Ryswick, Louis XIV rendit alors au duc Léopold son duché qui, par ailleurs, était désormais entouré de possessions françaises : les Trois-Évêchés, l'Alsace et la Franche-Comté.
  • 11. François de l’Hôpital, Seigneur du Hallier (1553-1660), d’abord destiné à l’Église, entra au service de l’armée en 1611. Il fut un fidèle serviteur des rois de France Louis XIII et Louis XIV et s’illustra par de nombreuses actions militaires dans la guerre contre les Huguenots et la Guerre de Trente Ans. Il fut promu Maréchal en 1643.
  • 12. Le château de Moyen apparaît encore, gravé en perspective et en plan par Cochin, dans le recueil de Sébastien Pontault de Beaulieu intitulé Les glorieuses conquêtes de Louis le Grand, dédié de façon posthume à Louis XIV en 1694.

Référence à citer

Marc Heilig, Le Qui-Qu’en-Grogne. Une place forte convoitée, archeographe, 2015. http://archeographe.net/qui-qu-en-grogne