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III-Les banlieues

Sous Guillaume II, l’essor architectural touche toute l’agglomération messine. Il apparaît partout dans les banlieues, notamment à Montigny, au Sablon et à Queuleu, qui voient s'élever des édifices nécessaires à leur développement : des écoles ou le château d'eau de Queuleu, par exemple, mais aussi des églises et des temples protestants. Ceux-ci devaient répondre à l'accroissement considérable de la communauté luthérienne depuis l'annexion et accueillir les militaires et les civils. Ces localités disposaient par ailleurs de terrains où, mieux que dans la Neue Stadt, on pouvait construire des quartiers d'habitations plus ou moins luxueux.

Deux des plus belles écoles parmi celles qui furent créées alors se trouvent à Montigny : l'école Pougin, et surtout l'École Normale1, qui répond au projet de 1906 de doter Metz d’une école d'instituteurs. L’édifice, construit en 1910 et l'année suivante, est un vaste bâtiment conçu de façon rationnelle et moderne, avec salles de classe, gymnase, bibliothèque, dortoirs etc. Le corps central se déploie, côté rue de Reims, au fond d'un large espace découvert qui comprend une cour de récréation, une aire d'exercices en plein air et un jardin botanique pédagogique. Latéralement, rue de la Victoire, l'école présente une façade plus travaillée, à l'ordonnance néo-classique. L'entrée est mise en valeur par un porche à colonnade couronné d'une balustrade ; la porte, encadrée de deux fenêtres ovales, s'ouvre au delà du rideau de quatre colonnes à chapiteau ionique. Le tout est surmonté d'un fronton orné des armoiries de Lorraine et du lanternon de l'horloge.

A Montigny, l’architecte Ludwig Becker entreprend les travaux de la nouvelle église Saint-Joseph en 1903 ; l’inauguration a lieu en 1906. Construite en pierre de Jaumont, c'est un bel édifice de style néo-roman rhénan. Sa façade comprend trois niveaux : de bas en haut, les trois portails, des arcades aveugles et des arcatures à bandes lombardes. Elle est dominée par un haut clocher central encadré par deux clochetons. La croisée du transept est fortement soulignée par une tour octogonale ornée d’une galerie à colonnettes. Le chevet, allégé par deux tourelles de part et d’autre de l’abside, rappelle la cathédrale de Spire. Le décor sculpté, assez sobre, souligne les baies et les divisions de l’architecture.

La construction de l’église de l’Immaculée-Conception à Queuleu débuta en 1913 mais fut interrompue par la guerre. L'originalité du projet de l’architecte Joseph Muller tient à la situation du clocher, qu'il insère entre le chœur et la branche méridionale du transept.

L’église Saint-Fiacre, au Sablon, connut un sort semblable. On avait voulu une église plus grande que l'ancienne car la population de ce quartier s’était fortement accrue au cours de la première décennie du XXe siècle. Le projet fut confié à l’architecte de Cologne Hermann Neuhaus et prévoyait un édifice néo-gothique en pierre de Jaumont. Les travaux débutèrent en 1914 mais durent s'arrêter lors de l'entrée en guerre.

A la jonction de la rue de Pont-à-Mousson, de la rue des Loges et de la rue Mangin, le Temple protestant de Montigny dresse la haute flèche de son clocher. Le projet, qui fut confié à l'architecte Reb, date de 1886, mais il ne put débuter qu'en 1892 faute d'avoir pu réunir les fonds nécessaires. L'inauguration se fit en 1894. L'architecte a réalisé un édifice harmonieux, de style néo-gothique, en pierre de Jaumont. Le clocher, placé au centre de la façade comme à l'église Saint-Joseph, donne à l'ensemble un élan remarquable car sa flèche culmine à une cinquantaine de mètres.

Le Temple protestant de Queuleu est l'œuvre de l’architecte Ludwig Levy. L’édifice fut inauguré en 1904. Comme le Temple Neuf, il adopte le style néo-roman. Sa construction associe le grès rose et la pierre de Jaumont, ce qui permet de jouer du contraste entre la couleur des pierres et leur traitement, lissé pour le grès mais à bossages pour le calcaire. L'entrée, au tympan sculpté de l'image du Christ, est surmontée par trois baies en plein cintre. Le vaisseau est rythmé par les baies en plein cintre de la nef et par les rosaces des bras du transept dont la croisée supporte une coupole. Le clocher se dresse sur le côté gauche de la nef.

L'habitat, enfin, s'étendit considérablement dans les banlieues. Les Prinz-Friedrich-Karl Kaserne et l’État-major faisaient la transition entre la Neue Stadt et une zone résidentielle qui s’étend jusqu’au quartier de la Vacquinière de Montigny et au delà. On y construisit de belles résidences, notamment rue de Pont-à-Mousson et rue des Roses. Cet habitat aisé occupe aussi la colline de Queuleu. Dans les deux cas, il semble qu'on ait cherché à profiter des pentes qui descendent vers la Moselle et la Seille.

Ailleurs, au Sablon par exemple, les immeubles construits à cette époque devaient loger des populations plus modestes. En effet, la question de l’habitat social intéressa les architectes et les urbanistes dès la fin du XVIIIe s. Ils y répondirent de diverses façons durant le XIXe s. en prenant en considération les théories hygiénistes : air, lumière, salubrité sont des thèmes qui reviennent souvent. Il n’est donc pas surprenant que l’essor de la ville de Metz sous Guillaume II comprenne plusieurs ensembles destinés à loger les ouvriers et les employés auxquels de faibles revenus interdisaient l’accès à des quartiers aisés ou luxueux2. Construits sur des terrains inoccupés, ces logements à loyer modéré ne sont pourtant pas rejetés à l’extérieur de l’agglomération, mais bénéficient au contraire de la proximité de la ville et de ses avantages. Plusieurs de ces ensembles sont encore visibles aujourd’hui, et l’actualité vient même de les mettre en exergue de façon spectaculaire3. Ils se répartissent dans les banlieues messines et prennent différentes formes, de l’immeuble collectif à la cité-jardin :
- au Sablon, maisons avec jardin de la Colonie Hamiel, construites par les architectes Arndt et Kutzner en 1904 ;
- à Devant-les-Ponts, villas avec jardin construites en 1908 rue Daga par l'architecte Heinrich Haiïschen.
- à Queuleu, logements de l’administration municipale, rue Devilly et place Arsène Vigeant, construits par Conrad Wahn en 1906 .

Rue des Frères Lacretelle, la Colonie du Chemin de fer est construite sur d’anciens terrains militaires par la Compagnie des chemins de fer pour y loger ses ouvriers et ses employés. Le projet est confié aux architectes Zirckler et Stoeckicht, qui réalisent en 1905 un ensemble de huit bâtiments le long d’une rue, avec jardins à l’arrière. Au dessus d’un soubassement en pierre de Jaumont, la construction utilise la brique et l'armature métallique. L’esthétique extérieure repose sur le contraste du rouge de la brique sur la teinte claire de l’enduit. La monotonie de l’alignement est heureusement rompue pas des oriels d’angle couronnés d’un bulbe néo-Renaissance.

En 1901 est fondée la Baugenossenschaft von Beamten von Metz und Umgegend, ou Société d’Habitat des Employés de Metz et Environs (SHEME) : il s’agit d’une société immobilière coopérative (...) dont les sociétaires versent des parts sociales afin de pouvoir jouir d'un logement dans leur collectivité4 . Les logements qu'elle proposait disposaient tous d'excellentes commodités de confort et d'hygiène ; ils étaient réservés à des employés, fonctionnaires ou assimilés. La SHEME existe toujours : elle gère aujourd’hui encore, et selon les mêmes principes, trois ensembles de logements sociaux. L’un, la Hohenlohehaus, rue de Queuleu, a été construit en 1905 par l’architecte Richard Fleischer. Les deux autres sont au Sablon.
- La Colonie Richter5, est située rue Saint-Pierre, rue Auguste Prost et rue d’Hannoncelles. La SHEME fit intervenir deux architectes messins, Joseph Runcio et son associé Henri Schömer. Leur projet, qui comprenait deux groupes d'immeubles autour de jardins collectifs, fut réalisé en 1905. L'esthétique des bâtiments, très soignée, suivait l'éclectisme en faveur chez les architectes de l'époque, et particulièrement Runcio. Les façades du premier groupe, rue Saint-Pierre, mêlent les réminiscences du gothique, de la Renaissance d'Allemagne du sud et du baroque. A l'angle des rues Saint-Pierre et Gardeur-Lebrun, la superbe Zwiebelturm est couronnée d'un bulbe dont le remplacement a suscité dernièrement l'intérêt des Messins6. Coté jardin, les balcons sont garnis de belles ferronneries Jugendstil. Le second groupe, rue d’Hannoncelles, adoptait un style néo-renaissance plus sobre et plus classique.
- Rue Gardeur-Lebrun, la Neue Kolonie, fut réalisée en 1909 au sud de la Colonie Richter. L’architecte gouvernemental Karl Elkart et l’ingénieur Karl Harrer en avaient dressé les plans, qui furent revus par Richard Fleischer. La disposition est ici différente puisqu'il s'agit de maisons accolées de part et d'autre d'une rue mais, comme ailleurs, les architectes ont accordé toute leur attention à la modernité des logements et à la beauté des façades.


  • 1. Lehrerseminar, actuelle École supérieure du professorat et de l’éducation.
  • 2. Cf. C. PIGNON-FELLER, L’Habitat collectif et social à Metz au début du XXe s., Mémoires de l’Académie de Metz, 2004.
  • 3. Voir ci-dessous.
  • 4. Cf. C. PIGNON-FELLER, L’Habitat collectif et social à Metz au début du XXe s., p. 147.
  • 5. Le nom vient du Dr Richter, qui facilita l’accès au prêt pour l’achat du terrain.
  • 6. Cf. Un chantier architectural aux petits oignons, Le Républicain Lorrain du 9-10-2015. Je tiens à remercier la SHEME pour les photos de cette opération ; certaines sont spectaculaires.