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L'après-guerre

La Première Guerre mondiale arrêta brusquement l'essor architectural et urbanistique de Metz. Des bâtiments en cours de réalisation furent interrompus, comme les églises de Queuleu et du Sablon. Ils seront repris après la guerre, mais par d'autres architectes, français cette fois, et à moindre coût. Dans la Nouvelle Ville, le projet d'une grande église en bordure de la Kayserplatz fut abandonné. Après le retour de la ville à la France, on érigea à cet endroit un îlot d'immeubles de grand standing, dans le style Beaux-Arts, d'influence plus française. Cet ensemble, en face de l'Ancienne Gare, montre que Metz reprit son développement après la guerre, mais avec d'autres intervenants et une esthétique différente. Celle qui avait prévalu durant l'Annexion semblait trop empreinte de germanisme.

Les Messins cherchèrent d'ailleurs, on l'a vu, à effacer les marques du pouvoir allemand. Les statues de Guillaume Ier, de Frédéric II et du Prince Frédéric-Charles furent renversées.  Sur le portail de la cathédrale, un sculpteur « rasa » habilement les moustaches de Guillaume II. On démonta les aigles impériales de l'Ancienne Gare. A la gare, le vitrail avec l'aigle prussienne fut retiré et la statue monumentale du comte von  Haeseler1, sur la tour, fut remplacée par le chevalier actuel qui porte sur son bouclier les armoiries de Metz. Dans ce domaine, on peut ajouter qu'à l'exception de Paul Tornow, aucun architecte ni sculpteur de cette période n'eut de rue à son nom dans la ville, pas même Conrad Wahn ou Auguste Dujardin.

Symboliquement, c’est une statue du Poilu libérateur qui prit la place de celle de Guillaume Ier sur l'Esplanade. Le sculpteur Henri Bouchard (1875-1960), Grand Prix de Rome en 1901, jouissait déjà d'une bonne renommée ; il était sous les drapeaux à la fin de la guerre et travaillait dans les tout nouveaux services du « camouflage ». Il participa le 19 novembre 1918 à l’entrée des Poilus à Metz sous le commandement du Maréchal Pétain. En janvier 1919, Bouchard confectionna pour les fêtes de la délivrance de la ville une effigie du Poilu libérateur. Dans une lettre à son ami le Général Edmond de Cointet, le sculpteur la présente ainsi : une « esquisse de 4 m représentant un soldat français chassant du pied un casque boche »2. Cette maquette était faite d'éléments disparates, essentiellement ders bandes de serpillère trempées dans du plâtre liquide et appliquées sur une armature métallique ; elle était teintée pour donner l'aspect du bronze. Bouchard l'installa à l’emplacement de la statue équestre de Guillaume Ier dont elle utilisait le socle. Pétain avait voulu cet endroit car il devait y remettre des décorations lors des festivités. Le projet avait été tenu secret. Ce Poilu ravit les Messins francophiles et fut immortalisé par des cartes postales. Il ne pouvait pourtant qu'être éphémère et devait succomber aux assauts des intempéries. Il fut de plus irrémédiablement endommagé par un individu qui le prit pour cible avec une arme à feu le 14 mars 1920. Néanmoins, le projet d'une statue de Poilu en bronze était déjà dans les esprits. Or le maire, contre toute attente, évinça Bouchard au profit du sculpteur messin Emmanuel Hannaux, qui avait refusé la nationalité allemande et s'était établi à Nancy. Bouchard en éprouva de l'amertume car il appréciait les Mosellans libérés et s'était beaucoup investi dans la réalisation de son monument provisoire.
L'oeuvre d'Emmanuel Hannaux (1855-1934) apparaît sur une carte postale qui présente, en deux vues côte à côte, la statue de Guillaume et son Poilu libérateur. Celui-ci fut inauguré le 5 juin 1922 par Raymond Poincaré, en présence des maréchaux Joffre et Foch ; il se dressait sur un socle au pied duquel s’élance une allégorie de la France victorieuse, les bras levés et le corps drapé par le vent3.

Longtemps, la Nouvelle Ville fut un quartier mal-aimé des Messins, jusqu'à ce qu'on nettoie la gare et qu'on lui rende son prestige. On se rendit compte alors de la richesse de ce patrimoine, si bien que la ville cherche aujourd'hui à entrer dans le classement de l’UNESCO. Elle le fait en acceptant son passé car sa proposition d'inscription au patrimoine mondial est rédigée sous le titre de Metz Royale et Impériale, enjeux de pouvoir, confrontations stylistiques et identité urbaine4. C’est reconnaître le cours souverain de l’Histoire, quelque douloureuse qu’elle puisse être parfois.



  • 1. Elle avait servi de symbole à la propagande impériale pendant la guerre.
  • 2. Cf. Marie BOUCHARD, Bouchard et le camouflage pendant la guerre de 1914-1918, Bulletin de l'Association des amis d'Henri Bouchard, n° 41, 1991.
  • 3. Les deux figures en bronze de ce monument furent fondues par les Allemands en 1940. Après la Seconde guerre mondiale, le Souvenir Français sollicita de nouveau Henri Bouchard. Celui-ci réalisa l’actuel Poilu libérateur, qui fut inauguré le 4 mars 1956 par le Maréchal Juin : ce nouveau Poilu se campe avec puissance à l’extrémité de l’Esplanade et, dominant la vallée de la Moselle, regarde fièrement vers le mont St-QuentinCf. au sujet de ce monument emblématique de Metz le très intéressant article de Jean-Claude JACOBY dont la référence est donné dans la bibliographie.
  • 4. Cf. http://whc.unesco.org/en/tentativelists/5882/