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Une démonstration de propagande

L'utopie de Guillaume II devait renouer avec le passé « germanique » de Metz. En laissant de côté son essor à l’époque romaine, et plus encore celui qu'elle connut dans le giron de la France1, l’Empereur entendait mettre l’accent sur le rôle important de la ville depuis l’époque mérovingienne jusqu'à son statut de ville libre au sein du Saint-Empire. Guillaume II savait qu’il lui faudrait lutter contre la mentalité messine, entièrement tournée vers la France. Aussi, dans toute la ville, de nombreuses allégories visaient-elles à magnifier le retour dans l’empire. A la gare, édifice emblématique s’il en est, elles font l’ornement d’endroits bien précis, comme les appartements réservés à l'Empereur. Sous les deux fenêtres latérales du salon impérial sont évoqués les combats victorieux des Germains contre les Romains2 et les Huns ; le tympan, au dessus du balcon, magnifie l’union de la Guerre et de l’Industrie sous l'aspect d'un chevalier avec son épée et d'une femme avec un rouet de part et d'autre de l’aigle impériale. Symbole par excellence du pouvoir politique du Reich, ces armes prussiennes apparaissaient en plusieurs emplacements bien en vue de la gare, notamment au sommet de la façade des départs et sur le bouclier de la statue de la tour, mais aussi au fronton du balcon impérial et à l'entrée des appartements de l'Empereur sur le Quai 1.

Le chevalier de la tour, à l’origine, devait être un saint Georges terrassant le Dragon : c’était l’image du « Roland », la distinction que Guillaume II accordait à certaines villes en signe de sa protection. Mais, pour des raisons de convenance propres à Metz, on préféra le remplacer par un chevalier : le « Roland » que l’empereur décernait à Metz prit les traits, sur décision du souverain lui-même, du Feldmarschall von Haeseler3. Le sculpteur Anders lui donna une posture martiale, tenant son épée haut levée contre la France. En 1908, von Haeseler, qui pourtant avait toujours refusé d’être statufié, se déclara satisfait de son effigie à la gare. Son image servit à la propagande prussienne durant la Grande Guerre.

Dès 1918, au retour de Metz à la France, les Messins s'efforcèrent d'effacer l'empreinte de la domination prussienne dans toute la ville. A commencer par les aigles impériales : à la gare, cet emblème héraldique de l’empire fut remplacé par des symboles messins ou lorrains : croix de Lorraine, puis armes de Metz sur le bouclier de la statue de la tour, par exemple. De même, les soldats allemands qui figuraient dans les entrelacs de la grande voussure furent en quelque sorte « francisés » : leur casque à pointe devint un simple képi, leur fusil un bâton.
On coupa le chef de von Haeseler pour lui substituer celui d’un chevalier. En 1940, lorsque Metz fut à nouveau occupée par l’Allemagne, les nouvelles autorités voulurent rendre sa tête au Feldmarschall, mais le travail ne fut exécuté qu’en 1942. Deux ans plus tard, la ville était libérée : von Haeseler perdit alors définitivement sa tête au profit de celle que nous connaissons aujourd’hui.

Il semble toutefois qu’on n’ait éliminé en 1918 que les marques les plus manifestes du pouvoir prussien. Personne ne toucha aux représentations féminines de l’Alsace et de la Lorraine, les deux provinces annexées, sur la façade de l’entrée. Hormis les aigles impériales, rien ne fut modifié aux appartements impériaux, ni les bas-reliefs des fenêtres latérales, qui sont parmi les plus réussis du décor de la gare, ni celui du fronton de la façade. Les lions des portails d'entrée, sur la place et sur le quai, restèrent placidement en place. Les têtes de chevaliers teutoniques des frises du toit et de chefs germains au portail principal ne furent en rien modifiées. Peut-être ces allégories étaient-elles trop subtiles pour être véritablement dérangeantes. Les chefs germains pouvaient passer pour des gaulois, les chevaliers teutoniques pour des français, le lion ne représenter que le roi des animaux... Et n’était-il pas naturel de trouver sur un édifice messin les représentations des deux régions du nord-est de la France ?


  • 1. Guillaume II fut assez ennuyé par la découverte de l’amphithéâtre romain, à l’emplacement de la gare de marchandises. Cet édifice, l’un des plus vastes de la Gaule, témoignait de l’importance de la ville à l’époque romaine. Il était plutôt bien conservé mais, au lieu d’en entreprendre les fouilles, l’empereur le fit remblayer. Quel dommage qu'on ne l'ait pas dégagé lors de la récente restructuration de ce quartier ! Cf. SCHONTZ, op. cit., p. 72 sq.
  • 2. En IX ap. J.-C., le chef chérusque Arminius défit les légions romaines de Varus dans la forêt de Teutobourg. On doit l'interprétation de ces deux bas-reliefs à Thomas von JOEST, La gare et la poste à Metz, Mémoire de Maîtrise, Strasbourg 1979, cité par SCHONTZ, op. cit., p. 97, note 1.
  • 3. Gottlieb von Haeseler (1836-1919) avait derrière lui une brillante carrière d'officier supérieur. General der Kavallerie en 1890, il avait commandé le XVIe Corps d’Armée, nouvellement créé à Metz. Il quitta le service actif en 1903 en tant que Generaloberst. Très apprécié des troupes pour ses qualités morales et militaires, il avait pris sa retraite à Plappeville, dans le Val de Moselle.

Référence à citer

Marc Heilig, La sculpture ornementale de la gare de Metz, archeographe, 2018. http://archeographe.net/sculpture_ornementale_gare_Metz