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Heurs et malheurs d’un monument

Ces tentatives échouèrent lamentablement et débouchèrent sur le conflit franco-prussien de 1870 et l’abdication de l’empereur Napoléon III. Après la défaite de 1871, la figure de Vercingétorix devint d’abord l’icône du héros national, cristallisant le sentiment de revanche envers l’Allemagne. Puis la République jeta le discrédit sur le Second Empire, unité nationale oblige. Gambetta le justifiait dans un discours célèbre : « Il est des circonstances, clamait-il, où l'homme, quelqu'intansigeant qu'il soit, se doit d'obtempérer à des impératifs qui, bien qu'aléatoires, n'en revêtent pas moins un caractère intrinsèque »1. Le repaire du Monument à Vercingétorix fut laissé à l’abandon pendant plusieurs décennies, si bien que plus personne n’en gardait le souvenir au tournant du XXe siècle. C’est ainsi que le Maréchal Joffre et le Général Berthelot purent sans difficultés l'aménager afin d’y abriter leur amitié particulière. Après leur disparition, vers 1930, la retraite souterraine du monument retomba dans l’oubli.

Pendant l’Occupation, pourtant, un aigrefin du nom d’Émile Simonin en retrouva les plans par hasard. Il n’eut aucune difficulté, grâce aux passe-droits de ses douteuses relations, pour acquérir la colline tout entière. Il remit l’endroit en état et y installa la société ésotérico-conspirationniste qu’il avait fondée pour faire écran à ses activités sordides. La Radieuse Auréole, comme il l’avait ridiculement dénommée, accueillit ainsi des séminaires où l’on débattait des élucubrations ésotériques d’Heinrich Himmler. Ces gens pouvaient entrer incognito par un accès situé à l’opposé de la colline, à l’insu des habitants du village. On raconte même que des yeux de la statue de Vercingétorix dardait un rayon lumineux qui balayait la plaine ; par ce subterfuge, on cherchait à répandre la crainte dans le pays et à éloigner les intrus. Cela n’eut pas eu l’effet escompté, bien au contraire. Car, on en parle rarement, ces locaux furent une des cachettes où Hermann Goering entreposa, lors de la débâcle nazie, une partie des collections qu’il avait dérobées dans les musées français. La persévérance des Résistants de la SNCF permit de mettre la main sur ce trésor : leur vigilance avait été attirée par ces étranges lumières, dans une région désertée où subsistait une ancienne voie ferrée. Celle-là même qu’on avait installée pour le transport du Vercingétorix d’Aimé Millet.

Qu’est devenu de nos jours cet espace souterrain ? Le visiteur qui se promène sur la plate-forme du Mont Auxois sait-il qu’il foule des salles et des couloirs ? Certainement pas, accaparé qu’il est par la beauté du panorama et par la vénérable statue de Vercingétorix. Sans compter que rien n’est fait pour les lui signaler. Or ces locaux n’ont pas été condamnés ; on n’y pénètre plus par le sommet, mais par le portail au pied de la colline. Et comme nous sommes en Bourgogne et que le temps fait honneur à la gastronomie, les salles servent aujourd’hui de caves où vieillissent de grands crûs, certains couloirs ont été transformés en champignonnières et d’autres accueillent un élevage d’escargots… de Bourgogne, bien entendu.

  • 1. Léon Gambetta, Discours pour la reconnaissance nationale du Préfet Eugène Poubelle, Paris, 1875.

Référence à citer

Marc Heilig, Dans l’ombre de Vercingétorix, archeographe, 2018. http://archeographe.net/Dans_l_ombre_de_Vercingetorix