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Églises des villages et des villes

C’est une chose bien connue désormais que le continent américain fut visité par les Vikings et leurs descendants bien avant la venue de Christophe Colomb. Navigateurs audacieux, ils ont abordé sur les côtes atlantiques du Canada et, loin de se limiter à la frange côtière, ont rapidement essaimé dans les terres en remontant les rivières et les lacs. Ces gens étaient déjà christianisés depuis longtemps et ont implanté la religion chrétienne avec succès auprès des populations autochtones, notamment dans l’actuel État canadien du Manitoba. Ils y ont introduit l’architecture et la sculpture qu’ils avaient adoptées en s’installant en Normandie et en Europe occidentale. L’art roman ouvrait ainsi dans ces contrées une page méconnue de son histoire. Comme sur le vieux continent à la même époque, cela concerne essentiellement des églises paroissiales. Les fondations d’abbayes furent également nombreuses car les moines trouvaient dans ces étendues sauvages la solitude qu’ils recherchaient.


Le profil des villages du Manitoba est souvent souligné par d’anciens clochers qui remontent à ces temps reculés, particulièrement dans la région des lacs Winnipeg et Manitoba où ils sont les derniers vestiges d’églises construites aux XIe et XIIe s. Ces clochers se ressemblent beaucoup. L'un des plus beaux, celui de Ste-Rose-du-Lac, est aussi l'un des plus caractéristiques. Aussi peut-il nous servir d'exemple.

Consacrée sous le vocable de St-Alban, l’église romane de Ste-Rose-du-Lac fut édifiée sur une légère éminence. Cette situation avait un rôle défensif car les villages, moins protégés que les villes et moins respectés que les abbayes, représentaient des proies faciles1. Les églises étaient aménagées dans ce but car elles étaient l’édifice le plus robuste de ces bourgades. Comme ici, il était souvent entouré d’un cimetière protégé par des murs solides. De l’église romane de Ste-Rose-du-Lac il ne reste que son puissant clocher. Il offre la même apparence dissuasive que tous les clochers de villages canadiens de cette époque. Puisqu'ils devaient aussi servir de tour de guet et de refuge en cas d’attaque, ils prennent un aspect redoutable. Cela se traduit parfaitement dans l’architecture : ce sont des constructions massives et résistantes, de plan carré, qui sont composées d’étages superposés, chacun en retrait sur le précédent afin d’assurer une assise inébranlable. L’appareil, en parpaings bien équarris, renforce encore l’impression de forteresse. Les ouvertures y sont rares et se limitent à des meurtrières ou aux baies géminées du local des cloches. Chaque niveau est renforcé horizontalement de corniches et d’arcatures lombardes, qui sont souvent rythmées verticalement par des lésènes. La toiture était en bâtière, bien qu’on ne puisse en être entièrement assuré car les parties hautes ont souvent été transformées (Oak Lake, Rapid City).

Cette architecture défensive n’est pourtant pas sans esthétique. Les arcatures, lésènes et corniches structurent agréablement l’ensemble et en atténuent la lourdeur (Baldur, Pine Falls). Ces éléments architecturaux sont parfois particulièrement soignés et agrémentés de motifs ornementaux qui suivent les corniches : damiers, dents de scie… Ici ou là, des figures en bas-relief sont insérées dans le mur ou ornent les retombées des arcatures lombardes ; peut-être avaient-elles une signification qui nous échappe aujourd’hui.

Bien qu’il n’en subsiste souvent que le clocher, ces édifices romans étaient néanmoins des églises complètes, qui ont parfois succédé à un édifice plus ancien. Elles comprenaient une nef, avec ou sans bas-côtés, un transept et un chœur en abside.



  • 1. Les risques étaient grands car les tribus indigènes entretenaient d’anciennes rivalités qui retardèrent les effets bénéfiques de la pacification du pays.