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Des archéologues dans les forêts d'Ile de France

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Depuis quatre ans, à l'ONF Ile de France, une mission prototype composée de trois jeunes archéologues se consacre à l'étude des vestiges en forêt. L'archéologie  en  forêt aurait-elle  trouvé  ses  lettres  de  noblesse ?

Recrutés en janvier 1999 pour une durée de 5 ans et rattachés à la Direction Régionale de l'ONF, Cécile Dardignac, Guillaume Benaily et Thomas Vigneau ont pour mission d'inventorier, de sauvegarder et de mettre en valeur les sites archéologiques localisés dans les forêts d'Ile-de-France. 

Installés dans leur bureau de Fontainebleau, ils racontent la découverte du site de la Tour de Ganne. Dans les années 70 et 80, les vestiges d'une cave et la base d'une tour circulaire ont été mis au jour par des associations d'archéologie dans la forêt domaniale de Sénart (Essonne). En 1999, suite à une prospection sur le terrain, la Mission Archéologie a observé de nombreuses structures, en particulier des fossés et des levées de terre. Des relevés ont mis en évidence une enceinte quadrangulaire d'environ 60 m de côté. Il s'agit d'un habitat fortifié du Moyen Age, probablement un pavillon de chasse, attesté dans les textes dès le XIVe siècle. Il devait comprendre au moins un bâtiment résidentiel, une tour circulaire et des communs.
L'inventaire du patrimoine archéologique de la forêt domaniale de Sénart est un exemple de la richesse des traces retrouvées. Une quarantaine de sites y ont été recensés, couvrant une période qui va du deuxième Âge de Fer à l'époque contemporaine. L'époque gallo-romaine est particulièrement bien représentée, ce qui laisse supposer qu'à cette époque la forêt n'occupait pas le même espace qu'actuellement.

Inventorier le patrimoine de la forêt constitue sans aucun doute l'activité principale de la mission. Dans ce but, elle rassemble les données existantes collectées par le Service Régional de l'Archéologie et les Services Départementaux d'Archéologie d'Ile de France, ainsi que les informations fournies par les forestiers et les associations d'archéologie. L'équipe se charge alors de vérifier ces indices disséminés par des campagnes de prospection. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, c'est en hiver que les archéologues se rendent le plus facilement sur le terrain. Bien que le soleil ne soit pas toujours au rendez-vous, on peux mieux observer les indices historiques lorsque la végétation est peu développée.

Une fois les traces du passé remontées à la surface, il s'agit de mettre au point une politique de protection adaptée. « Le but est d'établir un dialogue avec les acteurs de l'aménagement forestier, afin qu'ils prennent en compte l'histoire du milieu dans leurs modes de gestion », indique Guillaume Benaily. Ainsi, l'inventaire des sites de la forêt de Sénart a été communiqué aux agents forestiers sous la forme d'une carte de localisation, accompagnée de conseils de gestion et d'une fiche descriptive de chaque site. Cette intervention n'est pas une contrainte imposée aux gestionnaires mais plutôt un conseil pour respecter le patrimoine. La récente expérience effectuée dans la forêt de Sénart a prouvé que le dialogue est possible, et souhaitable.

La mission est convaincue de la présence de multiples vestiges, mais le manque de données archéologiques est d'autant plus dommageable que les enjeux de la préservation et de l'étude du patrimoine archéologique sont importants en milieu forestier. Très souvent arasés en zones de labours, fortement remaniés en milieu urbain, les sites bénéficient en forêt d'une bien meilleure conservation parce qu'ils n'ont pas été troublés. C'est pourquoi la mission considère qu'il est important d'assurer plus efficacement leur prise en compte dans l'aménagement du territoire, en particulier dans le cadre des interventions de gestion forestière qui pourraient nuire à leur préservation. Dans cette perspective, l'équipe examine avec le personnel de terrain les mesures conservatoires à mettre en œuvre in situ (clauses particulières d'exploitation pour les parcelles où des vestiges sont attestés, balisage des structures avant les coupes, choix des modes de débardage etc).

Quant à la mise en valeur du patrimoine, elle est encore en cours de réflexion et fait l'objet à l'heure actuelle de deux projets. Tout d'abord, afin de donner une vision de l'histoire de la forêt, une participation aux Journées Européennes du Patrimoine est envisagée dans le Val d'Oise. Ensuite, la création d'un reportage de 20 mn exposant le travail des archéologues est en cours de réalisation. Cécile admet que la valorisation du patrimoine a été peu développée jusqu'à présent. Pourtant, dès le début du projet, l'ONF souhaitait mettre l'accent sur cet aspect, de façon à rendre la mission indépendante financièrement. Mais pour valoriser, « il faut auparavant connaître le terrain et les vestiges avec précision afin de ne pas commettre d'erreurs, ce qui demande beaucoup de temps » précise Guillaume Benaily.

Même si la mission reconnaît que la découverte des vestiges n'a pas encore fait l'objet d'études scientifiques, elle considère le projet comme une réussite. Il est devenu indispensable de prendre en compte le patrimoine de la forêt dans la gestion forestière, et les récentes expériences réalisées dans différentes forêts ont montré que cette nouvelle vision des massifs forestiers est cohérente. La forêt est parfois considérée comme un espace naturel, non influencé par l'homme. Or les études prouvent aujourd'hui qu'elle n'est pas immuable : elle a évolué, et l'homme y a joué un grand rôle par ses activités agricoles et sociales. Il y a fort à parier que la forêt aura encore beaucoup de choses à nous apprendre, sur elle et sur nous.