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Du nouveau dans l’Affaire du Collier

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Publié le 01 avril 2005

Ce 9 février 2005, deux pelleteuses ont dégagé sa souche, avant que deux tracteurs ne le couchent sur un lit de rondins. Les racines se dressaient à plusieurs mètres hors de terre. L’émotion fut considérable. L’arbre avait 324 ans. C’était le plus vieil arbre du parc. Il avait vu le bonheur de la famille royale et connu sa terrible fin. Le chêne ne quittera pas Versailles car il sera exposé près des pépinières de Trianon. On a replanté un nouvel arbre en mars, d’une espèce plus résistante et plus vigoureuse. Des glands prélevés il y a une dizaine d’années ont été replantés pour reconstituer le boqueteau. Ils donnent déjà de beaux arbustes.

Le Chêne de Marie-Antoinette

Le 9 février 2005, on abattait un chêne planté en 1681 par Le Nôtre dans le Parc de Versailles. On l’appelait le Chêne de Marie-Antoinette car la Reine aimait se reposer sous sa fronde. Il était situé près de l'allée de la Reine, entre le Grand Canal et le Grand Trianon, où Marie-Antoinette logeait quand la famille royale était à Versailles. Il avait grandi au milieu d'un massif de hauts arbres, qui le protégeaient des rigueurs de l’hiver et des chaleurs de l’été. Il avait échappé au rajeunissement des plantations entrepris par Louis XVI en 1776. Il avait atteint la taille respectable de 35 m de hauteur et de 5,5 m de circonférence.

La tempête de décembre 1999 avait ravagé le bosquet, mais le chêne avait tenu bon. Malheureusement, il subissait désormais les assauts du climat. Au printemps 2003, il ne se couvrit que d’un feuillage clairsemé ; la canicule estivale lui fut fatale. En août, on le déclara mort et on décida de l’abattre.

Ainsi, la trouvaille faite dans les racine du Chêne de Marie-Antoinette apporte de nouvelles pièces à cette énigme. Madame de Lamotte y cacha certainement elle-même le tube de verre et son contenu. Elle sentait sans doute que les choses prenaient une tournure dangereuse et que l’étau de la justice se resserrait sur elle. Sa naïveté à se croire à l’abri de toute enquête n’a d’égal que celle du Cardinal à se laisser duper. Juste retour des choses ! Quant à nous, il faudra nous armer de patience pour espérer connaître le sort des pierres du Collier de la Reine. Mais n’avons-nous pas déjà attendu près de 220 ans ?

Une découverte exceptionnelle

Le porte-document retrouvé dans les racines du chêne de Marie-Antoinette

Le chêne majestueux devait pourtant réserver une surprise de taille. Lorsqu’on le nettoya, on découvrit un objet bien étrange dans une cavité de ses racines. Il s’agit d’un tube de verre, de 38,7 cm de long pour 15,8 cm de circonférence. Il est garni de ferrures à ses deux extrémités. D’un côté, l’ornement de métal s’ouvre grâce à une charnière. On peut ainsi glisser des documents à l’intérieur. Des chaînettes permettent de le porter l’objet sur soi. Cet ustensile, inconnu en Europe, servait aux princes orientaux pour mettre à l’abri les documents qu’ils confiaient à leurs messagers.

Les diamants de l’écrin de velours rouge.À l’intérieur, on découvrit plusieurs choses soigneusement emballées dans du parchemin. Un petit écrin de velours rouge contenait trois diamants taillés à facettes, de tailles et de couleurs différentes. Ensuite, soigneusement roulé, se trouvait un petit portrait sur toile représentant une femme au bain, drapée dans des linges de toilettes qui cachent sa nudité. Il est d’une facture exquise, mais ne porte aucune signature.

Enfin, il y avait des lettres passablement abîmées. Elles sont de deux sortes. Les premières sont des lettres d’amour. Elles sont abondamment raturées, et il semble que ce ne soient que des essais. Elles sont d’une belle écriture féminine. On a trouvé aussi leurs réponses, signées de Cardinal de Rohan. L’autre ensemble de lettres est plus surprenant encore. Une partie paraît être des copies de missives envoyées à la cour ottomane. Elles sont en français, d’une écriture différente des premières. L’autre partie est en turc ancien, d’une belle calligraphie arabe.

Où l’on reparle de l’Affaire du Collier

Immédiatement, les esprits s’échauffèrent. Le complot que l’histoire retient sous le nom de l’Affaire du Collier revint à tous en mémoire. Il n’est pas inutile d’en rappeler les grandes lignes.

En 1784, Louis de Rohan, cardinal-évêque de Strasbourg et grand aumônier de France1, cherchait à rentrer dans les bonnes grâces de Marie-Antoinette, à qui il avait déplu lorsqu’il était ambassadeur à Vienne. Il s’adressa à Cagliostro2, qui le mit en relation avec Madame de Lamotte3. Cette femme influente prétendait descendre des Valois, mais elle vivait alors dans le plus cruel dénuement et avait un pressant besoin d’argent.
Le château Rohan de Saverne

Le Cardinal fut pour elle une proie facile : il désirait ardemment correspondre avec la Reine. Madame de Lamotte prétendit se charger de l’entremise ; elle écrivit aussi les réponses. Elle alla jusqu’à organiser une rencontre entre le Cardinal et une femme qu’elle fit passer pour Marie-Antoinette. Lors de cette entrevue, on remit le fameux portrait au prélat en témoignage de reconnaissance. Pour ces services, il versa à Madame de Lamotte d’importantes sommes d’argent.

Le collier des joailliers Bohemer et Bassenge, dit « collier de la reine »Dès lors, cette intrigante connut un train de vie fastueux, bien différent de celui auquel on était habitué à la voir4. Cela ne lui suffisait pas, loin de là. Ayant appris que les joailliers Bohemer et Bassenge avaient réalisé un collier de brillants estimé à 1 600 000 livres, et qu’ils ne savaient où le vendre, elle imagina un stratagème aussi audacieux qu’extravagant pour s’en saisir et en toucher le prix. On dit que la Reine aurait désiré ce bijou, mais que le Roi le lui aurait refusé. Madame de Lamotte laissa entendre au Cardinal que la Reine n’avait pas renoncé, mais qu’il lui fallait un intermédiaire. Le Cardinal accepta le rôle. Le collier était payable en deux ans et en quatre termes. Madame de Lamotte contrefit sur les billets le consentement de Marie-Antoinette. Les diamantaires remirent le collier au Cardinal le 1e février 1785, qui le livra à son tour à Madame de Lamotte. Avec ses complices, son mari et M Retaux de Villette, elle en démonta les pierres sans tarder. L’affaire était faite.

Mais MM Bohemer et Bassenge restaient impayés. Sur les conseils du Cardinal, ils s’adressèrent à Marie-Antoinette qui, outrée, réclama qu’on se saisisse du prélat. Celui-ci fut arrêté le 15 août 1785, en rochet et camail, à la sortie de la messe du Roi5. Le scandale fut immense et atteignit la famille royale. Madame de Lamotte fut arrêtée à Clairvaux ; Cagliostro fut enfermé à la Bastille6. On pensa d’abord le Cardinal coupable, mais en septembre, il apparut comme certain qu’il n’était que victime de la duperie de Madame de Lamotte. Finalement, M de Villette ayant tout avoué, les protestations d’innocence de l’aventurière ayant été défaites, Louis-René de Rohan fut innocenté en 1786. La colère du Roi l’exila cependant à l’abbaye de La Chaise-Dieu, puis à celle de Marmoutiers.

Qu’est devenu le Collier de la Reine ?

Mais du collier, il fut impossible de retrouver la trace. On eut beaucoup d’espoir dans les années 1950, mais on sait aujourd’hui que le joyau découvert à Londres par Sir Henry Williamson dans une cache des boiseries de la cathédrale St-Paul n’est pas l’original7. Il semble en effet qu’on en ai fait plusieurs copies dès le Premier Empire ; certaines n’étaient que la verroterie, mais d’autres, par leur travail soigné, pouvaient tromper un aussi fin connaisseur que le pair d’Angleterre.

Les brouillons de lettres d’amour confirment l’innocence du Cardinal de Rohan et de Marie-Antoinette. La Reine ignorait tout de cette manigance qui lui nuisit tant. Le naïf cardinal fut le jeu d’un piège monté de toutes pièces pour lui extorquer l’argent et les diamants. Tout cela est maintenant bien connu.

Le collier, on l’a vu, avait été dépecé de ses pierres par Madame de Lamotte Valois ; personne ne sait ce qu’est devenue la monture en argent. La dame pouvait monnayer les pierres, mais il lui était difficile de le faire en Europe. En Autriche et en Russie, cela n’était pas imaginable, ni même dans des cours ennemies de la France comme celles d’Angleterre, d’Espagne ou de principautés allemandes. La chose aurait fini par se savoir.

Madame de Lamotte pensa plutôt à trouver acquéreur bien au delà, où l’attention d’espions ou de membres de la famille de Marie-Antoinette ne risquait pas d’être éveillée. Elle entra, on ne saurait dire comment, en relation avec des dignitaires de la cour ottomane. La cour du Sultan était assurément une des seules à pouvoir se montrer intéressée. Les trois diamants de l’écrin de velours devaient sans doute permettre de présenter un échantillon. Ils nous indiquent par ailleurs que le collier était composé de diamants de plusieurs couleurs. Les lettres en vieil ottoman sont en cours de déchiffrement, mais elles attestent déjà ces pourparlers secrets. Elles diront peut-être si les brillants ont été vendues au Sultan. On n’ose imaginer la suite. Les retrouvera-t-on dans le trésor de Top Kapi ? Cela n’est pas invraisemblable8.

  • 1. Louis-René-Edouard, prince de Rohan, naquit à Paris en 1734 et mourut à Ettenheim en 1803.
  • 2. Joseph Balsamo, surnommé le comte Alexandre de Caglostro, né à Palerme en 1743 et mort empoisonné au château de St Léon, près de Rome, fut un charlatan et un occultiste qui eut un vif succès à la cour de Louis XVI et dans la société parisienne de ce temps. Il joua un grand rôle dans la franc-maçonnerie. A la suite de l’Affaire du Collier, il se rendit à Rome. Condamné à mort par l’Inquisition, sa peine fut commuée en emprisonnement à perpétuité.
  • 3. Jeanne, comtesse de Lamotte, née à Fontette en 1755, s’enfuit en Angleterre à la suite de l’Affaire du Collier. Elle y vécut dans une grande misère et, sur le point d’être à nouveau arrêtée, se suicida en 1791.
  • 4. Elle fit même apposer les armes de Valois sur ses carrosses et sur son mobilier.
  • 5. Il aura pour Louis XVI ce mot célèbre : « Depuis l’assassinat du Duc de Guise, il n’y a eu personne de mon rang qui ait été traité avec autant de dureté. »
  • 6. Il sera toutefois reconnu innocent de l’affaire et sera libéré.
  • 7. Sir Henry Williamson, qui voulait d’abord offrir le collier à la Reine Elisabeth, préféra en définitive, devant la profonde déception de ce côté du Channel, le remettre à la France pour qu’il soit exposé à Versailles. Cet événement donna à Edgar-Pierre Jacobs le sujet d’un épisode passionnant et fort documenté des aventures du Colonel Francis Blake et du Professeur Philip Mortimer.
  • 8. N’a-t-on pas, il y a une cinquantaine d’années, découvert dans les caves du palais d’Istamboul des caisses envoyées en présent au Grand Turc par les monarques de la Chine et du Japon ? Quand elles arrivèrent à la capitale ottomane, après un long voyage à travers l’Asie Centrale, le sultan était décédé. Son successeur ne prit pas la peine de les ouvrir et les fit simplement remiser. Elles contenaient des trésors de porcelaines chinoise et japonaise. Il y en avait tant qu’aujourd’hui encore, le musée de Top Kapi est contraint de faire régulièrement de nouvelles vitrines pour les exposer.
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Référence à citer

Charles Dixit, Du nouveau dans l’Affaire du Collier, archeographe, 2005. https://archeographe.net/du_nouveau_affaire_collier