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Mérytaton et Smenkharê, unis pour l’éternité (mais plus pour longtemps)
Publié: 1er avril 2016
La théorie de Nicholas Reeves
Comme on le sait depuis longtemps, la tombe où l’on a retrouvé Toutânkhamon (KV62) n'avait pas été faite pour lui. L'égyptologue britannique Nicholas Reeves a fait observer qu’elle présente certaines particularités qui donnent à penser que ce tombeau n’était pas prévu pour un roi, mais pour une reine ; il a émis l’hypothèse que ce serait celui de Néfertiti, l'épouse du pharaon Amenhotep IV-Akhénaton : comme on ne disposait pas de tombe pour Toutânkhamon, on l'aurait installé ici, devant la salle où reposerait cette grande dame ; le passage aurait ensuite été bouché et caché par les fresques de la chambre funéraire du jeune roi. A ce jour, en effet, nous ne connaissons aucune sépulture qui puisse être attribuée à Néfertiti ; de nombreux savants pensent toutefois qu’il faut la rechercher sur le site de Tell-el-Amarna, la capitale qu’Akhénaton avait créée de toute pièce.
Reeves demanda au Ministère Égyptien des Antiquités de pouvoir sonder les murs de la chambre funéraire de Toutânkhamon. Début novembre 2015, une équipe scientifique, grâce à la thermographie infrarouge, trouva les traces de deux espaces cachés, l'un derrière le mur nord, l'autre derrière le mur ouest ; l'opération fut exécutée par le groupe espagnol Factum Arte. Le 28 novembre, des recherches menées avec un radar par un savant japonais confirmèrent l'existence de ces pièces. La théorie de Reeves prit alors une réalité passionnante et l'on refit des analyses avec des moyens non invasifs plus puissants. On obtint des images qui révélèrent non seulement une salle, mais plusieurs en enfilade, au moins deux, avec la possibilité de pièces attenantes. Qui plus est, les scans montraient clairement la présence d'un matériel abondant et de deux éléments massifs qui pouvaient bien être des caveaux funéraires. Devant l'importance de l'enjeu, on chercha le moyen d'accéder à ces pièces sans endommager les fresques de la salle funéraire de Toutânkhamon qui, bien qu'elles ne soient pas d'une grande qualité, n’en présentent pas moins un grand intérêt historique.
Or le hasard fit que les limites de l'accès aux pièces murées correspondent à des espaces entre des personnages des peintures. Décision fut alors prise de déposer soigneusement une partie de celles-ci, selon une technique éprouvée déjà utilisée pour les fresques des palais de Téotihuacan et pour les peintures murales et les mosaïques de Zeugma. Ces travaux ont été menés avec succès durant les mois de décembre 2015 et janvier 2016. Début février, les ouvriers avaient dégagé la maçonnerie du passage muré. Elle fut rapidement démontée et les archéologues se trouvèrent avec une grande émotion à l'entrée des espaces cachés ; beaucoup durent avoir une pensée émue pour Howard Carter.
Ils se trouvaient en effet devant une tombe intacte composée de deux grandes salles en enfilade. Dans la seconde se trouvent côté à côte deux cuves de granit qui semblent n'avoir pas bougé depuis la cérémonie des funérailles. Elles contiennent donc certainement les sarcophages et les momies des personnages qui ont été ensevelis ici. Ceux-ci devaient être d'un rang très élevé, si l'on en juge par l'abondance et la qualité du mobilier funéraire retrouvé dans une pièce plus petite, adjacente à l'est. Contrairement à la tombe de Toutânkhamon, tout était parfaitement en ordre ; l'étude minutieuse de ce mobilier, puisque c'est la première fois que l'on trouve une tombe de cette importance encore disposée selon le rituel, apportera sans nul doute bien des précisions sur les pratiques funéraires du Nouvel Empire.
L’investigation archéologique se doit d’être exemplaire en tout point, tous les intervenants en conviennent. Il faudra donc attendre que les fouilles et la restauration des objets progressent pour que nous puissions proposer des photographies à nos lecteurs. Nous devrions cependant être en mesure de le faire dans les mois qui viennent car archeographe a d’ores et déjà l’honneur d’avoir été sélectionné par les autorités égyptiennes comme organe de publication des recherches.
Qui reposait ici ?
La plus grande surprise vient des occupants de cette tombe. Reeves avait pensé à Nefertiti. Mais pourquoi aurait-on inhumé Toutânkhamon dans la tombe de cette reine ? En effet, on sait aujourd'hui qu'elle n'était pas sa mère. Le King Tutankhamun Family Project Mummies a conduit entre 2007 et 2009 une campagne d'études approfondies dans les domaines de l'anthropologie, de la radiologie et de la génétique sur onze momies royales du lignage du jeune roi. On cherchait à déterminer leurs liens de parenté et les pathologies dont ils souffraient, notamment celles liées à la consanguinité.
On a pu reconstituer ainsi l'arbre généalogique de Toutânkamon sur cinq générations. Nous connaissons désormais ses arrière-grands-parents (Youya et Touya), ses grands-parents (Amenhotep III et Tiyi). Ses parents sont Akhénaton et la Younger Lady, la momie KV35YL retrouvée dans la tombe d'Amenhoptep II (KV35) où furent mises à l'abri de nombreuses momies royales ; sa mère n’était donc pas Néfertiti, comme on l'avait cru jusqu'alors. L'étude, publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) du 17 février 2010, révélait en outre qu'Akhénaton était le propre frère de cette Younger Lady. Nous ignorons son nom, mais elle est peut-être Nébetâh, fille d’Amehoptep III et de Tiyi. Il devenait de la sorte peu probable que Toutânkamon repose auprès de Nefertiti : si nous ne savons que depuis peu qu’elle n'était pas sa mère, le fait était certainement connu en son temps.
Les premiers examens du mobilier des salles cachées infirmèrent rapidement la thèse de Reeves. Car c’est là que réside la grande surprise : de nombreux objets de ce mobilier funéraire portent le cartouche royal de Mérytaton. Il s’agit donc vraisemblablement de sa tombe. A défaut d’un caveau personnel, l’endroit dut paraître parfait à l’époque pour le repos éternel de Toutânkhamon : ils étaient frère et sœur, du même père mais de mères différentes puisque Mérytaton était fille de Néfertiti.
Nous avons dit que cette tombe comprenait deux cuves funéraires côte à côte. Nous ne connaissons pas encore l'identité du second occupant. Les futures investigations ne manqueront pas de le désigner mais on peut annoncer avec une quasi certitude qu'il s'agit de Smenkharê. Frère à part entière de Toutânkhamon, il fut aussi l’époux de sa demi-sœur Mérytaton et régna avec elle.
Une succession difficile
Un bref rappel historique s’avère peut-être nécessaire pour expliquer les événements qui aboutissent aujourd’hui à cette extraordinaire découverte dans la tombe de Toutânkhamon. La fin d'Akhénaton reste confuse. On ne sait ni quand ni comment il mourut. Sa succession aussi pose problème : nous savons seulement que Toutânkhamon, qui était trop jeune, ne lui a pas succédé directement. Cette obscurité vient du fait qu’on a cherché par après à effacer le souvenir de cette famille pour la vouer à la damnatio memoriae. Les pharaons Horemheb et Séthi Ier, en particulier, firent beaucoup dans ce sens : ils tinrent toute la lignée d’Akhénaton pour responsable de l’hérésie atonienne et s’arrogèrent le mérite du retour à l’orthodoxie religieuse. Nous découvrons peu à peu que ce n’est pas exact et que c’est Toutânkhamon qui revint à l’ordre précédent.
Plusieurs hypothèses sont envisageables quant à la succession d’Akhénaton. La plus vraisemblable est que Mérytaton, l’aînée des filles qu’il avait eues avec Néfertiti, monta sur le trône d’Égypte à sa suite. Il l’avait d’ailleurs épousée et avait fait d’elle son épouse principale : Nefertiti, en effet, avait perdu ce privilège pour des raisons qui nous échappent. A la mort du pharaon, Mérytaton aurait épousé son demi-frère Smenkharê, qui avait peut-être régné avec leur père à la fin du règne. Quoi qu’il en soit, le règne du successeur direct d'Akhénaton – Mérytaton avec ou sans Smenkharê – fut éphémère puisque tous deux décédèrent rapidement.
Le pouvoir revint alors au fils cadet d’Akhénaton, le jeune Toutânkhaton, âgé de 9 ans. Il épousa sa demi-sœur Ankhésenpaaton, troisième fille d’Akhénaton et Néfertiti. Le jeune couple quitta la capitale Amarna et revint à Thèbes. Ils renoncèrent au culte atonien de leur père, restaurèrent les cultes traditionnels et rendirent aux clergés les biens dont Akhénaton les avait spoliés ; ils changèrent aussi de noms : Toutânkhaton prit celui de Toutânkhamon et Ankhésenpaaton devint Ânkhésenamon.
Toutânkhamon dirigea l’Égypte entre les années -1336 / -1335 et -1327. Un règne très court car ce roi prometteur mourut très jeune. Cette mort prématurée – il avait environ 18 ans - surprit son entourage : la tombe qu’il avait entreprise n’étant pas terminée, nous savons qu’il fallut lui en donner une autre. On pensait jusqu’à présent qu’il s’agissait de celle que le vizir Aÿ s’était fait creuser ; ce dignitaire occupe en effet un autre caveau, que l’on a retrouvé à la fin du XIXe s. Une grande part des objets qui accompagnaient dans l’au-delà le jeune pharaon défunt n’était pas non plus prévue pour lui. Ses funérailles semblent de plus s’être déroulées dans la précipitation : le mobilier était dans un grand désordre, les peintures de la chambre funéraire – la seule qui soit décorée – sont de piètre qualité et se réduisent au strict minimum. Sa momie, enfin, avait été si mal faite que le cadavre souffrit beaucoup de l’effet des onguents utilisés ; Howard Carter dit avoir eu le plus grand mal à le dégager de ses bandelettes.
Une succession problématique
De nombreux points d’ombre subsistent dans ce déroulement historique. Les circonstances de la mort d’Akhénaton nous sont inconnues ; nous ignorons aussi celles de Mérytaton et de Smenkharê, ainsi que de Toutânkhamon. Certes, ces personnages semblent avoir souffert de pathologies familiales, dues en partie aux mariages consanguins si fréquents dans la famille royale. Il reste cependant un personnage dont on parle peu, Aÿ, qui fut haut fonctionnaire sous Akhénaton, puis sous Toutânkhamon, auquel il succéda à la tête du pays.
Ce personnage, dont la carrière fut très longue, semble avoir été un arriviste sans scrupules. A la mort de Toutânkhamon, il épousa sa veuve Ânkhésenamon, ce qui lui permit d’entrer dans la famille royale et de légitimer sa prétention au trône. Les archives de la capitale hittite Hattousa ont révélé qu’une reine d’Égypte, devenue veuve, écrivit au roi Suppiluliuma Ier pour le supplier de lui envoyer un de ses fils afin qu’il devienne son époux et occupe le siège de pharaon. Le roi hittite envoya son jeune fils Zannanza, mais celui-ci fut intercepté et assassiné. Cette reine pourrait fort bien être Ânkhésenamon.
Il est tentant d’imputer au détestable Aÿ la mort d’Akhénaton, de Mérytaton, de Smenkharê, de Toutânkhamon et de Zannanza. Ces méfaits correspondraient bien à l’image que nous nous faisons de sa personnalité sournoise. Et il semble être parvenu à ses fins puisqu’il épousa, bien que sans doute déjà fort âgé, la jeune et jolie Ânkhésenamon.