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Une divinité secondaire

Philae. Temple d'Hathor. Photo M. HeiligPhilae. Temple d'Hathor. Photo M. Heilig

En tant que divinité secondaire, sa trogne truculente apparaît dans les temples d'autres divinités, et particulièrement dans ceux d'Hathor. Puisqu'il exerce son influence dans les domaines de la toilette, de la musique, de la danse et du plaisir sexuel, on ne sera pas surpris de le voir associé la déesse de la beauté et de la joie. Ainsi, on trouve à Philae des représentations de Bès jouant de la harpe ou du tambourin dans le petit temple d'Hathor1 ; sa présence ne saurait troubler le sanctuaire d'Isis, elle aussi mère et protectrice.

Philae. Temple d'Hathor. Photo M. HeiligPhilae. Temple d'Hathor. Photo M. Heilig

Le temple funéraire le Séthi Ie, à Abydos, réserve à Bès un espace sacré ; il y était vénéré comme dieu guérisseur, et rendait un oracle que l'on consultait encore au IVe siècle ap. J.-C. Bès apparaît encore dans le mythe de la Déesse Lointaine : il fait partie du joyeux cortège qui ramène de Nubie la déesse à son père.Mais c'est dans les mammisis que l'on rencontre Bès le plus fréquemment. Champollion se servit du mot copte mammisi2 pour désigner un édifices bien particulier associé aux grands temples de la Basse Epoque ; on y célébrait le mystère de la naissance du dieu enfant. Protecteur des femmes et des nouveaux-né, Bès y trouve naturellement sa place.Les mammisis les mieux conservés sont ceux de Dendéra, d'Edfou et de Philae. Ils sont tous conçus de manière semblable. Comparés aux grands temples, ils sont de petite taille. Leur plan inclut toujours une cour, une salle d'offrande, un naos et une colonnade dont les entrecolonnement sont fermés par des murs à mi-hauteur3. Les bas-reliefs des parties extérieures représentent des scènes joyeuses de musique et de danses ; dans les salles intérieures, ils ont pour thèmes le mariage divin et la naissance du dieu enfant.Le sanctuaire d'Hathor, à Dendéra, comprend deux mammisis. Celui de Nectanébo I4 est le plus ancien qui soit conservé5. Il était précédé d'une cour, qui donnait par une porte sur un couloir bordé de portiques. On franchissait ensuite le mur d'enceinte du temple d'Hathor6 et l'on entrait dans la salle des offrandes7. Au fond de cette salle, une porte, au nord, ouvrait sur une chapelle sans décor ; une autre, au sud, donnait accès à une salle dans laquelle un escalier permet de monter sur le toit. La porte centrale, plus large, est celle du naos. Sur les bas-reliefs de cette salle, Khnoum modèle l'enfant sur un tour de potier, Héket tend une croix de vie vers ses narines ; Hathor8 met au monde et allaite son fils9.

Dendéra. Mammisi d'Auguste. Photo M. HeiligDendéra. Mammisi d'Auguste. Photo M. Heilig

Le second mammisi, appelé Mammisi d'Auguste, fut édifié parallèlement au précédent par Néron et décoré par Trajan, Hadrien et Antonin. On accède au bâtiment par une rampe, puis on traverse deux cours. Le temple même est composé d'une salle d'offrandes, encadrée par trois petits magasins10, puis d'une pièce barlongue. Une large porte, au centre du côté est, donne sur le sanctuaire, qui commande deux magasins latéraux. Les scènes principales du naos reprennent celles du mammisi de Nectanébo. Les portiques enferment les salles cultuelles et la seconde cour. Les chapiteaux campaniformes de leurs colonnes sont surmontés de dés ornés de visages de Bès.

Edfou. Le mammissi. Photo L. KuntzEdfou. Le mammissi. Photo L. Kuntz

Ptolémée VIII Evergète II11 édifia le mammisi d'Edfou, qui fut décoré par Ptolémée X Sôter II12. L'édifice est précédé d'une cour. Le vestibule, flanqué de deux petites chambres, donne sur le naos.

Edfou. Le mammissi. Photo L. Kuntz

Les portiques entourent sur trois côtés les salles cultuelles et bordent la cour au nord et au sud. Les fût des colonnes sont ornés de dieux musiciens, leurs chapiteaux portent un dé dont chaque face est ornée d'une tête de Bès.

Edfou. Le mammissi. Photo M. HeiligEdfou. Le mammissi. Photo M. HeiligEdfou. Le mammissi. Photo M. Heilig

LEdfou. Le mammissi. Photo M. Heiliges scènes intérieures représentent la naissance d'Horus et son allaitement par Hathor13.  Ptolémée VIII Evergète II entreprit la construction du mammisi de Philae. Ptolémée XIV Néos Dionysos14 en poursuivit la décoration, que Tibère termina. Ici, la cour est absente, remplacée par celle du temple d'Isis15. Le mammisi comprend un vestibule à deux colonnes et trois salles en enfilade. Le portique entoure le bâtiment sur trois côtés, mais exclut le vestibule. Les bas-reliefs représentent la naissance, l'enfance et l'éducation d'Horus.

 

Et que devint notre petit bonhomme lorsque la civilisation égyptienne périclita ? Pour les Grecs, le visage de Bès pouvait évoquer celui de leurs satyres, silènes, démons et autres centaures. Ce type iconographique représente le double sauvage de l'homme. Il culmine avec le portrait de Socrate, l'alliance d'un visage de silène et de l'esprit le plus élevé qui soit.
Les Ptolémées reprirent à leur compte l'héritage pharaonique. Ils poursuivirent les travaux de reconstruction des sanctuaires qu'avait entrepris Nectanébo. Personnage important des croyances populaires, Bès ne souffrit pas du déclin des cultes officiels. La production de figurines semble au contraire très active à cette époque.On lit parfois que les Romains assimilèrent Bès à Hercule. En effet, le dieu égyptien, comme le demi-dieu gréco-romain, porte parfois une peau de lion. Ce rapprochement surprend pourtant quelque peu, surtout si l'on met en comparaison la stature athlétique de l'un et le corps difforme de l'autre.Comme on l'a vu, Bès rendait encore ses oracles à Abydos au IVe siècle ap. J.-C.

Ensemble de figurines. Musée du Caire. Photo M. Heilig

La domination exclusive du christianisme, contrairement à la religion gréco-romaine, condamnait la religion égyptienne à disparaître. Croyances et dévotions populaires, fortement ancrées dans la vie quotidienne, résistèrent bien mieux. Les Coptes considérèrent Bès comme un génie bienfaisant.Il semble que ce soit la venue de l'islam qui ait eu raison de lui. Les musulmans inversèrent sa qualité essentielle : d'un dieu bienfaisant et protecteur ils firent un djinn malfaisant. Triste fin pour un compagnon si sympathique.

  • 1. Ce temple d'Hathor, à l'est du grand temple d'Isis, fut construit par Ptolémée VI Philométor (181-146 av. J.-C.). Auguste en reprit la décoration. Il comprend un espace ceint d'un portique sur trois côtés, comme les mammisis dont nous allons parler.
  • 2. Le mot signifie lieu de la naissance en copte.
  • 3. Le mammisi de Nectanébo, à Dendéra, est le seul qui appartienne à la période pharaonique. L'emploi des colonnades y est fort différent de ce qu'on peut observer ailleurs : elles bordent un couloir auquel elles donnent de la lumière.
    Les autres mammisis datent des Ptolémées ou des empereurs romains. Les colonnes y forment un rideau devant les salles cultuelles ; elles leurs font un écrin et les abritent d'une lumière trop violente. Ces monuments gréco-romains utilisent ainsi la colonnade comme le fait l'architecture grecque, bien que les murs d'entrecolonnements leur apportent un trait égyptien.
    Le mammisi d'Auguste, à Dendéra, est assurément un temple périptère, ce que l'on ne saurait dire des autres : à Edfou et à Philae, les portiques ne se déploient autour des salles de culte que sur trois côtés.
  • 4. 378-360 av. J.-C.
  • 5. Il est aussi le seul qui appartienne à la période pharaonique. Les autres mammisis datent des Ptolémées ou des Romains.
  • 6. Le mammisi est en effet construit de part et d'autre de ce mur.
  • 7. Bas-reliefs ptolémaïques représentant des offrandes.
  • 8. Elle est figurée assise sur une chaise placée sur un lit.
  • 9. L'allaitement est représenté deux fois, pour la Haute et une pour la Basse Egypte.
  • 10. Deux au sud, un au nord.
  • 11. 146-117 av. J.-C.
  • 12. 117-107 et 88-81 av. J.-C.
  • 13. Les chrétiens transformèrent le vestibule en église mais épargnèrent la cella.
  • 14. 61-47 av. J.-C.
  • 15. Le mammisi ferme à l'est la cour du temple d'Isis, au delà du pylône de Nectanébo.

Référence à citer

Marc Heilig, Autour du dieu Bès, archeographe, 2004. https://archeographe.net/Autour-du-dieu-Bes