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Vercingétorix et Napoléon III

D'un point de vue strictement gaulois, le siège et la capitulation d'Alésia représentent donc une triste défaite. Il faut peut-être y voir la raison pour laquelle la localisation du site s’est perdue au fil du temps, ainsi que le suggère l'historien René-Albert Goderzo1, qui s'est attaché à cette période. Les fouilles archéologiques engagées à partir de 1861 à l'initiative de Napoléon III sont cependant parvenues à situer l'oppidum, sans qu’on puisse raisonnablement le contester, à Alise-Sainte-Reine, en Côte d’Or. Elles ont permis d'identifier les structures poliorcétiques et en ont dégagé les vestiges, non seulement les fortifications et les fossés, mais encore un matériel important. Dans les années 1990, une équipe franco-allemande confirma et compléta les résultats du Second Empire.

Napoléon III s’était fortement et personnellement investi dans ces recherches. Il les finança de ses propres deniers, et l'impératrice Eugénie a parfois dans son journal des mots peu amènes lorsque son empereur de mari lui refusait parures et distractions pour satisfaire à la dépense. L'empereur tenait en effet à ce que les investigations d'Alésia se déroulent dans les meilleures conditions. Des spécialistes réputés furent mis à contribution, historiens de l'Antiquité, archéologues, dont la discipline était encore récente, géomètres et cartographes. On utilisa les techniques les plus modernes pour étudier les objets que les fouilles mettaient au jour. L'empereur veillait aussi au confort des ces savants : ils avaient table ouverte dans les auberges renommées de la région. Les travaux se poursuivirent jusqu'à la défaite de Sedan, malgré la piètre santé du souverain. Il n'est pas anodin, d'ailleurs, de préciser ici qu'il souffrait de la maladie de la pierre, et d'aucuns y ont vu une sorte de somatisation de son intérêt pour l'archéologie. Napoléon III commanda en outre une majestueuse statue de Vercingétorix au sculpteur Aimé Millet (1819-1891), dont c'est une des créations majeures. Elle tranche nettement avec l’œuvre peint de cet artiste, bien qu’à sa manière elle fasse ressentir le même attachement au terroir que L'Angélus.

L'imposant Monument à Vercingétorix fut érigé sur le mont Auxois le 27 août 1865. Le socle, en granit et en calcaire du pays, fait 7 m de haut. Il a été dessiné par Viollet-le-Duc et porte un bandeau de bronze sur lequel Napoléon III fit inscrire une citation de Vercingétorix : « La Gaule unie, formant une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers »2. En dessous, on peut lire la dédicace de l'empereur : « Napoléon III, empereur des Français, à la mémoire de Vercingétorix ».
La statue de Millet est l'élément principal de ce monument commémoratif. Elle a été réalisée à Paris et exposée au Palais de l’Industrie lors du Salon de 1865, puis transportée et installée à l'extrémité ouest de la colline. Une ligne de chemin de fer avait été spécialement construite pour l’acheminer. Le Vercingétorix est haut de 6,60 m, mais il ne pèse que 5 tonnes. Ce poids s'explique par la technique utilisée : la statue est creuse, formée de tôles de cuivre battues et repoussées fixées sur un bâti de poutrelles.

Le sculpteur a donné du chef arverne une image romantique, selon le courant artistique qui régissait tous les arts à cette époque. Mais cette œuvre concrétisait aussi ce que l’on imaginait alors d’un Gaulois : aspect farouche, moustaches tombantes et longs cheveux hirsutes, braies et collier de perles3... C'est néanmoins une représentation fantaisiste, digne des pires anachronismes des péplums hollywoodiens : le pauvre Vercingétorix est affublé de braies moyenâgeuses mais son épée appartient à l’arsenal de l'Âge du Bronze, un exploit inter-temporel difficile à concevoir !

Aimé Millet avait pris Théophile Gautier pour modèle de son Vercingétorix, et non Napoléon III comme on l'a souvent prétendu ; la comparaison avec la photographie que Nadar a prise de l’écrivain est à cet égard sans appel. Le choix du sculpteur s’explique aussi parfaitement par le caractère puissant et sanguin du poète, semblable à celui que le romantisme attribuait au chef arverne. Gautier fut d’ailleurs un ardent défenseur de la statue : « L'aspect général a de la grandeur, écrivit-il. De quelque côté qu'on regarde le Vercingétorix de M. Aimé Millet, les profils se dégagent avec netteté et décision, comme il convient à une figure qui doit être vue de loin. Aucun détail superflu n'en altère les lignes ». Il est vrai que l'emplacement de la statue avait été choisi avec soin : Vercingétorix domine le champ de bataille.

  • 1. René-Albert Goderzo, Le bouclier arverne, Paris, 1975.
  • 2. Selon César, Vercingétorix aurait prononcé ces mots alors qu’il haranguait ses troupes à Avaricum (Bourges).
  • 3. On est loin des représentations antiques du Galate que les rois de Pergame avaient disséminées dans les villes hellénistiques, mais plus proche de certains bas-reliefs gallo-romains.

Référence à citer

Marc Heilig, Dans l’ombre de Vercingétorix, archeographe, 2018. https://archeographe.net/Dans_l_ombre_de_Vercingetorix