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L'énigme de la Reine Gilette

Quant à la statue médiévale, elle est dans ce mur depuis si longtemps que les Messins lui ont façonné une légende. Charles Lorrain, en effet, parlait d’« une tombe d'abbesse de 1516, vulgairement connue sous le nom de la Reine Gilette1 ». La sculpture représente une femme debout, vêtue d'une robe par dessus laquelle est drapé un manteau ; elle a le bras droit replié sur le ventre et tient de la main gauche un livre fermé. Les pieds manquent, et la tête a éclaté.

Fig. 10 : Les sculptures du Moulin des Termes. La statue de la Reine Gilette. Photo Marc Heilig.
Fig. 11 : La Reine Gilette. Photo Marc Heilig.

S’il s'agit d’une pierre tombale, elle devait être couchée comme un gisant. Au XVIIIe s., alors que la statue était encore entière, Dom Calmet rapporte d’ailleurs qu’elle avait « un coussin sous la tête avec quatre houppes aux quatre coins2 ». Un petit toit à deux pans est sculpté au dessus de la dame ; il est lui-même surmonté de la date de 1516.

Cette date est en contradiction avec ce que l'on sait des faits. Le mur, en effet, fut construit en 1514 avec des pierres que Jehan Bernhard avait récupérées, et cette date doit être tenue pour assurée puisque le contrat existe toujours. La statue fut sans doute placée là plus tard, à un moment où, pour une raison qui nous échappe, elle devint elle-même une pierre que l'on pouvait récupérer. Dom Cajot rapporte la légende attachée à cette effigie en 17603, ce qui met hors de cause les troubles de la Révolution.
Robert, sans tenir compte de cette date de 1516, termine ainsi son article : « Parmi les débris de monuments vendus à Jehan Bernhard pour la reconstruction de son écluse, se trouve une assise venant de quelque église du moyen âge et représentant une femme (…) voisine, dans le mur de l'écluse, du cippe antique où figure un char. » Ce rapprochement aurait donné lieu à la légende d’une Reine Gillette dont le char se serait renversé dans la Moselle sur le pont ou sur la chaussée de Charpaigne4. D’autant plus que, selon Dom Calmet, il y avait encore en son temps, aux pieds de la statue, une inscription en caractères gothiques qui disait : Muselle has reçu / d'outre Seille a rendu5. La dame se serait noyée dans la Moselle et le courant aurait charrié son corps jusqu'à Metz, où on l'aurait retrouvé dans la Seille.

Fig. 12 : Détail du bras gauche de la statue de la Reine Gilette. Photo Marc Heilig.

Cette Reine Gilette est inconnue par ailleurs. De façon quelque peu confuse, Dom Calmet en arrive à l'identifier à la reine Hildegarde, seconde épouse de Charlemagne, qui était inhumée à Metz dans l'abbaye Saint-Arnould6. Bien que nécropole des Carolingiens, cette abbaye fut démolie avec les faubourgs méridionaux lors du siège de 1552 par Charles-Quint afin d'interdire tout point d'appui à ses armées. La date de 1516 s'accorde bien avec le style de la statue, qui appartient à la fin du Moyen Âge ou au début de la Renaissance. Ce ne serait donc pas l'effigie d'une princesse carolingienne. Si bien que la Reine Gilette garde tout son mystère, et sans doute pour longtemps encore.


  • 1. LORRAIN, op. cit.
  • 2. Dom Augustin CALMET (1672-1757) dans sa Notice de la Lorraine, p. 62-64.
  • 3. Dom Joseph CAJOT, Les antiquités de Metz, Metz, 1760. Repris par CHABERT, op. cit.
  • 4. Charpaigne = Serpenoise = Scarpone, qui est le nom romain de Dieulouard. On a de tout temps franchi la Moselle à cet endroit. C’est la frontière entre les Leuques et les Médiomatriques, entre le duché de Lorraine et l’évêché de Metz, et de nos jours entre la Meurthe-&-Moselle et la Moselle. La rue Serpenoise, la plus importante de Metz, prolonge dans la ville la route qui vient de Lyon et passe la rivière à Dielouard.
  • 5. Pieds et inscription ont aujourd'hui disparu, comme on peut le voir sur nos photographies.
    Quelques mots sur ces photographies sont peut-être nécessaires. Celles qui sont en noir et blanc ont été prises en 1969. A cette époque, la vieille ville de Metz était saccagée par les promoteurs immobiliers : on avait crevé le toit de nombreux bâtiments anciens pour pouvoir les déclarer insalubres et les démolir. Les quartiers du Pontiffroy et des Roches, tout près du Moulin des Termes, étaient dans cet état déplorable. La photographie en couleur date de la fin des années 90.
  • 6. Il s'agit de Hildegarde de Vintzgau (758 – 3 avril 783 à Thionville). Fille de Gérold de Vintzgau, d'une grande famille bavaroise, et d'Emma d'Alemanie, elle devint en 771, à l'âge de 13 ans, la seconde épouse de Charlemagne après la répudiation de Desiderata, dernière fille du roi des Lombards. Elle lui donna neuf enfants, dont Louis le Pieux, futur empereur d'Occident. Elle accompagna son époux lors de ses campagnes, et fit de nombreuses donations aux églises, en particulier aux abbayes de Reichenau et de Kempten. Elle mourut à l'âge de 25 ans dans la résidence impériale de Thionville des suites de sa neuvième couche. Elle fut inhumée à l'abbaye de Saint-Arnoud de Metz, qui devint la nécropole de la famille de Charlemagne.

Référence à citer

Marc Heilig, Ad catarachtas Mosellae..., archeographe, 2003. https://archeographe.net/Ad-catarachtas-Mosellae