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Un écrin insolite pour une collection spéciale

Le bâtiment justifie à lui seul la visite du musée. Le château d’eau qui abrite la collection, comme la gare, a été construit sous domination allemande entre 1878 et 1883 par l’architecte berlinois Johann Eduard Jacobsthal (1839-1902) qui a en outre conçu la Stadtbahn de Berlin (« chemin de fer urbain ») et dessiné les gares de l’Alexanderplatz et de Bellevue situées dans la capitale allemande, ainsi que l’ancienne gare de Metz. Le bâtiment servait de réservoir d'eau destiné à alimenter les locomotives à vapeur. Profitant de l’accessibilité de l’eau qui n’était alors pas courante en ville, les ouvriers de la Reichsbahn, puis des Chemins de Fer Français, auront aussi la possibilité d’y prendre un bain. Le château d’eau a été conçu en même temps que l'actuelle gare centrale et fut l’un des premiers bâtiments mis en chantier au lendemain de l’annexion. Massif, octogonal, de style néo-roman, avec un soubassement appareillé en grès rose, il est couronné d’un ouvrage en briques jaunes orné de croisillons en métal et de verrières géométriques.

Alors que se terminait la construction du château d’eau en 1883, le chancelier Bismarck décida la même année d'imposer un protectorat sur le Togo, pays dont proviennent - avec le Bénin – la plupart des objets de la collection Arbogast. Les Allemands en firent une Musterkolonie, une « colonie modèle » où devaient régner l'équilibre, la prospérité et la bonne gestion. Pour autant, la langue allemande n'était pas imposée aux populations locales. Au même moment l’Alsace était censée devenir la vitrine d’une Allemagne idéale faisant converger à Strasbourg les plus grands talents d’une nation encore jeune, à l’instar de Jacobsthal.

Les missionnaires, tant catholiques que protestants, privilégiaient l'enseignement «en langue indigène» sans tenter d’imposer la langue allemande. Par exemple, la mission de Brême assurait l'enseignement primaire entièrement en éwé et encourageait ses missionnaires à apprendre les langues locales. Les premières enquêtes ethnographiques ont ainsi été menées par l’un d’eux en la personne de Jacob Spieth, qui s’employa à apprendre la langue locale « afin que je puisse me passer d’interprètes et accéder au cœur des Noirs », écrit-il dans ses carnets1. Passionnément, et de manière quelque peu paradoxale, les premiers missionnaires se sont alors retrouvés en première ligne de la défense des cultures à coloniser dont ils mettaient finalement en lumière, parfois malgré eux, la très grande sophistication des systèmes de pensée et des spiritualités. Les recherches de Spieth et celles d’autres missionnaires ont ainsi permis aux Européens de comprendre des pratiques qui semblaient d’abord inaccessibles, telles que, par exemple, le culte des ancêtres.

Non sans ironie, et comme pour boucler la boucle, on ne sera pas surpris d’apprendre que les fondations du château d’eau qui accueille le musée vodou plongent dans les vestiges d’un cimetière romain. Peuple qui, précisément, rendait une forme de culte à ses morts qui n’est pas sans rapport avec celui des Ewés d’Afrique de l’Ouest. Il y a au cœur de la vision du monde vodou un principe très proche de la Fortuna.  Cette divinité italique est une allégorie du hasard et de la chance. Elle représente le destin avec toutes ses inconnues et sous-entend que le « bonheur » d’une personne dépend de la qualité des relations qu’elle entretient avec les forces qui déterminent son destin. Pour les Romains d’hier, comme pour les Fons et les Ewés d’aujourd’hui, une personne malheureuse se pense délaissée des dieux, abandonnée à son triste sort, dirait-on. Qu’en est-il des Alsaciens d’aujourd’hui ?



  • 1. Source : Emil Ohly, Lebensstil von Jakob Spieth. Bremer Missionsschriften, N°8, p. 15.