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De saint Arnould à Pasteur

Fabriquer de la bière resta longtemps l'apanage des abbayes, qui avaient leur propre brasserie : Gorze, Quincy (770), Saint-Denis (862), Corbie (822), Saint-Gall (XIe s.)… Les religieux avaient accès aux manuscrits de l'Antiquité ; ils purent ainsi améliorer les procédés de fabrication. On leur doit l'usage du houblon et l'invention de la fermentation basse, au XVe s. Grâce aux archives de l'abbaye de Saint-Gall, nous pouvons nous faire une idée précise de cette activité : les moines y avaient une malterie et trois brasseries, où ils fabriquaient trois bières différentes, l'une pour les religieux eux-mêmes, les deux autres pour les hôtes importants et les pèlerins. La consommation de bière était si importante dans les abbayes que l'Église se vit plusieurs fois dans l'obligation de s'en préoccuper au courant du IXe s.

Ainsi le Moyen Âge fut-il une période faste pour la fabrication de la bière. À la suite des abbayes, Charlemagne, dans son capitulaire de 802, recommanda que les domaines se dotent d'ouvriers pour cette activité. Mais l'essor devait en être particulièrement spectaculaire dans les villes. C'est en effet grâce à l'accroissement de la consommation urbaine qu'apparut, vers la fin du XIIe s., le métier de brasseur. Il entra dans les corporations au cours du siècle suivant et acquit ainsi un statut officiel. Le mode de fabrication ne diffèrait guère de celui que pratiquaient les abbayes ; l'équipement restait le même et comprenait principalement une cuve de bois, deux chaudrons de cuivre, des bacs de refroidissement et des tonneaux. Toutefois, l'engouement devint si fort que le nombre de brasseries ne cessa de grandir pour satisfaire à la demande. Il fut rapidement nécessaire d'imposer une réglementation et des contrôles sur les matières premières, la qualité et les prix.

Les brasseurs ont acheté des monopoles de fabrication et de vente dès le XIIe s. Ce privilège entra par la suite dans la législation et se maintint jusqu'à la fin du XVIIIe s. Hors des villes et des abbayes, on faisait de la bière dans les fermes pour la consommation familiale. Tout change à la Révolution, qui abolit les privilèges. À cette époque, on assiste en outre à la hausse du prix des combustibles, ce qui profite au brassage industriel. Les brasseries se multiplient et, au milieu du XIXe s., elles s'industrialisent grâce aux progrès scientifiques et techniques. À l'Exposition Universelle de Paris, en 1867, la pils, bière blonde de fermentation basse fabriquée à Pilsen, en Bohême, connaît un succès fulgurant qui ne se démentira plus.

Pourquoi des musées de la bière en Lorraine ? La Lorraine est au cœur d'une vaste région brassicole qui couvre les Flandres, les Ardennes, le Luxembourg, l'Allemagne et l'Alsace. Un des symboles des brasseurs est le mythique Gombrinus, originaire des Flandres françaises. La légende raconte que le Diable lui donna des graines de houblon pour adoucir la bière. On lui proposa de nombreux titres honorifiques, mais il préféra celui de Roi de la Bière. Selon la légende, Gombrinus était natif de Fresnes-sur-Escaut. Son portrait orne le fronton de l'ancien bâtiment administratif de la brasserie de Champigneulles. Le Musée Français de la Brasserie de Saint-Nicolas-de-Port présente une belle statue du Roi de la Bière qui se trouvait autrefois sur la route d'accès de la brasserie de Maxéville. Il incarne le buveur de bière, chaleureux et bon-vivant.

En outre, le patron des brasseurs est saint Arnould, qui naquit vers 582 et mourut en 640. Après avoir été évêque de Metz et joué un rôle important dans le gouvernement du royaume d'Austrasie, il se retira dans les Vosges pour mener une vie d'ermite. En 641, lors de la translation de ses reliques de Remiremont à Metz, la bière manqua aux fidèles près de Champigneulles. Ils prièrent saint Arnould et le saint exauça leur vœu : son miracle remplit les tonneaux vides.

Jusqu'aux découvertes de la chimie, la fabrication de la bière resta pleine de mystère et le brasseur était presque considéré comme un alchimiste. C'était une profession qui s'entourait de nombreux symboles, tels que l'étoile qui en est l'emblème depuis le Moyen Âge. Cette étoile des brasseurs réunit les symboles de l'eau, de la terre, de l'air et du feu. Bien qu'elle ressemble à l'étoile de David, elle s'en distingue par son origine puisqu'elle apparaît pour la première fois sur un manuscrit médiéval qui concerne la fabrication de la bière dans une abbaye1. On peut voir, dans la reconstitution d'une malterie-brasserie du XVIIIe s. du musée de St-Nicolas-de-Port, qu'elle figure, tout comme le crucifix, en bonne place sur le mur du local.

Bien plus tard, c'est à Tantonville, où brassaient les frères Tourtel, que Pasteur vint étudier les levures (1876)2. De nombreux savants à sa suite publièrent des travaux sur la chimie de la bière, notamment Hansen, qui isola les levures de fermentation basse (1883). Certains prirent même une part active dans son industialisation, comme Paul Petit, qui fut Doyen de la Faculté des Sciences de Nancy et fonda l'École de brasserie3. De la fin du XIXe s. à la Première Guerre Mondiale, la Lorraine, y compris sa partie annexée, fut une des grandes régions de production de bière. Les brasseries y sont nombreuses, leurs enseignes célèbres : Bières de la Meuse, Vézelise, Champigneulles, Amos…

  • 1. Le Brudelhausbuch de Mendel (1397) est conservé à la bibliothèque de Nuremberg.
  • 2. Depuis les travaux de Mayer, en 1830, on savait que les levures sont responsables de la fermentation.
  • 3. Paul Petit dirigea l'École de brasserie de 1893 à 1936. Il pulia, entre autre, La bière et l'industrie de la brasserie (1896) et Brasserie et malterie (1904).

Référence à citer

Marc Heilig, Musées de la bière en Lorraine, archeographe, 2016. https://archeographe.net/musee_biere_Stenay_musee_brasserie_Saint-Nicolas-de-Port