Vous êtes ici

Une Vénus gallo-romaine en marbre au musée de Niederbronn ?

Statue vue de faceDans la collection gallo-romaine de la Maison de l'Archéologie de Niederbronn-les-Bains est exposé le torse en marbre d'une femme désignée comme Vénus. Au milieu de sculptures en grès d'un art régional de bonne facture, la pierre utilisée donne à la pièce un caractère exceptionnel1, que renforce encore un style qui fait de prime abord référence à l'art hellénistique.

La statue soulève toutefois diverses questions. Il est surprenant qu'elle soit absente du volume VII du Répertoire d'Espérandieu 2. Celui-ci semble pourtant avoir considéré les choses largement, puisqu'il décrit un buste d'Homère, sans l'avoir vu de près et bien qu'il mette en doute son antiquité. Si cette Vénus faisait déjà partie de la collection de son temps, Espérandieu l'avait donc exclue de sa recherche. Il se peut aussi que la statue ait été acquise plus tard. Elle figurait cependant, sans que rien permît d'en préciser la provenance, parmi les pièces entreposées dans l'école de filles lorsque, durant l'été 1948, G. Eriau entreprit de les rassembler 3. L'origine de cette statue reste donc inconnue, et cela nous conduit à nous interroger sur sa datation.

Description

La statue est sculptée en ronde bosse dans un marbre blanc, au grain assez fin, que parcourent de veines gris bleu. Celles-ci affleurent surtout sur le dos et la cuisse gauche. Des taches d'oxydation apparaissent sur le rein et la fesse gauches, ainsi que sur celle de droite.

Statue vue de dosLa pièce représente un torse féminin avec le départ des bras et la plus grande partie des cuisses, mais sans le cou. Elle mesure 0,32 m de haut, ce qui permet à évaluer à 0,90 m environ la hauteur complète. La surface du marbre est entièrement polie. Des traces d'outil, dont nous parlerons plus tard, sont visibles aux sections du cou et des deux bras. Il n'est pas possible d'observer celles des membres inférieurs : tout au plus peut-on dire que les trous forés pour assurer l'exposition verticale de la statue sont récents. Le travail est de bonne qualité et le sculpteur a pris soin de réserver pour le dos la moins belle partie du bloc dont il disposait. Le corps, entièrement nu, ne laisse rien apparaître qui soit extérieur à ce qui est représenté : aucune trace de chevelure, de vêtement, ni rien qui vienne interrompre le poli du marbre et permette de supposer une main en rapport avec le torse ou un élément accessoire. La posture est gracieuse. L'artiste, en présentant son œuvre de trois-quart, a privilégié les lignes animées des profils. Le torse, assez fortement penché en avant vers la droite, suggère un mouvement du bras droit vers un objet situé au bas de la jeune femme. La position du bras gauche est plus délicate à restituer : l'amorce de l'épaule gauche laisse présumer qu'il s'écarte du corps, sans que l'avant-bras et la main, dont on verrait l'attache, ne se replient sur les seins. Les cuisses sont réunies, celle de droite passant devant celle de gauche. La jambe droite paraît trop projetée en avant pour avoir servi d'appui, et celle de gauche trop oblique.

Aussi est-il nécessaire de restituer un élément qui donne à la statue une stabilité apparente. On ne saurait le placer le long de la jambe droite car on en distinguerait au moins l'amorce sur l'extérieur de la cuisse. La solution d'un support latéral sur lequel s'appuierait le bras gauche demeure la seule possible : ce bras contrebalancerait ainsi le déséquilibre de la posture. Pour plaisante qu'elle soit, celle-ci ne semble cependant pas conforme à la réalité puisqu'aucune des deux jambes ne sert véritablement d'appui. De plus, le torse est construit selon deux lignes de fuite, à la hauteur des seins et des épaules, alors qu'il devrait constituer un seul ensemble 4.

Rien ne s'oppose à définir le sujet comme une Vénus : Aphrodite - Vénus est la seule divinité féminine importante qui soit représentée nue. Les exemples abondent à partir de la fin de l'époque classique. J'ajouterais cependant que la large diffusion des modèles de la statuaire grecque causa aussi la banalisation des thèmes en les faisant glisser du domaine religieux à celui de la scène de genre : ce que nous appelons une Vénus pourrait aussi bien n'être qu'une nymphe ou une baigneuse.

Statue 3/4 droit

Arguments en faveur d'une datation antique

Ce genre de statues de petite taille est bien connu dans l'Antiquité. Elles agrémentent, souvent placées dans des niches, toutes sortes de bâtiments religieux ou publics 5, en particulier des thermes. Elles font aussi partie de l'ornementation de maisons privées : à Délos, le nymphée de la Maison de l'Hermès contenait une statue de nymphe de taille comparable, en marbre de Paros ; une Vénus, plus petite que la nôtre, fut trouvée à Trèves dans un quartier d'habitation 6. Si la Vénus de Niederbronn est antique, nous devrions pouvoir la rattacher à un type de la statuaire gréco-romaine. Considérons donc à présent la statue comme si elle était entière, afin d'essayer d'en retrouver le mouvement et le modèle. Il est d'abord peu probable qu'elle ait fait partie d'un groupe : l'attitude et la nudité caractérisent à eux-seuls le thème de l'œuvre. Celui-ci, à partir de l'Aphrodite de Cnide de Praxitèle ou de l'Aphrodite Pudique, connut de nombreuses variantes à l'époque hellénistique et romaine. La posture de ces chefs-d'œuvre fut en particulier à l'origine de nouveaux types entre lesquels les contaminations ne sont pas rares.

  • 1. Le musée présente aussi un Janus, travaillé dans un marbre d'une autre qualité, et garde en réserve divers éléments sculptés dans ce matériau.
  • 2. E. Espérandieu, Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, VII, 1918, p. 171-224.
  • 3. Je suis reconnaissant à Monsieur Georges Eriau de m'avoir aimablement communiqué ces renseignements et fait part de ses observations. Je remercie également pour sa disponibilité Monsieur Pascal Prévost-Bourré, directeur de la Maison de l'Archéologie de Niederbronn.
  • 4. La distorsion du torse pourrait venir d'un artifice du sculpteur pour accentuer le mouvement de son œuvre : le Discobole de Myron, par exemple, tire son extraordinaire dynamisme de la combinaison de mouvements successifs. Dans le cas qui nous intéresse, il est plus difficile de trouver une raison à l'absence d'appui.
  • 5. Par exemple le temple d'Aphrodite à Cyrène. Cf. J. Huskinson, Roman Sculpture from Cyrenaica in the British Museum, Corpus Signorum Imperii Romani, Great Britain II, 1, 1975, p. 1-2 et pl. I, 2. Cf. aussi Espérandieu, XIII, 1949, 8207.
  • 6. Cf. J. Marcadé, Les trouvailles de la maison dite de l'Hermès à Délos, BCH LXXVII, 1953, p. 258 et suiv. Binsfeld, Goethert-Polaschek et Schwindler, Katalog der römischen Steindenkmäler des Rheinisches Landesmuseum Trier, 1, Götter und Weihedenkmäler, 1988, p. 162 et pl. 79 ; 327. Autre exemple à Théra : cf. Hiller von Gärtingen, Thera I, 1899, p. 251-252 et pl. 22.

Référence à citer

Marc Heilig, La Vénus en marbre de Niederbronn, archeographe, 2002. https://archeographe.net/La-Venus-en-marbre-de-Niederbronn