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Arguments à l'encontre de l'antiquité de la statue

Certaines particularités de sa facture apportent des éléments plus convaincants. Tout d'abord, la statue ne présente pas de mortaises qui eussent permis de rapporter la tête et les bras, selon un procédé courant et commode1. Or le sculpteur eut été bien audacieux de réaliser sa statue dans un seul bloc de marbre car, plus encore que sur une statue de grande taille, les coups de percussion de son travail pouvaient à tout instant briser le cou, et la taille des bras eut demandé une dextérité dont l'œuvre ne témoigne pas par ailleurs.

L'observation des sections des bras et du cou est plus édifiante encore. Bien que le temps ait pu émousser la pierre, le marbre n'y présente pas l'aspect cristallin de véritables cassures. Par contre, nous pouvons remarquer à ces endroits des traces de ciseau. Elles sont moins visibles au cou et au bras gauche, plus exposés au regard, mais particulièrement nettes au bras droit, dont on ne pouvait voir la section qu'en se plaçant en dessous de la statue. Là, les traces de l'outil sont régulières et l'on distingue encore le mordant du métal. Il apparaît ainsi que le sculpteur a aussi sculpté ces cassures, et que l'absence de tête et de bras est intentionnelle.

L'absence de toute trace d'éléments extérieurs à ce que nous connaissons de la statue et son manque de stabilité iraient aussi dans ce sens. La brisure des jambes deviendrait alors suspecte à son tour car aucun support, fût-il placé devant la déesse, ne saurait compenser un tel déséquilibre.

Il semblerait donc que la Vénus de Niederbronn ait été sculptée telle que nous la voyons, sans tête, ni bras, ni jambes. Dans cette hypothèse, nous sommes en droit de douter de son antiquité. La statue pourrait être un exercice de sculpteur : ceci en expliquerait les maladresses ou artifices et le peu de naturel de l'attitude, bien qu'on puisse s'étonner du choix d'un matériau aussi coûteux.

Nous ne devons pas non plus rejeter l'éventualité d'un faux. Dès le XVIIe siècle, des artisans peu scrupuleux ont profité de l'engouement pour les objets antiques et mis sur le marché des copies et des faux parfois d'excellente qualité. Un de ces ateliers semble avoir été très actif dans la région dans le courant du XIXe siècle. On se souviendra alors des soupçons d'Espérandieu au sujet de buste d'Homère de la même collection. La Vénus, d'ailleurs, laisse une impression de grâce qui n'est pas sans rappeler la sculpture du XVIIIe siècle français, en particulier la Baigneuse de Falconet.

Proposer une datation s'avère donc hasardeux. Plusieurs pistes pourraient encore être suivies. Ainsi, l'analyse du marbre révèlerait de quelle carrière il provient et, selon les dates d'exploitation, permettrait d'être plus précis. D'autre part, cette Vénus figure au catalogue d'un atelier de moulages réputé pour utiliser des moules anciens, l'Atelier Artisanal Guerrini, dont je n'ai pu trouver l'adresse. Les archives de cette entreprise donneraient peut-être des indications sur l'origine de la statue.

  • 1. Il n'était pas nécessaire de rapporter les jambes. On peut observer de telles mortaises aux bras de la Vénus de Milo : cf.  Pasquier, La Vénus de Milo et les Aphrodites du Louvre, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux 1985, p. 30.

Référence à citer

Marc Heilig, La Vénus en marbre de Niederbronn, archeographe, 2002. https://archeographe.net/La-Venus-en-marbre-de-Niederbronn