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La Grèce et Rome

Faisons maintenant un bond de près de 2000 km et de quelques centaines d’années dans le temps. Nous voici en Grèce, patrie des mathématiques et des démonstrations. En ce qui concerne la numération, ce n’est guère brillant. Autant les Grecs sont d’extraordinaires géomètres, autant ils sont de piètres calculateurs. Leur système de numération n’est guère supérieur à celui des Romains ou des Étrusques. Or, avec la numération des Romains, essayez donc de multiplier XXXIV par LVI (34x56) ! Quant à la division, mieux vaut ne pas y songer ! Le système grec ne vaut guère mieux et repose sur des principes similaires. Il n’y a guère qu’Archimède pour s’être inventé un système personnel de numération qui lui permettait de calculer le nombre de grains de sable remplissant la « Sphère du Soleil », soit l’univers connu à l’époque, ou encore de calculer la solution du problème des « bœufs du Soleil1 », problème qu’il avait posé à son ami Ératosthène, lequel avait, de son côté, calculé la dimension de la Terre par des méthodes géométriques.

Les Grecs, cependant, sont à l’origine de découvertes importantes dans le monde du nombre. Remontons aux alentours du VIe siècle av. J.-C. Nous sommes en Italie, à Crotone, colonie grecque. Pythagore de Samos y a fondé une école et y enseigne la « philosophie ». C’est l’époque où Science et Philosophie (terme inventé, dit-on, par Pythagore), ne font qu’un. Selon la tradition – car on sait peu de choses précises sur lui – Pythagore aurait remarqué que la hauteur des sons émis par une corde de harpe tendue est en rapport avec la longueur de la corde. Il serait ainsi le fondateur de la première théorie physique de la musique.

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Figure 4 : Buste de Pythagore de la Villa Borghèse.

Par ailleurs, en formant, à l’aide de petits cailloux, des carrés sur le sol, il remarque que le nombre total de cailloux formant le carré est égal au produit du nombre de cailloux formant le côté du carré par le nombre de cailloux formant le côté adjacent2. Cette remarque amène Pythagore (lui ou un membre de son école) a formuler et à démontrer son fameux « théorème de Pythagore », lequel concerne la relation entre les carrés des cotés de l’angle droit d’un triangle rectangle et le carré de l’hypoténuse. Relation que tout lycéen connaît et qui s’énonce ainsi : « dans un triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des cotés de l’angle droit ». Les Égyptiens savaient qu’un triangle ayant des cotés de 3, 4, 5 (ou des multiples de ces nombres), était un triangle rectangle, mais ne possédaient qu’une connaissance empirique de ce fait. Pythagore démontre que cette propriété est caractéristique d’un triangle rectangle, donc que tout triangle rectangle obéit à cette relation et, réciproquement, que si cette relation est vérifiée par un triangle, le triangle est rectangle.

Ce succès et sa théorie musicale amènent Pythagore à la formulation d’une théorie cosmologique selon laquelle les planètes3 sont réparties sur la sphère céleste dans les mêmes rapports que les notes musicales et évoluent ainsi dans un rapport harmonieux pour constituer la musique des sphères. À la suite de quoi, il proclame que « tout est nombre » - et par « nombre » il faut entendre : objets mathématiques qui ont commune mesure, qui sont commensurables. Toute sa philosophie se trouve bâtie sur ce constat.

Mais le ver est dans le fruit. Un disciple de Pythagore s’avise – le malheureux ! – de vouloir comparer l’hypoténuse d’un triangle rectangle de côtés respectifs de mesures 1 et 1 (un triangle « rectangle isocèle ») à l’un des côtés. Il utilise le théorème de Pythagore à cet effet et …patatras ! ne voilà-t-il pas que cette hypoténuse se trouve incommensurable aux côtés ! Autrement dit, il vient démontrer qu’il existe des nombres autres que les bons vieux nombres connus et n’ayant aucun rapport avec ceux-ci. Cela a pour effet de démolir toute la philosophie pythagoricienne. C’est la première grande crise intellectuelle provoquée par le nombre. Il y en aura d’autres. On montrera bien plus tard que le nombre que le disciple vient de découvrir et qu’on écrit de nos jours √2, appartient à une vaste classe de nombres qu’on nommera « nombres irrationnels ».

Les Grecs, dont Ératosthène déjà nommé, après avoir classé les nombres (que nous appelons nombres entiers) en deux catégories, les nombres multiples de 2, dits nombres pairs, et ceux qui ne le sont pas, les nombres impairs, découvrent aussi des nombres curieux qui ne sont divisibles que par 1 et par eux-même : les nombres premiers, qui semblent cependant déjà connus des Babyloniens.

Le mathématicien Euclide entreprend une synthèse de toutes les connaissances mathématiques de son temps dans un livre connu son le nom d’« Éléments ». Les lycéens le connaissent bien puisque qu’il forme l’essentiel de la Géométrie qu’ils apprennent à l’école. Dans ces Éléments, Euclide définit les nombres premiers de façon claire4 et démontre qu’ils forment une suite infinie (comme l’est d’ailleurs la suite des nombres pairs et impairs). À la suite de quoi, Ératosthène donne une méthode, connue sous le nom de « Crible d’Ératosthène » pour établir une liste de ces nombres premiers. Les nombres premiers seront l’objet d’étude de nombreux mathématiciens dont, au XVIIe siècle Fermat, puis au XIXe Riemann, qui émettra une conjecture célèbre et non démontrée à ce jour.

Mais voici que Rome conquiert et assujettit tous les anciens royaumes ou empires civilisés autour de la Méditerranée et, on le sait, Rome n’est guère connue pour s’intéresser aux questions intellectuelles lorsque celles-ci n’ont pas d’applications pratiques immédiates, c'est-à-dire ne concernent ni la guerre ni la construction. Les recherches sur le nombre entrent donc en sommeil, sauf peut-être celles de Diophante au IIe siècle, qui s’intéresse à un certain type « d’équation » que nous appelons en son honneur « équation diophantienne » ; ses travaux seront à l’origine du fameux « théorème de Fermat ».



  • 1. Le problème des bœufs d’Hélios figure sur un papyrus grec publié vers 1770 qui l’attribue à Archimède. Il s’agit de donner la taille du troupeau de bœufs du Soleil en tenant compte des conditions auxquelles il répond : un problème de recherche des solutions entières d’une équation polynomiale à coefficients en tiers (analyse diophantienne). La solution exacte ne fut donnée qu’en 1880 par A. Amthor. (NdR)
  • 2. De cette disposition en carré vient  l’expression actuelle de n x n = n2, énoncée « n au carré ».
  • 3. Soleil et Lune sont des planètes pour les Grecs : planète = astre errant.
  • 4. Cf. paragraphe ci-dessus.

Référence à citer

Guy Daney de Marcillac, Excursion au pays du nombre, archeographe, 2014. https://archeographe.net/excursion_au_pays_du_nombre