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L'équipement

Le « barda » du soldat en campagne pouvait atteindre 35 kg mais beaucoup de pièces d'équipement n'ont pas été représentées par le sculpteur. A première vue, on remarque surtout l’absence du havresac, dont l'autonomie et la survie du soldat dépendaient pourtant. Cet « as de carreau », ainsi que l’appelaient les poilus, se portait comme un sac-à-dos. Tout le paquetage y trouvait place.

Le havresac était constitué de toile cirée sur une armature de bois. D'abord de couleur sombre, il prendra une teinte gris-bleu en 1915, avec l'arrivée du bleu-horizon, puis beige1. Plutôt bien conçu, il était équipé de sangles et de bretelles. Il pouvait contenir, malgré sa petite taille et son aspect compact, vivres et gamelle, vêtements et souliers de rechange, ainsi qu’une partie du matériel collectif que les soldats se partageaient (piquets et sardines de tente, marmite, outils...). Il faut encore ajouter deux bidons, l'un de deux litres pour l’eau, l'autre d’un litre pour le « pinard ». Dans une certaine mesure, le soldat disposait son équipement à sa façon. Le tout pouvait faire entre 20 et 25 kg.

Or, Henri Bouchard, lui-même ancien poilu, savait toute l'importance de cet indispensable as de carreau ; il ne pouvait le laisser de côté. Et de fait, il n'a pas manqué de le représenter, mais posé au sol, à gauche derrière le soldat. En le plaçant à cet endroit, et non dans le dos, le sculpteur pouvait montrer ce que le poilu portait en bandoulière. La forme générale du havresac n'est qu'ébauchée sur la statue de Maizières, plus détaillée sur celle de Metz.

Notre poilu porte sa couverture individuelle en travers de la poitrine et, en bandoulière, divers éléments de son équipement dans le dos. La gourde, en fer étamé, était pourvue de deux embouts, l'un, plus large, pour la remplir, et l'autre pour boire à la régalade. Elle pouvait être munie d'une housse amovible2 qui la protégeait de la chaleur et amortissait le bruit du métal.

Derrière la gourde, on voit la vache-à-eau, qui était ordinairement fixée au havresac. En toile de jute et de lin, elle était renforcée par des cerclages en bois, qui permettaient de la plier complètement ; la poignée était en bois également. D'une capacité de 5 litres, ce seau en toile, d'une utilisation fort commode, remplaçait avantageusement les récipients en métal, plus lourds et plus sonores. On l'utilisait pour transporter de l'eau ou des liquides alimentaires, mais bien d'autres choses encore, du sable par exemple.

La musette, en toile brune, était d'une grande importance pour les soldats, qui en avaient souvent plusieurs. On en voit deux, de tailles différentes, sur nos statues. Dans la grande, le poilu mettait ce dont il pouvait avoir besoin : nourriture, médicaments, gamelle et quart... On peut penser qu'il se servait de l'autre pour ses papiers (pièces d'identité, livret militaire...) et des objets personnels.

Notre poilu dispose encore d'une toile de tente, roulée et maintenue par des sangles à la pelle qui se trouve à ses pieds à gauche. Chaque soldat, en effet, portait une partie de tente-abri : il en fallait 6 pour dresser une tente pour 6 hommes. D'ordinaire, cette toile de tente était attachée au dessus ou autour du havresac par des courroies de cuir3. Ces toiles, en coton imperméabilisé, étaient pourvues de boutons et d'œillets qui permettaient de les assembler aux cordeaux des piquets. En outre, le poilu transportait, parmi les pièces d'équipement collectif, d'autres éléments de la tente : cordeau, morceaux du mât en laiton, et piquets de bois appelés « sardines » en raison de leur forme4.

Dans le dos, enfin, le sculpteur a placé un étui de masque à gaz porté en bandoulière. L'armée française fut certainement prise au dépourvu par l'utilisation, en janvier 1915, de gaz de combat par les Allemands. Dans l'urgence, on équipa les soldats de baillons enduits d'une solution contre le chlore, le premier gaz utilisé. Ils ne protégeaient que la bouche et le nez, mais n'étaient d'aucun secours contre les graves brûlures des yeux. On réquisitionna d'abord les lunettes des civils, en particulier celles des automobilistes car elles offraient une meilleure protection. On proposa enfin un véritable masque à gaz au courant de l'année. Le dernier modèle, conçu en 1917, était très efficace mais ne fut distribué qu'en 1918. En toile, avec deux oculaires et une cartouche filtrante, il reprenait l'appareil allemand. Le poilu transportait son masque dans un étui cylindrique en tôle muni d'un couvercle ; la surface extérieure en est couverte de godrons verticaux en relief : il ne s'agit pas d'un décor, mais d'un procédé pour renforcer la solidité de la tôle5. C'est cette boîte que portent nos deux poilus en bandoulière.

Comme on peut le voir tout au long de cet article, l'équipement comportait un nombre considérable de sangles, courroies, bandoulières et bretelles qui, ajoutées au ceinturon et à d'autres pièces de support, les anneaux métalliques par exemple, permettaient de répartir le poids du barda et de l'armement. Le poilu était ainsi harnaché de toute part afin de mieux supporter sa lourde charge. Sur nos deux statues, le sculpteur a essentiellement montré cet aspect des choses par les objets portés en bandoulière, mais aussi par la grande bretelle qui, attachée au ceinturon, reportait sur les épaules le poids des cartouchières et de l'épée-baïonnette : un de ses points d'attache se trouve sous le bras gauche et on voit bien sur le torse ses deux branches, avant qu'elles ne disparaissent sous la couverture. 


Référence à citer

Marc Heilig, Frères d'armes, archeographe, 2020. https://archeographe.net/freres-d-armes