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La cathédrale gothique
Moins de deux siècle plus tard, l’évêque Conrad de Scharfenberg engageait la reconstruction de sa cathédrale dans le style gothique1. Les travaux commencent par la destruction de la nef de l'église ottonienne, mais n'en touchent pas encore le chevet ni le transept. L'édifice actuel apparaît véritablement vers 1240 : les collatéraux en gothique primitif, puis la nef principale en gothique rayonnant. On transforme aussi l'église N.-D. La Ronde pour l'accorder au nouveau bâtiment, en conservant toutefois la perpendicularité de leurs orientations2. Les bases des deux tours sont terminées dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, les fenêtres hautes au début du XIVe . La charpente est posée vers le milieu du siècle. L'empereur Charles IV put être accueilli dans la cathédrale lorsqu'il vint à Metz présenter la Bulle d'or, en décembre 13563.
Entre 1360 et 1380, le maître d’œuvre Pierre Perrat entreprend les voûtes qui établirent sa renommée. Il fait aussi abattre le mur entre Saint-Étienne et N.-D. La Ronde : la cathédrale est ainsi fortement agrandie par la réunion de ces deux églises à angle droit. Cela eut de grandes conséquences pour la forme de l'édifice. Le schéma d'une façade harmonique4, adopté par la plupart des cathédrales, disparaît ainsi au profit d'un mur entièrement ajouré avec rose, et les deux tours prévues dans ce projet se retrouvent en retrait, accolées à la nouvelle nef. En outre, l'entrée de l'édifice doit désormais se faire sur le flanc sud de la nef, par le Portail de la Vierge, qui est doté d'un décor sculpté digne d'un portail de façade5. Les vitraux des grandes baies sont confiés au maître-verrier Hermann de Münster, qui réalise la rose occidentale en 13816.
Faute de moyens suffisants, le chantier doit s'interrompre pour une longue période. On termine pourtant, après l'incendie de la toiture en 1468, l'élévation en pierre des tours de la Mutte et du Chapitre ; elles sont couronnées d'une flèche flamboyante par Hannes de Ranconval entre 1478 et 1481. Les travaux reprennent en 1486 : les derniers éléments ottoniens disparaissent et l'église gothique est enfin achevée. Cette campagne prend fin en 1504 avec la pose des vitraux de Théobald de Lixheim, puis de ceux de Valentin Bousch peu après. La cathédrale est consacrée le 11 avril 1552. Construite en pierre de Jaumont, un beau calcaire qui prend avec le soleil un éclat doré toujours renouvelé, la cathédrale Saint-Étienne a des dimensions impressionnantes : 136 m de long pour 33 m de large à la façade occidentale ; les voûtes de la nef centrale atteignent 41,41 m de hauteur, celles du transept 43,10 m; la Tour du Chapitre culmine à 69 m de haut et celle de la Mutte, avec sa flèche, à 93 m. Elle est parée d'un décor sculpté assez sobre à l'origine, mais plus présent dans les parties de style flamboyant.
Elle connaîtra des modifications plus ou moins heureuses par la suite. L'architecte Jacques-François Blondel, au XVIIIe siècle, élève un portail de style classique à l'ouest, détruisant pour cela l'étage inférieur de la grande verrière de Hermann de Münster ; il occulte aussi le bas du côté sud par des arcades en harmonie avec celles dont il ceinture la place voisine. Celle-ci y gagna certes en unité, mais au détriment de l'édifice gothique, comme si l'on avait voulu cacher ce monument d'un autre temps.
Au XIXe siècle, la cathédrale est dans un triste état. Dès le milieu du siècle, on songe à la rénover et à revenir au style originel. Puis la ville est annexée par la Prusse à la suite de la guerre de 1870. Le 7 mai 1877, un incendie ravage les toitures ; les murs menacent de s'écrouler. A la fin du siècle, l'architecte diocésain Paul Tornow entrepriend de grands travaux de restauration. La couverture est refaite en cuivre, on retire les aménagements de Blondel, et un nouveau portail, d'inspiration gothique, est édifié à la place du sien. Tornow était secondé par le sculpteur français Auguste Dujardin, auquel on doit les nombreuses sculptures ornent aujourd'hui aussi bien les portails que les parties hautes. Ces travaux ont longtemps été décriés, mais aujourd'hui que les polémiques ont disparu et que les esprits se sont apaisés, ils participent entièrement à l'image de la cathédrale 7. C'est particulièrement vrai pour les sculptures. Bien des visiteurs, voire les Messins eux-mêmes, ignorent qu'elles ne datent pas du Moyen-Âge mais ont été réalisées à la fin du XIXe siècle.
- 1. Plusieurs cathédrales de France sont reconstruites à cette époque : Reims (1207), Toul (1210), Le Mans (1217), Amiens (1221).
- 2. Au VIIe siècle, le roi d'Austrasie Dagobert et l'évêque de Metz Saint Arnoul avaient édifié l'église Ste-Marie, à proximité de l'oratoire St-Étienne. Après sa reconstruction en 1259, cette église prit le nom de Notre-Dame-la-Ronde en raison de sa forme en demi-rotonde.
- 3. La Bulle d’or, aussi appelée Bulle d’or de Nuremberg ou Bulle d’or de Metz, est le code juridique du Saint-Empire romain que l’empereur Charles IV promulgua le 10 janvier 1356 à la diète de Nuremberg et le 25 décembre 1356 à Metz. La Bulle d'or régit les institutions de l'Empire jusqu’à la dissolution de celui-ci en 1806. Le nom vient de la forme du document original, qui était scellé par une bulle en or. Un exemplaire original est conservé à Francfort, des copies aux archives de la Ville de Metz et à la Bibliothèque Nationale autrichienne.
- 4. La façade harmonique, inventée par les architectes normands au milieu du XIe siècle, est d'une composition assez simple : c'est un rectangle divisée en trois parties - avec chacune un portail - dont la plus large se trouve au centre. Les deux parties latérales sont surmontées de tours abritant les cloches et qui sont normalement symétriques. Cela permet un accès plus direct des fidèles à la cathédrale. La façade type d'une cathédrale est en effet la façade harmonique à tours symétriques. Cependant, si la symétrie est parfois strictement respectée, comme c'est le cas à Reims, à Laon ou à Notre Dame de Paris, il arrive bien plus fréquemment qu'elle ne le soit que partiellement. On y renonce à Metz pour privilégier les surfaces vitrées. Cf : http://architecture.relig.free.fr/facade.htm
- 5. Voir sur archeographe notre article à ce sujet : Marc Heilig, De l'arbre sec à l'arbre fleuri, archeographe, 2012. https://archeographe.net/arbre-sec-arbre-fleuri
- 6. Pierre Perrat et Hermann de Munster eurent tous deux le privilège d’être inhumés à l’intérieur de la cathédrale.
- 7. De tout temps, les cathédrales ont connu des transformations. On les réalisait dans le goût du moment, sans trop se soucier de pureté de style. C'est une particularité de notre époque que de vouloir nous faire vivre dans une sorte de musée : les discussions autour de la reconstruction de la toiture de Notre-Dame de Paris en sont un exemple récent.