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Les saints de la chapelle
Saint Vincent
Plusieurs saints sont vénérés dans la chapelle. Il nous a paru intéressant de nous attarder sur trois d’entre eux. Le principal est bien entendu Vincent de Saragosse, ou de Huesca, à qui le sanctuaire est dédié. Vincent était un diacre qui fut martyrisé en 304 ou 305 à Valence durant la persécution de Dioclétien. D’un point de vue historique, c’est à peu près tout ce dont nous sommes assurés. L’֤Église le reconnaît comme saint et martyr et le martyrologe romain honore sa mémoire le 22 janvier1.
La légende, toutefois, s’est rapidement emparée de saint Vincent. Sa Passion est rapportée très tôt, par le poète Prudence et par saint Augustin, qui sont chronologiquement les plus proches des faits et qui les relatent dès la fin du IVe s. Prudence2 fait intervenir le juge de Valence Dacien, devant lequel comparaît le diacre Vincent avant d’être supplicié. Afin d’en faire un héros de la foi, le poète utilise des clichés littéraires communs à ce genre de récit. Il détaille par exemple ses tortures avec une certaine complaisance. Le jeune homme est enfin jeté dans un cachot où des anges viennent le réconforter, ce qui conduit le gardien à se convertir. Les miracles se poursuivent : livré aux fauves, le corps de Vincent est défendu par un corbeau ; il est ensuite plongé dans la mer, une meule attachée au cou, mais il flotte. Les flots le rejettent sur le rivage de Valence, où le découvrent des fidèles.
D'autres écrits étoffèrent cette tradition par la suite. Ils y ajoutèrent maints détails, la plupart imaginaires, et créèrent autour du saint un faisceau de légendes qui se complètent et se contredisent parfois. Ainsi, en 1689, le bénédictin dom Ruinart mentionne ses parents, qui appartiennent à la noblesse de Huesca, dans le nord de l'Espagne. Il introduit aussi l'évèque Valère lors du procès, n'hésitant pas à puiser dans la vie de saint Augustin : Valère avait un défaut d'élocution et avait ordonné Vincent pour prêcher à sa place3. Le poète espagnol Gonzalo de Berceo, au XIIIe s., situe même l'origine de saint Vincent à Huesca, au lieu de Saragosse comme l'affirmait Prudence4.
La renommée de saint Vincent n’a cessé de s’amplifier tout au long du Moyen Âge, d’abord dans la communauté chrétienne de Valence, mais aussi à Saragosse, où se trouvait sa tunique5. Dès le VIe s., la dévotion s’était étendue à tout l’Empire romain d’Occident, comme l’attestent le vocable de nombreuses églises. Cela s’accrut encore avec la multiplication des reliques. Le tombeau du saint martyr semble en effet avoir été ouvert dès le Ve s. Au VIe s., Hadoin, évêque du Mans rapporte que son prédécesseur saint Domnole avait déposé le chef de saint Vincent dans la basilique qu’il avait fondée en 572 pour l’accueillir. Le corps était donc déjà dispersé à cette époque.
Pourtant, trois communautés affirmaient le posséder dans son entier. Ces revendications nous sont connues par des textes qui contredisent l’épisode du Mans et présentent bien des incohérences. L’une prétend qu’en 854, le moine Audalde, de l’abbaye de Conques, aurait retrouvé la tombe de saint Vincent dans les ruines d’une église de Saragosse, alors aux mains des musulmans. Le moine fut arrêté par l’évêque de la ville et ne put rapporter le corps dans son abbaye. Une dizaine d’années plus tard, Audalde accompagna le comte Salomon de Cerdagne, qui se fit remettre le corps par l’émir de Cordoue ; une basilique fut fondée en l’honneur de saint Vincent. Selon une autre tradition, le corps du saint aurait été transporté au Portugal au XIIe s. par un prêtre de Lisbonne et déposé dans la cathédrale. L’un de ces récits, toutefois, nous touche de plus près car il concerne Metz. Le corps de saint Vincent aurait été offert en 969 à l’évêque de Metz Thierry I, proche des empereurs Otton I et II, mais la translation ne se serait faite qu’un siècle plus tard, lorsque des religieux de Remiremont purent le rapporter à l’abbaye St-Vincent de Metz.
L’iconographie de saint Vincent le montre d’abord comme un orant, puis un martyr. Sa Passion n’est illustrée qu’à partir du XIe s. en Italie et en Espagne, et enfin en France au XIIIe s. Il est alors représenté en jeune diacre, vêtu de la dalmatique. Il porte l’évangéliaire et la palme des martyrs, mais aussi les instruments des supplices qu’il a endurés (chevalet, gril hérissé de clous, ongles de fer, meule). Ce n’est qu’après le XVIe s. que la tradition populaire en fait le patron des vignerons, des marchands de vin et des vinaigriers6. Il acquiert alors de nouveaux attributs en rapport avec cette activité (serpe, serpette) ; il enseigne aux vignerons les différentes étapes de la culture de la vigne. Bien qu’aucun texte ne vienne étayer ce patronage, la date de la fête de saint Vincent, le 22 janvier, est celle que certains dictons conseillent pour la première taille de la vigne.
Saint Vincent faisait l'objet d'un pèlerinage à la chapelle de Faulquemont où, plutôt que sa qualité de parton des vigneron, on avait retenu la victoire du martyr sur ses souffrances. Un superbe buste contenait des reliques du saint; il est actuellement posé sur le maître autel. Le vitrail du chœur, à la manière de Valentin Bousch, présente vraisemblablement le martyre de saint Vincent.
Saint Wendelin
Deux statues sont exposées dans le chœur de la chapelle, celles de saint Wendelin et de sainte Oranne. Ils étaient frère et sœur et seraient nés dans une famille noble d’Irlande au milieu du VIe s. Wendelin suivit une longue et solide formation dans un monastère mais, renonçant à sa destinée, il s’exila pour mener une vie de prière, à moins qu’il ne se soit engagé dans une de ces expéditions missionnaires si fréquentes à cette époque7. Après avoir été approuvé par le pape Benoît I, vers 577, Wendelin vécut d’abord en ermite dans la forêt d’Einsiedeln, en Suisse, puis s’établit dans les environs de Trèves. Il s’engagea au service d’un propriétaire terrien pour s’occuper des animaux. Sa réussite en tant que berger attisa les jalousies mais son maître lui garda pourtant sa confiance car les troupeaux prospéraient sous sa garde. Le jeune homme avait aussi le don de faire surgir une source dont l’eau était bénéfique aux hommes comme aux bêtes. Convaincu par ces miracles, le propriétaire se convertit au christianisme. Il offrit une terre à Wendelin près de St-Wendel, où celui-ci fonda un nouvel ermitage. Vers 596, l’évêque de Trèves Magnéric lui proposa de diriger l’abbaye bénédictine de Tholey. Wendelin conserva ce ministère jusqu’à sa mort, en 617.
Son corps fut transféré à Trèves, avant de revenir à St-Wendel, où les moines, selon la légende, lui auraient édifié un superbe tombeau. Or, le lendemain de l’enterrement, on retrouva la tombe ouverte et le cadavre à côté. On le remit en place, mais cela se reproduisit. Si bien que les religieux, obéissant à la volonté divine, le placèrent sur une charrette et laissèrent les bœufs la mener à leur guise. Ils s’arrêtèrent à l’endroit de l’ancien ermitage, qui est vraisemblablement l’emplacement de la basilique actuelle. La ville de St-Wendel doit sa prospérité au tombeau et au pèlerinage de saint Wendelin. La dévotion au saint ne cessa de s’étendre. De très nombreuses églises et chapelles lui sont dédiées en Rhénanie-Palatinat, en Sarre, en Suisse, en Lorraine et en Alsace. Son culte fut officiellement établi en 1450 par le pape Nicolas V.
Sainte Oranne
Comme son frère, Oranne avait quitté famille et pays pour se consacrer à Dieu dans la solitude. Avec sa compagne Cyrilla, elle aurait évangélisé les vallées de la Moselle et de la Sarre ; toutes deux furent inhumées dans l’église d’Eschweiler, en Sarre. De ce village, détruit au cours des guerres du XIVe s., ne reste que la chapelle Ste-Oranne, qui fait l’objet d’un pèlerinage renommé dans les environs. En 1480, les deux saintes furent exhumées ; on plaça leurs ossements côte à côte dans un sarcophage qui fut enseveli au même endroit. En 1719, on transféra leurs reliques à l’église de Bérus, un quartier d’Überherrn (Sarre) ; elles échappèrent à la Révolution grâce aux habitants, qui les cachèrent dans la forêt. Une nouvelle translation eut lieu pendant la Seconde Guerre Mondiale, à Lebach d’abord, puis en l’église St-Louis de Sarrelouis. Sainte Oranne est la patronne de la Lorraine germanophone8. On la priait pour soulager les vertiges, les maux de tête et les affections de l’oreille9, mais aussi pour trouver un mari.
- 1. On lira avec intérêt l’excellent article que Wikipédia consacre à Vincent de Saragosse.
- 2. Peristephanon, Hymne V.
- 3. La vie de saint Augustin comprend un épisode analogue : l'évêque d'Hippone, lui aussi nommé Valère, parlait mal le latin parce qu'il était grec et avait confié à Augustin la tâche de prêcher l'Évangile.
- 4. Le culte de saint Vincent est néanmoins ancien à Huesca.
- 5. Selon Grégoire de Tours, les processions de cette tunique autour des remparts, accompagnées de prières, évitèrent à la ville d’être assiégée par Childebert Ier en 542. Ce vêtement sacré aurait été remis au roi pour qu’il retire son armée. Pour conserver cette précieuse relique, Childebert fonda en 543 la basilique St-Vincent -et-Ste-Croix à Paris. C’est dans cette église, qui prit plus tard le nom de St-Germain-des-Prés, qu’il fut inhumé en 548.
- 6. On rapporte pourtant que dès le IXe s. les vignerons de Metz avaient dédié une église à saint Vincent sur l’île Chambière, où ils étaient nombreux.
- 7. De nombreux missionnaires irlandais partirent de leur île en ce temps-là pour évangéliser les campagnes de Gaule. Les plus connus sont saint Colomban, saint Patrick et sainte Brigide.
- 8. Elle est aussi la patronne de la communauté de paroisse de la colline St-Vincent.
- 9. Selon une autre tradition, Oranne était la fille d’un duc de Lorraine, qui l’aurait repoussée parce qu’elle était sourde. On dit qu’elle aurait sauvé un chasseur égaré et l’aurait guéri de sa surdité.