Vous êtes ici
Les sarcophages du cimetière
Ces sarcophages forment l’un des plus beaux ensembles de Provence, au point qu’on parle parfois, en référence à la célèbre nécropole d’Arles, des Alyscamps de Mazan. Ils se trouvent aujourd’hui au cimetière de la commune mais nous ignorons où ils ont été découverts. D’aucuns pensent qu’ils étaient dès l’origine à cet emplacement, qui a une fonction funéraire depuis fort longtemps1 : on les voit en effet, accompagnés de cyprès, sur un tableau du XVIIe s. conservé au Musée de Mazan. Mais d’ordinaire, on admet plutôt qu’ils se trouvaient le long de la voie romaine du chemin Mercadier, à quelques 2 km de là. Bien que rien ne vienne l’appuyer, cette hypothèse est intéressante car, comme on le sait, la coutume romaine disposait fréquemment les sépultures aux abords des routes. Enfin, la possibilité qu’ils proviennent de plusieurs sites ne peut être écartée de façon définitive2.
Quoiqu’il en soit, les sarcophages se trouvaient déjà sur la colline du cimetière en 1740 : ils sont mentionnés pour la première fois à cette date dans une délibération du conseil municipal qui entérine la décision de les conserver à cet endroit. A une époque indéterminée, on a remployé des couvercles pour reforcer et couronner les contreforts de la chapelle de N.-D. de Pareloup. En 1842, on comptait 144 sarcophages. Il n’en reste aujourd’hui que 64 : 62 ont été alignés en 1858 sur le mur de clôture que l’on venait de construire, comme on le voit actuellement ; deux autres ont été posés de part et d’autre de l’entrée ouest.
Les sarcophages du cimetière de Mazan sont tous de forme rectangulaire. Ils sont taillés dans un calcaire local ; le travail est assez grossier et leur donne un aspect massif. Chacun est composé d'une cuve et d'un couvercle monolithiques. Les dimensions extérieures de la cuve sont en moyenne de 1,80 m de long pour 0,76 m de large et 0,62 m de haut ; les parois font environ 8 cm d’épaisseur.
Pour la plupart, les couvercles sont en bâtière, mais un certain nombre sont arrondis. Le décor est rare et, lorsqu’il existe, se limite le plus souvent à des acrotères aux quatre angles et au milieu des longs côtés du couvercle, quelle que soit sa forme. L’un des sarcophages n’a qu’un seul acrotère, au milieu d'une des pentes. Un autre type de décor se rencontre plus rarement : une bande plate plus ou moins large au sommet de l'arrondi ou de la pente qui, dans ce cas, n’est plus en angle aigu.
Quelques-uns de ces sarcophages ont un décor gravé ou en relief : rectangle sur les deux pentes d’un couvercle en bâtière, ou restes très érodés de représentations symboliques (couronne, croix, ascia3, outils d’artisans ou de paysans…). Ces motifs sont aujourd'hui difficiles à distinguer. Aucun sarcophage de Mazan ne porte d'inscription, ni même d'emplacement qui aurait pu en contenir.
Plusieurs sites funéraires offrent des monuments que nous pouvons rapprocher de ceux de Mazan. En Arles, la nécropole des Alycamps s’étend sur une longue période, du Ie au Ve s. au moins. En dehors d’œuvres d’exception, un bon nombre des sarcophages y sont du même type que ceux de Mazan : cuve et couvercle monolithiques taillés dans le calcaire local, couvercles en bâtière ou arrondis4, avec ou sans acrotères5.
L’église Saint-Irénée, à Lyon, occupe l’emplacement d’une nécropole romaine qui a conservé une fonction funéraire à l’époque paléochrétienne. A l’ouest et au nord de l’église ont été retrouvées plusieurs sortes d’inhumation : des coffres de dalles, des tombes en pleine terre, des sarcophages en demi-cuves accolées, mais surtout des sarcophages monolithiques6 dont la forme et la taille rappellent ceux de Mazan.
Les fouilles de Ménerbes (Vaucluse) ont mis au jour, dans un contexte cohérent, chrétien dès l’origine, un ensemble de constructions du VIe s. disposées autour d’une cour, avec une église au nord7. De nombreux sarcophages avaient été rassemblés dans un bâtiment funéraire bordé d’une galerie, à l’est de la cour, et d’autres dans un édifice accolé au sanctuaire. Leurs caractéristiques sont fort semblables, la principale différence étant le décor de certains couvercles, plus élaboré que ce que l’on observe à Mazan. Le couvercle 28 de Ménerbes, avec une grande croix dont la hampe court sur toute l'arête supérieure, trouve toutefois un exemple approchant à Mazan. Comme les sarcophages de Ménerbes ont été retrouvés in situ, la description qu’en donnent les auteurs apporte des précisions intéressantes, notamment sur le contexte et sur l’aspect intérieur. En voici quelques extraits.
Le bâtiment oriental, dans sa superficie fouillée comprenant une pièce et galerie, contient 39 sépultures, dont 28 sarcophages, 10 tombes à coffrages de tuile, et une inhumation « en pleine terre ». (…) Les sarcophages sont tous monolithiques, taillés dans le calcaire local. (…) Les cuves sont toutes du même type, généralement parallélépipédiques, longues en moyenne de 2 m, larges de 0,70 m. (…) Parfois, l’un des petits côtés est un peu plus étroit que l’autre, mais seule une cuve présente un net rétrécissement. (…) A l’intérieur, les traces, en chevrons, ont un caractère de grande fraîcheur. Dans l’une des cuves (38) est aménagé un coussinet de quelques centimètres de hauteur afin de recevoir la tête. Dans deux autres cuves (21 et 42), ce coussinet est recreusé à cet effet en cavité. A l’uniformité générale s’oppose la cuve du sarcophage 42 qui montre sur l’un des petits côtés, celui tourné vers l’ouest, un cercle à l’intérieur duquel s’inscrit une croix, le tout en relief. Cette marque chrétienne est la seule retrouvée sur la paroi externe d’une cuve. Quant à la cuve 145, c’est la face intérieure du petit côté placé au nord, du côté de la tête, qu’avait été gravé un graffiti en forme de croix monogrammatique. Il existe d’autres signes chrétiens sur les couvercles. La forme de ceux-ci était généralement en bâtière, parfois plutôt bombés, avec acrotères d’angles et médianes en pointe de diamant ou de forme approximativement sphérique. (…)
Trois sarcophages seulement ne contenaient qu’un seul individu. (…) La réinhumatio, qui permet de compter parfois trois corps dans une même tombe, s’effectue soit par une superposition pure et simple, soit par une réduction préalable.8
En revanche, la forme trapézoïdale, telle qu’on la rencontre dans le vaste cimetière mérovingien près de l’église de Civaux (Vienne)9, est totalement absente à Mazan. Elle apparaît au cours du VIe s. Les sarcophages mazanais sont donc antérieurs.
On peut les dater de la fin du IVe s. ou du Ve s. mais l'ensemble n'est peut-être pas si homogène qu'il y paraît car certains pourraient dater du début du VIe s. Ils appartiennent ainsi à l’art paléochrétien de la fin de la période romaine ou du début des temps mérovingiens, une époque où, sous l'influence du christianisme, l'inhumation prend le pas sur l'incinération ou l'a déjà remplacée. Ils ont vraisemblablement été réalisés pour servir de sépulture aux membres d'une communauté chrétienne. Certains motifs ornementaux comme la croix, voire le niveau d’architecte, le confirmeraient, bien que d’autres, l'ascia et la couronne par exemple, conservent un lien avec l'Antiquité païenne. Et en dépit d'un aspect assez fruste, ces sarcophages représentent un travail artisanal important, sans doute assez coûteux. On peut donc penser que les commanditaires étaient d'un niveau social plutôt aisé.
- 1. L’endroit était peut-être sacré à l’époque gallo-romaine car on y a retrouvé une urne cinéraire. On lit qu’elle est conservée dans la chapelle de N.-D. de Pareloup. Celle-ci fut édifiée vers le XIe s. mais des substructions mises au jour dans le chœur donnent à penser qu’elle a remplacé un édifice plus ancien.
- 2. En effet, le territoire de Mazan a livré d’autres sarcophages du même type que ceux du cimetière, au lieu-dit La Condamine (CAG 10) et parmi les sépultures de la nécropole de Saint-Andéol (CAG 17). En revanche, celui qui est réutilisé comme abreuvoir dans la cour d’une ferme du lieu-dit Le Roumiguier en diffère par sa forme trapézoïdale (CAG 51).
- 3. Le symbole funéraire de l’ascia représente une herminette. Malgré de nombreuses interprétations, sa signification exacte est inconnue. On le rencontre en Dalmatie au milieu du Ie s. av. J.-C. sur des stèles de légionnaires, à Lyon dans la seconde moitié du Ie s. ap. J.-C. puis dans toute la Gaule. Cf. A. AUDIN et Y. BURNAND, Chronologie des épitaphes romaines de Lyon, Revue des Études Anciennes, t. 61, no 3-4, 1959, p. 320-352.
- 4. On y trouve aussi des couvercles plats.
- 5. Les plus anciens sarcophages d’Arles répondent aux coutumes païennes. Beaucoup sont en marbre et richement ornés de bas-reliefs, selon un type très répandu dans l’Antiquité qui se poursuivra au delà de l’apparition du christianisme ; les premiers motifs chrétiens apparaissent au IIIe s. Cf. F. BENOÎT, Sarcophages paléochrétiens d'Arles et de Marseille : Fouilles et monuments archéologiques en France métropolitaine, Paris, CNRS, Suppléments à Gallia V, 1954. P.-A. FÉVRIER, Sarcophages d'Arles, Publications de l'École française de Rome, Rome, n° 255, 1996.
- 6. Quelques-uns de ces sarcophages sont exposés dans la cour de l’église.
- 7. Cf. I. CARTON et M. FIXOT, Saint-Estève de Ménerbes, Archéologie, in Provence Historique, t. XLII, fasc. 167-168, 1992, p. 186-206.
- 8. CARTON et FIXOT, op. cit. p. 198-200.
- 9. Cf. K. ESCHER, La Ville aux milliers de sarcophages, L'Archéologue n° 94, février-mars 2008, p. 44-47.