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Sumer

Nous sommes aux environs de 3300 av. J.-C. dans le pays où se rejoignent les deux fleuves1, une partie de la contrée que plus tard les Grecs nommeront « Mésopotamie ». Dans cette région s’est lentement formée une civilisation connue sous le nom de Sumer. C’est un groupe d’agriculteurs-éleveurs qui peu à peu a créé des villes (qui deviendront des cités-état) où se font des échanges de divers produits et aussi d’idées. Pour fixer ces échanges, on invente peu à peu un système de représentation graphique désignant ces objets2. Ce sont tout d’abord ce qu’on appelle des « pictogrammes » ou dessins des objets désignés.

Vers 2700 av. J.C., ces pictogrammes se sont abstraits en signes représentant non plus des objets mais des sons ou des idées et deviennent une véritable écriture. On l'appellera plus tard « cunéiforme » (en forme de clou) parce qu’elle se présente sous forme de « coins » imprimés dans de l’argile avec des spatules taillés en biseau.

Or, pour les échanges « commerciaux », il est aussi nécessaire de compter les objets ou le bétail négocié. À l’origine, le comptage se fait à l’aide de petits cailloux3 ou parfois de figurines encloses dans de petites boules d’argile et représentant le nombre de têtes de bétail que possède le propriétaire du troupeau. Parallèlement à l’évolution de l’écriture, le nombre représenté par les cailloux finit par s’abstraire suite à une longue évolution, et va prendre une forme « écrite ». Nous ne décrirons pas cette évolution4.

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Figure 2 : La numération sumérienne. 

Et nous voici arrivé au premier système de numération connu : « 1 » était noté par un « clou » vertical, « 2 » par 2 clous verticaux, « 3 » par 3 clous verticaux, la dizaine par un « chevron », la soixantaine par un « clou » vertical plus épais etc. A ce stade, une remarque s’impose : les Sumériens comptaient par multiples de soixante – on ne sait pour quelle raison - bien que connaissant aussi un système de base dix. Nous reviendrons là-dessus un peu plus loin.

Nous avons dit que l’agriculture et l’élevage jouaient un rôle important dans cette civilisation. Or les Sumériens n’avaient pas été sans remarquer le rôle de la Lune et du Soleil dans les variations journalières et saisonnières. De plus, ils attribuaient aux astres des fonctions divines. Il fallait donc étudier ces astres pour comprendre les intentions des dieux. C’est ainsi qu’ils inventèrent l’astronomie, qui était d’ailleurs plutôt de l’astrologie puisque liée à une forme de divination. Ceci exigea un système de comptage de plus en plus rigoureux. D'autre part, pour les besoins pratiques de partage des biens ou des champs, le système de numération évoqué plus haut n’était guère pratique dés qu’il s’agissait de faire des calculs un peu complexes. Les Sumériens aboutirent ainsi à la notion de numération de position et de base d’un système.

De quoi s’agit-il ? Supposons qu’on dispose d’un certain nombre d’objets tous semblables et de paniers ne pouvant contenir que, disons, dix de ces objets chacun. Alignons ces paniers en convenant que le premier panier représente les unités, le deuxième les dizaines, le troisième les centaines, le quatrième les milliers etc. Si je mets 3 objets dans le premier panier, 2 dans le second et 4 dans le troisième, en tenant compte de la convention, j’aurai :

3 unités + 2 dizaines+ 4 centaines,
c'est-à-dire, avec nos chiffres :
3x1 + 2x10 + 4x100 = 423

On aura remarqué que les « paniers » ont ici les valeurs respectives de 1, 10, 100. C’est ce type d’écriture qu’on appelle « numération de position » car la valeur de chaque chiffre dépend de sa position relative, en sachant que le chiffre le plus à droite a pour valeur celle désignée par le chiffre représenté multipliée par 1. Dans cet exemple, la base est 10. C’est le système que nous utilisons habituellement.

Conjointement à ce système, les Sumériens en utilisaient un autre, de base 60 celui-ci. On ne sait pas pourquoi ce système avait leur préférence, surtout pour les calculs d’astronomie. C’est ainsi qu’ils partagèrent le cercle imaginaire de l’horizon en 360 degrés, ce qui correspondait à l’année de 360 jours ainsi qu’ils l’avaient déterminée dans un premier temps. Nous avons conservé des vestiges de ce système « hexagésimal » lorsque nous comptons les heures, minutes ou secondes de nos horloges, ou encore lorsque nous déterminons la valeur d’un angle en degrés5.

Toutefois, la numération de position, telle qu’elle était, souffrait d’un grand inconvénient : qu’en était-il si, par exemple le deuxième panier était vide ? Ce que nous écrivons par exemple 602 se serait alors noté 62. Autrement dit 602 (six cent deux) et 62 (soixante deux) n’étaient plus distincts. La situation était grave. Après une période de flottement où les Sumériens eurent recours à diverses astuces, ils trouvèrent la solution, d’abord en écrivant 6 2, l’espace représentant le panier vide, puis 6.2. Ils venaient d’inventer le zéro ! Mais attention ! Ce zéro n’est pas notre zéro, qui a une valeur ordinale (il désigne un rang, une position) et une valeur cardinale (c'est-à-dire une valeur numérique, opératoire) alors que le zéro sumérien n’a qu’une valeur ordinale.

Notons que bien plus tard, et dans une région du Monde très éloignée de Sumer, la civilisation olmèque inventa un calendrier au « compte long » que les Mayas, leurs successeurs précolombiens, développeront en le complétant par un système de position de base vingt comportant, lui aussi, un zéro ordinal. Système qui leur a permis la mise au point d’un calendrier dont la précision n’a été dépassée que par celle des astronomes modernes.

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Figure 3 : La numération maya.

 

La base vingt semble avoir été utilisée aussi par les Gaulois. Il en reste des traces dans notre façon de compter, ainsi lorsque nous disons quatre-vingt (4x20) au lieu d’octante comme disent, de façon plus logique et plus cohérente, les Belges ou les Suisses. Il fut un temps, pas si éloigné, où, dans le langage courant, on disait aussi vingt sous pour un franc (1 sou = 5 centimes, 20 sous = 20x5 = 100 centimes = 1 Franc).

Restent les fractions. Comme le feront les Égyptiens, les Sumériens ne calculent qu’avec des fractions ayant 1 pour numérateur, 2/3 et 3/4 exceptés. Pour des fractions plus complexes, ils cherchent à les approximer par des sommes de fractions ayant toutes 1 comme numérateur. Ce système de numération va permettre aux Sumériens et aux Babyloniens qui les suivent de calculer des surfaces et même de résoudre des équations allant jusqu’au second degré. Comme par exemple, en langage moderne : Trouver le côté d’un carré dont la surface ajoutée à deux fois la longueur de son côté soit égal à trois. Bien entendu, comme ils ne considèrent que des solutions « réelles », entendez géométriques, ils ne trouvent que la solution égale à 1.



  • 1. Le Tigre et l’Euphrate. (NdR)
  • 2. On rappelle ici ce que diront plus tard les Romains : « scripta manent » (les écrits restent).
  • 3. En latin, calculus, d’où le mot calcul.
  • 4. Pour plus de détails voir Georges Ifrah.
  • 5. Les mathématiciens modernes se libéreront de cette façon de mesurer les angles en ayant recours à une mesure d’angle jugée moins arbitraire : le radian, le cercle ayant pour valeur 2π radians.

Référence à citer

Guy Daney de Marcillac, Excursion au pays du nombre, archeographe, 2014. http://archeographe.net/excursion_au_pays_du_nombre