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La Renaissance

En 1202, paraît sous la plume de Léonard de Pise, plus connu des mathématiciens sous son vrai nom Léonardo Fibonacci, un ouvrage intitulé Liber Abaci. Ce livre expose, pour la première fois en Occident, le système et les méthodes de calcul « arabes ». Fils de commerçant italien, Léonard avait suivi son père en Algérie où il avait appris l’utilisation des « chiffres » (de l’arabe cifra, qui désignait tout d’abord le zéro) et en avait compris l’intérêt. Le livre a rapidement du succès… auprès des banquiers qui comprennent l’avantage de cette numération et des méthodes de calcul qui s’y rapportent. Les universitaires sont moins enthousiastes.
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Figure 7 : Le Liber Abaci de Fibonacci.

Il y a à cette réticence deux explications. La première est due aux circonstances historiques du moment : nous sommes à l’époque des croisades et ces chiffres viennent des « infidèles » ; ils ont donc un relent diabolique. Il existe une autre raison, intellectuelle celle-là : la philosophie dominante dans les universités, et approuvée par l’Église, est celle d’Aristote. Or Aristote déclare que le vide n’existe pas dans la Nature, et voilà que le système prôné par Fibonacci prétend attribuer un signe, une valeur, à ce rien, ce vide qui n’existe pas. Cela paraît un non-sens ! Peu à peu, pourtant, les réticences s’effacent et le système fini par s’imposer.

L’introduction du zéro et des méthodes algébriques font apparaître un nouveau (en Occident) type de nombres : les nombres négatifs. Là encore, ces nombres ont du mal à se faire accepter des mathématiciens, qui sont encore très pris par la Géométrie et ne voient pas comment représenter ces nombres dans un cadre géométrique. D’où ce nom de « numeri absurdi » (nombres absurdes) qui leur sera donné jusqu’à la Renaissance, et même au-delà puisqu’à la Révolution française, Lazare Carnot les considère encore avec une certaine méfiance. Il semble pourtant que dès le deuxième siècle, les Chinois, et plus tard les Indiens, les interprétaient comme des dettes ; il est vrai qu’ils étaient vus alors sous un aspect commercial et non mathématique. En Occident, leur interprétation mathématique ne se fera jour que grâce à Descartes et à sa « Géométrie analytique ».

La Renaissance italienne voit fleurir un bon nombre d’algébristes qui s’attaquent au problème de la résolution des équations du troisième et quatrième degré. Ils y parviennent avec succès, sauf pour l’équation du cinquième degré, dont il sera démontré plus tard1 que la résolution par radicaux est impossible au-delà du degré 5.

Dans la foulée, le soupçon naît que le nombre de solutions d’une équation de degré n (entier) est égal à n2. Girolamo Cardan fait confiance à cette intuition et postule l’existence d’un nombre « imaginaire » (c’est Descartes qui le baptisera ainsi) qui lui permet de trouver n solution pour une équation de degré n.
Qu’est donc ce nombre imaginaire ? Supposons qu’on veuille résoudre l’équation x² + 1 = 0. En appliquant les règles de l’algèbre, on doit donc avoir x² = -1. Autrement dit, il s’agit de trouver un nombre dont le carré est égal à -1,  ce qui veut dire un nombre qui, multiplié par lui-même, donne un nombre négatif, chose impossible d’après les règles de la multiplication car : (+1) x -(+1) = +1  et (-1) x (-1) = +1. Cardan franchit alors le pas en posant i = √-1, donc i² = -1. C’est le nombre imaginaire.
Le tour est joué. Grâce à ce nombre, les équations de degré n auront maintenant n solutions. Plus tard, ce nombre deviendra indispensable à la résolution de nombreux problèmes dont, notamment, des problèmes de physique (Théorie des ondes, Mécanique Quantique etc.)



  • 1. Au XIXe siècle avec la théorie des Groupes de Galois.
  • 2. La démonstration de la véracité de cette affirmation ne viendra qu’avec D’Alembert au XVIIIe et, de façon plus précise, avec Gauss au XIXe.

Référence à citer

Guy Daney de Marcillac, Excursion au pays du nombre, archeographe, 2014. http://archeographe.net/excursion_au_pays_du_nombre