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La double canalisation
Ce pont portait la double canalisation1, qu'on ne peut l'observer qu'à Ars et à Jouy. Son soubassement est fait d'un lit de moellons au dessus de grandes dalles posées de chant. Quatre couches différentes recouvrent ces fondations2. Un mortier de tuileau très fin tapisse le fond des canaux3. La transition avec les parements se fait par un quart-de-rond.
Leurs parements intérieurs sont montés en briques plates et triangulaires4 et couverts d'un mortier de tuileau sur une hauteur de 0,92 m5. Six assises de petit appareil surmontent les briques triangulaires. Cette construction extrêmement soignée visait à éviter la dilatation et les fissures, et donc les fuites.
Les canaux pouvaient avoir 1,80 m de haut. On devait en effet y pénétrer pour des vérifications et des réparations. La double canalisation trouve là son explication : pendant qu'on travaillait dans l'un, on déviait l'eau dans l'autre pour ne pas interrompre la distribution. Ces travaux d'entretien étaient indispensables car, comme on avait augmenté la pente dans ce tronçon pour éviter le gel, l'érosion y était plus forte6. Les ouvriers entraient par les bâtiments d'Ars et de Jouy. Peut-être y avait-il des regards intermédiaires sur le pont. Sur une si longue distance, cela aurait rendu leur travail moins pénible. Le manque d'air et de lumière était peut-être compensé par des ouvertures pratiquées en hauteur7. Il fallait aussi pouvoir inspecter l'extérieur de la maçonnerie. Pour cela, un marche-pied courrait des deux côtés de la canalisation, en encorbellement sur le tablier du pont. On peut l'observer à Ars, peu après la sortie du bassin8.
Comment était couverte cette canalisation ? Il est certain que le pont a été conçu d'une largeur suffisante pour un double canal. Jusqu'à présent, on a pensé qu'une seule voûte couvrait les deux canaux, et qu'elle était surmontée d'une toiture de tuiles à deux pans. C. Lefevre propose une autre solution. Chaque canal aurait eu sa propre voûte, ce qui permettait de réduire les poussées sur les murs extérieurs et de les reporter sur le muret central. Dans cette partie aérienne de l'aqueduc, sans contre-poussée extérieure, cette possibilité présente un intérêt évident.
Elle se heurte malheureusement au peu qui nous est conservé de la voûte. A Jouy, avant d'arriver dans le bassin, la double conduite est couverte d'une seule voûte surbaissée, et le mur central n'isole pas entièrement les deux canaux9. Quoi qu'il en soit, la toiture de tuiles protégeait la double canalisation10. L'ensemble pouvait atteindre 3 m au dessus du tablier du pont.
- 1. Il semble qu'il faille y voir un aménagement assez rare, qui montre une fois encore l'attention portée à la construction de cet aqueduc.
Le pont du Gard, par exemple, n'a qu'une seule canalisation.
Les arches Sénéquier, de l'aqueduc de Fréjus, sont deux ponts parallèles qui portent chacun une conduite.
- 2. De bas en haut, on rencontre d'abord un mortier de tuileau, une assise très régulière de deux briques carrés, du mortier de chaux mêlé de morceaux de brique et de pierre et la couche de surface.
- 3. Cette dernière couche fait 8 cm d'épaisseur
- 4. Elles sont du même type que celles du bassin.
- 5. Ce revêtement, épais de 4 ou 5 cm, réduit la largeur des canaux. C. Lefebvre donne 0,93m pour cette largeur, mais cela doit comprendre la maçonnerie ; avec le mortier, on retrouve à peu près les mesures que mentionne B. Vigneron, qui reprend les Bénédictins. Selon ces deux sources, d'ailleurs, les canaux ne sont pas tout à fait égaux en largeur : l'un a 0,86 m de large, l'autre 0,75 m (respectivement 2 pieds 8 pouces et 2 pieds 4 pouces), mesures prises au bassin d'Ars.
- 6. D'autant plus que, selon C. Lefebvre, l'eau s'écoulait par vagues. On a pu observer des réparations, notamment une remise en état complète à l'arrivée de la conduite au bassin de Jouy.
- 7. C'est la solution que propose le croquis de C. Lefevre.
- 8. Les restaurations actuelles le reprennent aussi, comme il se doit. Il est composé de lits de moellons alternés avec deux lits de briques.
- 9. On peut imaginer néanmoins que cette double voûte ne concernait que la canalisation du pont. A ses extrémités, celle-ci devait être en partie enterrée, comme les bâtiments d'Ars et de Jouy, et ne nécessitait pas les mêmes précautions que sur le pont.
- 10. Au XVIe siècle, le canal, sur la dernière arche avant le réservoir, comprenait une maisonnette ouverte des deux côtés ; les murs en étaient couverts de ciment rouge. On croyait y reconnaître la conduite elle-même, avec la couverture qui la protégeait. Mais cet aménagement est peut-être beaucoup plus récent que l'aqueduc.