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Culures post-classiques

Manteño

La superbe céramique de l'horizon manteño, noire à reflets verts, propose des formes élancées qui se limitent à quelques types. Elle est incisée de motifs géométriques qui tranchent sur le fond sombre. Les vases portent parfois un décor animal ou humain, sous la forme d'un visage appliqué sur le col (fig. 15). Le musée de Quito expose surtout de remarquables « encensoirs » anthropomorphes : les personnages, qui portent une vasque sur la tête, sont assis (fig. 16) ou debout (fig. 17). Peintures corporelles et bijoux sont figurés par de fines incisions ou par modelage. Le corps, bien qu'il se conforme à certaines conventions, comme la représentation de face, les larges épaules ou la stylisation des mains, a d'agréables proportions, que souligne sans excès le souci du détail. Les visages tendent à la réalité du portrait. L'homme, représenté nu et entier, laisse une impression de majesté sereine.

Puruha

Les vases puruha, souvent de section ovale, sont d'une céramique rouge, au décor incisé ou peint assez grossièrement en noir sur brun. La représentation de l'homme est essentiellement plastique. Les visages sont schématisés à l'extrême (fig. 20) mais il s'en dégage parfois une expression énigmatique (fig. 19). Sur le vase de la fig. 18, les traits du visage sont plus proches de la réalité. Les membres sont esquissés (fig. 19) ou inexistants (fig. 20). Les potiers puruha ont réalisé de nombreux vases anthropomorphes sur lesquels l'homme est représenté en activité (homme buvant, scènes érotiques...).

Cañari

Cet horizon, le dernier avant les Incas, produit une céramique brune dont les vases ont fréquemment une section ovale. Le type du gobelet apparaît et connaîtra à une large diffusion (fig. 21, 22). Le décor, essentiellement géométrique, mêle gravure, modelage et peinture crème sur le fond naturel de l'argile, parfois rouge ou noir sur crème. Le visage humain occupe le col du vase (fig. 23, 25-29). S'il indique parfois les mains (fig. 28), le potier s'attache surtout à rendre le vêtement. Sur la fig. 25, les méandres sont incisés ; les bandes sur la fig. 27 sont en crème sur fond rouge, en rouge sur fond crème sur la fig. 26 L'expression du visage, tantôt amusée (fig. 25, 27), tantôt hallucinée (fig. 28, 29), peut aussi être absente : le col de la fig. 23 est peint en bandes claires verticales sur lesquelles des yeux et une bouche sont simplement suggérés. Les vases à col et à visage géminés représentent une particularité cañari (fig. 29). Nous retrouvons l'homme sur les gobelets : celui de la fig. 21 est rouge, le bas est crème, comme la croix des peintures corporelles ; les yeux en grain de café rappellent certaines figures archaïques ; le nez, les sourcils et la bouche sont en léger relief. La fig. 22 présente un autre type de gobelet à visage, lui aussi rouge et crème. Le répertoire cañari utilise aussi l'animal, comme sur le vase double à tête d'oiseau de la fig. 24.

Inca

Les formes des vases inca, souvent fines et élégantes, sont cependant moins variées que dans les cultures précédentes : le gobelet, la cruche (fig. 30) et surtout l'amphore du type de la fig. 34 se retrouvent partout dans l'empire. Le décor, peint et verni, affectionne la polychromie, en usage depuis longtemps au Pérou mais fait nouveau en Equateur. De même, la narration en scènes ou en frise introduit dans la région un type de décor que les potiers mochica avaient porté à la perfection.
On continue toutefois à orner les vases de successions de motifs.
L'amphore de la fig. 34 a le col peint de bandes de losanges noirs ; sur l'épaule, des carrés disposés en quinconce contiennent des figures géométriques ou des animaux (fig. 34, a,b) ; en dessous de cette zone court une frise de petits oiseaux très stylisés (fig. 34, c) ; la panse, enfin, est divisée en deux larges panneaux limités par les anses. La stylisation animale garde le souvenir de la peinture classique péruvienne de Paracas et de Nazca (fig. 34, b) mais se montre plus inventive dans le singe (fig. 34, a). Par dessus tout, la simplification extrême des oiseaux, fort réussie, atteste la main vive et sûre de l'artiste.
L'art inca répand pourtant les formes qui lui sont propres (fig. 34) et renouvelle un peu le répertoire. Par exemple, le lama, animal andin par excellence, en était absent jusqu'ici. La fig. 33 reproduit une partie d'un vase sur laquelle l'animal est justement observé et rendu ; un tenon permettait de la fixer à un élément disparu. Toutefois, l'hégémonie de l'empire inca, et à travers elle de son art, n'efface pas entièrement le particularisme régional. On trouve encore des vases en forme, comme l'escargot de la fig. 32, et des vases à visage sur le col, sur des formes anciennes (fig. 31) ou nouvelles (fig. 30).

Le décor de la céramique équatorienne, surtout géométrique, puise aussi son inspiration dans le monde vivant. Dans la peinture, l'homme et l'animal ne sont considérés que comme les motifs d'un décor dépourvu de sens narratif. S'ils ont pu contenir une signification rituelle qui nous échappe, ils ne sont jamais mis en scène : rien en Equateur ne saurait être comparé aux extraordinaires réalisations des potiers mochica. Du fait même de ce rôle restreint, la représentation animale et humaine ne demande ni précision ni détail réaliste, qui pourraient nuire à sa fonction ornementale. Le potier cherche au contraire à saisir le caractère essentiel de ce qu'il représente et à le traduire par une stylisation efficace. Il reste ainsi dans une sorte d'imprécision où l'ambiguïté entre réel et imaginaire peut jouer pleinement. On peut se demander pourtant si la ronde de personnages casqués de la coupe carchi (fig. 8) n'a pas une fonction narrative, bien qu'on la retrouve, presqu'identique, sur différents vases de ce type. Le désir de narration transparaît plus clairement dans les vases plastiques zoomorphes ou anthropomorphes : certains sont une scène à eux seuls, et les « encensoirs » manteño sont visiblement des représentations pleines de sens. Le personnage devient alors lui-même le vase et rejoint ainsi le domaine de la figurine.
La volonté de traduire une expression apparaît parfois : la douleur (fig. 14), la dignité (fig. 16, 17), ou encore le caractère terrifiant (fig. 2, 12), amusé (fig. 25, 26), étrange (fig. 28, 29)... Cela ne s'est toutefois jamais pleinement développé, en allant jusqu'au sentiment par exemple, et la céramique mochica n'a pas non plus exploité cette veine.
La recherche de la stylisation constitue, par ses thèmes et ses procédés, un fonds commun à toutes les cultures de l'Equateur. Les influences péruviennes sont rares, et les sujets représentés (jaguar, félins, toucan) inciteraient plutôt à regarder vers l'Amazonie et la Colombie. L'art inca, en installant une certaine uniformité dans tout l'empire, véhiculera les traditions péruviennes qu'il avait lui-même assimilées. Apparaissent ainsi de nouvelles formes, des techniques plus élaborées, mais aussi le goût de la mise en scène et de nouveaux sujets de répertoire dont le lama est le meilleur exemple.

Référence à citer

Marc Heilig, La représentation de l'homme et de l'animal sur quelques vases classiques et post-classiques du Musée de Quito, archeographe, 2003. https://archeographe.net/La-representation-de-l-homme-et-de