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Des dieux et des fidèles

En l'absence de toute découverte épigraphique, le sanctuaire du Flavier reste malheureusement anonyme ; nous ne connaissons le nom d'aucun pèlerin, ni même celui des divinités que l'on venait vénérer ici. Seuls les résultats des fouilles archéologiques peuvent nous aider à cerner les uns et les autres1. Commençons par les fidèles, ils nous aideront peut-être à entrevoir ceux qu'ils venaient honorer ici.

Les fidèles

A l'époque de transition durant laquelle il est pratiqué, le dépôt d'armes du Flavier pourrait concerner des fidèles encore attachés à une tradition gauloise. Et, comme le souligne Olivier Caumont, il pourrait s'agir d'hommes en rapport avec le domaine des combats. Par ailleurs, ces armes - cuirasses articulées, réductions de glaives et de poignards, pointe de catapulte...- font partie de l'équipement militaire romain ; aussi peut-on envisager que les déposants appartenaient à l'armée romaine, ou en étaient fort proches. L'association d'un rituel gaulois et d'armes romaines constitue certainement un indice supplémentaire. Certains de ceux qui fréquentaient ce lieu pourraient être des soldats d'origine gauloise, appartenant aux corps auxiliaires de l'armée romaine. Celle-ci, en effet, recrutait largement dans les cités gauloises des environs du Flavier dont la réputation militaire était bien établie2. La nature des armes pourrait encore indiquer dans quels corps ils servaient : les mors de chevaux, les javelots, les boucliers hexagonaux, désigneraient des cavaliers ; lances, cuirasses articulées, glaives et poignards, certains boucliers, plutôt des fantassins. Il n'est guère possible d'être plus précis car plusieurs types d'objets, comme les pointes de flèches, les haches ou les couteaux, étaient aussi bien utilisés par des civils que par des militaires.

Cependant, comme on l'a vu ci-dessus, le sanctuaire du Flavier a été fréquenté par d'autres fidèles que ceux qui ont pratiqué les dépôts d'armes : non seulement ce rituel n'a duré qu'une centaine d'années, mais le nombre reste en définitive assez faible. A partir de la seconde moitié du IIe s., et jusqu'à la fin du IIIe, les armes miniatures cèdent peu à peu la place aux céramiques et aux monnaies, selon une tendance que l'on rencontre sur bien des sites de ce genre ; l'abondance des petites monnaies au siècle suivant évoque même la coutume des pièces jetées en formulant un vœu dans des fontaines consacrées (stipis jactatio)3.

D'autres objets votifs ont encore été déposés dans le sanctuaire du Flavier4. Les fibules militaires forment un groupe assez important. La plupart des autres sont de types ordinaires dans le Nord-Est de la Gaule entre 25 av. J.-C et 25 après, mais on en a aussi retrouvé deux qui sont beaucoup plus luxueuses : l'une, en fer damasquiné de points d'argent entre deux lignes ondulées en laiton, peut être datée des deux premiers siècles de notre ère ; l'autre, malheureusement perdue, était en argent doré à décor floral rayonnant. Parmi les offrandes de prix figurent encore des fragments de gobelets en verre. On voit ainsi se profiler une fréquentation quelque peu différente, composée de fidèles déjà romanisés et assez aisés pour posséder des objets d'un certain prestige. Par ailleurs, à partir du deuxième siècle, il est fréquent que l'on consacre dans les sanctuaires de petits autels votifs de pierre. Bien qu'on n'ait retrouvé aucun de ces édicules au Flavier, on peut néanmoins supposer leur présence avec vraisemblance, peut-être au bord de la voie qui mène de l'entrée du péribole au temple.

Les divinités

Nous aimerions aussi connaître les divinités que l'on vénérait ici. L'archéologie ne nous a rien appris à leur sujet. Les quelques fragments de statuaire de bronze livrés par les fouilles appartiennent à une ou plusieurs statues de grande taille réalisées à la cire perdue qui étaient sans doute des représentations divines5. Mais tenter d'identifier celles-ci d'une manière ou d'une autre semble pour l'instant voué à l'échec.

A partir des données du site, il est toutefois possible de faire certaines suggestions. D'une part, on pourrait déduire la présence de trois divinités, et non une seule, de la configuration de la deuxième phase du site. Le dallage elliptique, en effet, réunit en un même espace trois cellae vraisemblablement dédiées à trois divinités différentes mais en relation les unes avec les autres. On peut penser à une triade romaine6, mais tout aussi bien à une association de dieux gaulois. Voire les deux ensemble, car les militaires sont particulièrement portés à ce genre d'amalgames.

D'autre part, ces divinités, tout en ayant un lien entre elles, semblent avoir chacune leur propre vocation. Les dépôts d'armes, par exemple, sont essentiellement concentrés autour d'une seule cella ; leur caractère guerrier pourrait suggérer une divinité liée à cet univers. Et le choix est large, aussi bien dans le panthéon romain que gaulois. On pense d'abord à Mars : il est le dieu de la guerre par excellence et les Gallo-Romains se le sont approprié par de nombreux épithètes issus de la religion gauloise. Pourtant, les divinités associées au combat sont fréquemment féminines bien qu'il s'agisse d'une activité masculine7. Qui plus est, en élargissant encore les possibilités, certains dieux, sans être directement liés à la guerre, sont souvent sollicités pour la force et le courage, deux qualités primordiales pour qui a fait des armes son métier. Hercule, que l'on a largement vénéré en Gaule, ferait un bon candidat.

Toutefois, la situation géographique du site, à la limite de deux cités, doit aussi être prise en compte. Ainsi pourrait-on envisager la présence au Flavier de Jupiter sous un de ses aspects de protecteur des frontières. Dans la région, il est honoré à Daun et au Donon, qui sont tous deux des sanctuaires, respectivement trévire et médiomatrique, en bordure de limites territoriales. Et que dire de Mercure, qui était lui aussi fort apprécié en Gaule et que l'on rencontre fréquemment le long des routes et à l'entrée des cités ? Il serait lui aussi bien à sa place au Flavier.

 

Illustrations

Élément de harnachement de cheval. Sanctuire du Flavier.  Musée de Charleville-Mézières. Photo Marc Heilig

Armes de jet. Sanctuaire du Flavier. Musée de Charleville-Mézières. Photo Marc Heilig

Boucliers miniatures. Sanctuaire du Flavier. Musée de Charleville-Mézières. Photo Marc Heilig

Pointes de lances et pointe de flèche. Sanctuaire du Flavier. Musée de Charleville-Mézières. Photo Marc Heilig

Mars et Minerve. Reims, Musée St Rémi. Photo Marc Heilig

Hercule. Reims, Musée St Rémi. Photo Marc Heilig

Tête de Jupiter. Musée de Toul. Photo Marc Heilig

Mercure. Reims, Musée St Rémi. Photo Marc Heilig

  • 1. Nous nous inspirons ici des passionnantes suggestions que fait Olivier Caumont dans son ouvrage sur le sanctuaire du Flavier.
  • 2. Les cavaliers trévires, en particulier, étaient fort réputés.
  • 3. C'est une coutume encore bien vivace de nos jours qui se pratique aussi bien dans des lieux de prestige comme la célèbre fontaine de Trevi, à Rome, que dans de petites fontaines de village : celle qui s'abrite sous un arbre séculaire, devant l'église de Solesmes, dans la Sarthe, est l'un de ces innombrables endroits où s'accomplit cette dévotion populaire.
  • 4. On n'a guère de données au sujet d'offrandes d'origine animale ou végétale, et les fouilles n'ont livré aucun objet en bois ou en cuir. Et, bien qu'on connaisse un atelier de tabletterie à Mouzon au Bas Empire, l'os est absent lui aussi du sanctuaire du Flavier.
  • 5. Cf Olivier Caumont, op. cit. p. 369-372.
  • 6. La première qui vienne à l'esprit est bien sûr la triade Capitoline, bien que celle-ci ait mieux sa place dans une bourgade d'une certaine importance.
  • 7. Olivier Caumont mentionne ainsi le cas du soldat Catius Libo qui, près de Tongres, a dédicacé une lance et un bouclier à la déesse Vihansa. Son ouvrage donne une représentation de cette plaque votive. Cf Olivier Caumont, op. cit. p. 40.

Référence à citer

Marc Heilig, Le sanctuaire gallo-romain du Flavier, archeographe, 2020. https://archeographe.net/sanctuaire-gallo-romain-flavier