L'évolution du sanctuaire

Le sanctuaire du Flavier1 fut édifié un peu avant la conquête romaine sur une éminence que longe un méandre de la Meuse, à la frontière des territoires des Rèmes et des Trévires2, mais aussi à celle entre deux pagi ; il domine ainsi la vallée et la voie romaine Reims-Trèves qui franchit le fleuve à Mouzon, l'antique Mosomagus3. L'activité du site a débuté à la fin de La Tène et s'est poursuivie jusqu'à la fin de l'Empire Romain, au fil de plusieurs réaménagements, pour s'arrêter à la fin du IVe s. ou au début du Ve. Découvert en 1966, il a révélé un rituel dont on a peu d'exemples par ailleurs, le dépôt d'armes miniatures.

Les fouilles n'ont guère permis de connaître le sanctuaire de l'époque gauloise. Tout au plus ont-elles mis au jour des trous de poteaux, témoins d'une architecture de bois et de terre, sans qu'on puisse entrevoir le plan ni du site ni de quelque construction. Par leur situation, les objets retrouvés pourraient indiquer que l'endroit était déjà délimité par une clôture. Ce mobilier donne une fourchette chronologique entre 50/30 av. J.-C  et le début du règne d'Auguste4.

La configuration du sanctuaire a ensuite été remodelée pour prendre l'aspect général qu'il devait conserver jusqu'au début du IIe s.5 : trois édifices côte à côte, de même orientation mais dont les façades ne sont pas alignées6 (A1, 2 et 3). Les murs de ces constructions sont en bois et terre sur solin de pierres sèches. Le temple de l'est, la cella orientale (A3), est plus petit que les deux autres, qui sont de même taille. Il faisait 4 m sur 4,80 m et avait un porche en saillie ; un foyer se trouvait au centre de la salle. Ces temples forment un ensemble qui pourrait convenir au culte d'une triade gauloise : ils sont en effet réunis à l'intérieur d'un large dallage ovale qui devait faire office de déambulatoire (A4). On a découvert autour de la cella orientale d'importants dépôts d'armes, réelles et miniatures, accompagnées de monnaies gauloises, de fibules, de mors de chevaux et de vases en terre cuite ; on peut penser qu'il s'agit là d'ex-voto déposés en l'honneur d'un dieu guerrier. Le sanctuaire était peut-être protégé par une enceinte sacrée (A5), mais ce péribole n'apparaît véritablement qu'un peu plus tard.

Dans le courant du Ie s., l'influence romaine se manifeste plus fortement. Les bâtiments sont reconstruits de façon très soignée, notamment la cella orientale, à laquelle on donne, entre les règnes de Tibère et de Claude, de plus grandes dimensions (6,40 m sur 7,20 m). Ses murs sont en petit appareil peint en rouge et l'édifice dispose d'un toit de tuiles et d'un seuil d'entrée. On avait aussi porté une grande attention aux aménagements intérieurs : sol de tuileaux, parois ornées de bandes et de lignes vertes, bleues et beige. Un autel, ou la base d'une statue, remplaçait le foyer central. Du fait de sa taille plus importante, la cella orientale mordait désormais sur le dallage ovale et lui retirait son rôle de promenoir autour des trois temples. La plus grande partie des armes miniatures que le site a livrées provient des dépôts aux angles nord et est de ce temple.

Une nouvelle construction apparaît à l'est des précédentes, à laquelle les archéologues ont donné le nom de « cella augustéenne » (A6). A peu près carrée (4,16 m sur 4,40 m), elle est bâtie en petits moellons réguliers et parementés sur un hérisson de pierres. La couverture est en tuiles, avec peut-être un fronton en façade. L'entrée, au nord-est, est pourvue d'un seuil. De part et d'autre de ce temple, deux dallages annulaires (A6a et 6b) de 7,5 m de diamètre et de 3,10 m de large font office de déambulatoires, au centre desquels on a retrouvés des armes miniatures, des vases, des mors, des monnaies et des os d'animaux, tout comme précédemment.

Les fouilles ont aussi permis de dégager une partie du péribole (A9), qui est ainsi assuré à partir de cette époque. A la fin du Ie s., le sanctuaire prend une apparence plus monumentale qui affirme la prééminence de la cella orientale : une allée, large de 2 m, traverse le péribole et conduit en ligne droite à l'entrée de ce temple (A10), qui est aussi mis en valeur à l'arrière par un portique de colonnes à chapiteaux ioniques adossé à l'enceinte (A7). Le dallage ovale est remplacé par deux allées, à l'avant et à l'arrière des trois temples (A8a et 8b).

Cette tendance est encore accentuée par la modification complète du site au début du IIe:s. Les temples disparaissent, à l'exception de la cella orientale. Le sanctuaire se concentre désormais sur ce seul édifice, selon un axe unique : l'allée pavée (B3), le temple (B1) et le portique ionique (B2), dont deux ailes en retour forment à présent comme un écrin au bâtiment. Le temple est entouré d'une aire rectangulaire pavée de petits cailloux (B4) ; elle recouvre la surface autrefois occupée par les deux autres temples et le dallage ovale. La cella augustéenne (B6) a peut être subsisté, bien qu'on ne puisse l'affirmer, car ce pavement épargne son emplacement ; de ses déambulatoires circulaires, par contre, il ne reste qu'une petite zone de dépôt. Un nouveau bâtiment est construit au sud-ouest du temple (B5), contre le mur du péribole ; nous ignorons sa destination mais il abritait un foyer. Le sanctuaire du Flavier, protégé par son enceinte (B7), s'étend alors sur toute la colline, où des constructions annexes ont été repérées. En effet, nous n'en connaissons pour l'instant que la partie cultuelle ; il devait comprendre d'autres bâtiments : ateliers de fabrication des ex-voto, locaux administratifs, hébergement des desservants... On peut aussi envisager, avec vraisemblance, des bâtiments pour loger les visiteurs, voire une hôtellerie comme c'est parfois le cas, car l'endroit est à quelque distance de Mosomagus, l'agglomération la plus proche. Le sanctuaire du Flavier cesse d'être fréquenté à la fin du IVe s. ou au début du Ve. Le sol du temple avait pourtant été refait peu avant.

Illustrations

Plan A. Le sanctuaire du Flavier dans le premier tiers du Ie siècle (phase I, en noir) et dans la seconde moitié du IIe siècle (phase  II, en bleu). Croquis Marc Heilig

Plan B. Le sanctuaire du Flavier à partir du IIe siècle. Croquis Marc Heilig

Les temples du centre (A2) et de l'ouest (A1). Photo Marc Heilig

Le temple du centre (A2). Photo Marc Heilig

Le temple de l'est (A3) et le portique (A7). Au 1e plan, la cella augustéenne (A6). Photo Marc Heilig

Les temples de l'est (A3), du centre (A2) et le portique (A7). Photo Marc Heilig

Le temple de l'est (A3), la cella augustéenne (A6) et les dallages annulaires (A6a et6b). Photo Marc Heilig

La cella augustéenne (A6) et les dallages annulaires (A6a et 6b). Photo Marc Heilig

La cella augustéenne (A6) et les dallages annulaires (A6a et 6b). Au 1e plan, le dallage ovale (A4). Photo Marc Heilig

La cella augustéenne (A6) et le dallage ovale (A4). Photo Marc Heilig

Les temples du centre (A2) et de l'est (A3). Photo Marc Heilig

Seuil du temple final (B1). Photo Marc Heilig

Le portique B2. Photo Marc Heilig

• 1. Le Flavier ou Les Flaviers. Nous suivons ici la dénomination usuelle mais Olivier Caumont, l'auteur d'une étude importante du site, emploie le pluriel.
• 2. Cette limite existe toujours, sous la forme d'un chemin qui longe le site.
• 3. L'agglomération de Mosomagus, Marché sur la Meuse, occupait une île au milieu du fleuve. Sous l'occupation romaine, elle devint le centre administratif de la région.
• 4. L'empereur Auguste a régné de 27 av. J.-C. à 14 ap. J.-C.
• 5. Cette configuration reprenait peut-être celle de l'époque gauloise.
• 6. Les références entre parenthèses se reportent aux croquis. A : le sanctuaire dans le premier tiers du Ie s. (en noir) et dans la seconde moitié du Ie s. (en bleu) ; B : le sanctuaire à partir du IIe s.