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La ville protobyzantine de Caricin Grad

La ville protobyzantine de Caricin Grad, située en Serbie du Sud à quelque 45 km au Sud de Nis (Naissus), est généralement identifiée à Justiniana Prima, fondée par Justinien Ier à proximité de son village natal. Cette identification reste hypothétique, car elle ne repose pour l'instant sur aucun document épigraphique, mais seulement sur un faisceau d'indices que nous pouvons rappeler brièvement :
1) La chronologie du site. Aucune construction n'y est antérieure au VIe s. Son occupation semble commencer vers 530, et son abandon intervenir vers 615 ou peu après1. Cette chronologie convient fort bien, mieux que celle des autres sites urbains de la région, à une ville dont la plus ancienne mention datée se trouve dans la novelle XI de Justinien (15 avril 535)2, et qui disparaît des sources écrites après le pontificat de Grégoire le Grand (590-604)3.
2) Sa position géographique. Caricin Grad est en province de Dacie méditerranéenne, mais proche de la limite de la Dardanie et peu éloignée de Naissus. Cela correspond parfaitement aux indications des sources écrites4 sur la situation de Justiniana Prima.
3) Son emplacement à l'écart des grandes voies de communication. La fondation, tardive et à bien des égards artificielle, d'une ville de cette importance en une région isolée se comprend mal, sauf à supposer l'existence d'un motif contraignant et bien particulier, comme le désir d'un souverain d'honorer le lieu de sa naissance.

L'identification de Caricin Grad à Justiniana Prima est donc très vraisemblable. Même si on choisit d'en faire abstraction, il reste que parmi les nombreux sites protobyzantins du centre des Balkans, Caricin Grad est l'un des rares à être à la fois un site urbain et une création du VIe siècle. La plupart des villes balkaniques que nous savons occupées au VIe s. existaient en effet au moins depuis le Haut Empire. Y étudier l'urbanisme protobyzantin revient donc à étudier les modifications apportées à une structure urbaine datant de la dernière grande phase de construction antérieure, qui se situe généralement entre la Tétrarchie et le règne des fils de Constantin. Inversement, si les fondations du VIe s. ne sont pas rares dans les Balkans, la plupart ne sont pas des villes, mais des fortins ou des villages fortifiés, représentant la dernière vague du processus d'occupation des sites de hauteurs, qui avait commencé au IVe s. L'étude de leur structure ne concerne donc l'urbanisme que d'assez loin. Au contraire, Caricin Grad apporte des éléments de réponse à quelques questions importantes. Que construisait-on dans les Balkans lorsqu'on voulait, sous Justinien, édifier une « ville nouvelle » ? Parmi les changements de l'urbanisme observables sur d'autres sites, lesquels étaient susceptibles d'être d'emblée entérinés, repris à son compte par l'état ? Un cadre urbain mis en place a novo y gagnait-il une certaine stabilité, ou devait-il subir les mêmes déformations et distorsions que ceux qui étaient hérités des époques antérieures .Nous aborderons quatre thèmes, sur lesquels les recherches récentes ont jeté quelque lumière, et qui tous intéressent d'assez près l'objet de notre rencontre : la situation de Caricin Grad par rapport aux routes ; l'histoire de la structure urbaine ; la présence de l'état ; la localisation et la structure de l'habitat.

  • 1. (la monnaie la plus récente qui y ait été découverte a été frappée en 615. C'est un hexagramme inédit, trouvé dans la fouille de la Ville Basse en 1982.
  • 2. Novellae, éd. R. Schoell et G. Kroll, Corpus Iuris Civilis, t. III, Berlin, 1895, p.94.
  • 3. Justiniana Prima est mentionnée dans les lettres III, 6. 7 ; V, 8. 10 ; VII, 7 ; VIII, 10 ; IX, 156 ; XI, 29 ; XII, 10. 11. Ces deux dernières lettres sont de mars 602.
  • 4. La novelle XI de Justinien, Procope, De Aedificiis, IV, 1, éd. Dewing, 1971, p.224 sq. ; Jean d'Antioche, Chronici Fragmenta, dans Hermes, 6, 1872, p.339.