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L'arrestation

Marthe Klinger en 1944. En effet, les membres de la Gestapo et de la SS allaient passer leurs loisirs à Belfort. Ils me connaissaient bien, et m'avaient même surnommée la blonde du télégraphe. Ils me virent en ville, sans doute en compagnie de mon frère, et se renseignèrent pour savoir si j'avais à travailler à Belfort, ce qui aurait expliqué ma présence. Lors de mon dernier passage, le chef de gare m'avait prévenue qu'on m'avait vue à Belfort et qu'on avait posé des questions à mon sujet. Il m'avait conseillé de ne pas retourner en Allemagne. J'étais restée chez lui deux ou trois jours, mais j'avais décidé de revenir car on aurait arrêté ma famille. J'avais donc regagné l'Allemagne en traversant les bois, grâce à un militaire autrichien qui me montra le chemin. Quand on me vit, quelques jours plus tard, de nouveau à mon poste de Montreux-Vieux, les autorités allemandes comprirent que je passais la frontière illégalement. Marthe Klinger en 1944. On est donc venu m'arrêter à mon travail et on m'a enfermée dans une cave compartimentée. Dans la cellule voisine se trouvait un soldat français qui avait voulu passer la frontière. Nous nous parlions par la lucarne, sans nous voir. Je passai entre 10 et 15 jours dans cette cellule mais je n'y fus pas mal traitée car tous me connaissaient. Ma famille n'avait pas été prévenue.
Puis je fus emmenée à Mulhouse, accompagnée de deux militaires et d'un gros chien. Ma marâtre1 avait pu venir à la gare de Montreux-Vieux pour m'apporter des vêtements. On était en été, et j'étais enceinte de quelques mois. Je passai 15 jours au moins à la prison de Mulhouse. Je n'y fus pas maltraitée et je n'en garde pas de mauvais souvenir.On me conduisit ensuite à Strasbourg, dans un wagon cellulaire qu'on avait accroché en queue de train. Il y avait cinq cellules, deux de femmes et trois d'hommes, que surveillaient deux gardes. A Strasbourg, le train s'arrêta, et le wagon fut mis sur une voie de garage.
A peine y était-il que les sirènes sonnèrent l'alerte. Les deux gardes s'enfuirent se mettre à l'abri, mais ils ouvrirent auparavant les cellules des femmes. Mes compagnes et moi avons ainsi pu en sortir, sans toutefois pouvoir quitter le wagon. La plus grande confusion régnait parmi nous. Je me souviens qu'une femme a fait une crise de nerfs, elle écumait et elle est tombée par terre. Les hommes cognaient aux portes de leurs cellules pour se faire ouvrir, mais nous ne pouvions rien faire. Et, dans la troisième cellule des hommes, quelqu'un dit que l'on me demandait. C'était Jean Reusch, qui avait été arrêté aussi. 

Vue de La Broque à l'époque. Le bombardement de la gare ne toucha pas le wagon. Au bout d'une heure environ, on nous enferma de nouveau et le wagon fut accroché à un autre train. Il allait à Schirmeck, mais nous n'en savions rien2. Le Camp d'internement de Schirmeck (territoire de La Broque). Das Sicherungslager von Schirmeck-Vorbruck. Témoignages. ESSOR, 1994.

  • 1. J'avais perdu ma mère à quatre ans et demi. Mon père s'était remarié lorsque j'avais sept ans.
  • 2. Tout au long du récit de Mme Klinger, nous ajoutons quelques précisions sur le camp de Vorbruck. Plutôt que de les mettre en notes de bas de page, ce qui aurait conduit à une confusion avec celles du récit, nous avons pris de le parti de les laisser dans le texte, en les encadrant toutefois par des §§§§. Les notes relatives à ces compléments sont en italiques.
    Le lecteur trouvera de plus amples renseignements dans l'excellent ouvrage dont nous donnons la couverture en illustration de cet article et dont voici la référence :
    Le Camp d'internement de Schirmeck (territoire de La Broque). Das Sicherungslager von Schirmeck-Vorbruck. Témoignages. ESSOR, 1994.
    (Note de la rédaction)

Référence à citer

Marthe Klinger, Marthe Klinger. Camp de Vorbruck, Matricule 48, Bâtiment 14., archeographe, 2007. https://archeographe.net/Marthe-Klinger-Camp-de-Vorbruck