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La vie du camp

Le matricule de Mme Klinger et son carreau de tissu vert. Dès que je sortis du bureau du commandant, on m'emmena vers des baraques en bois. On m'avait enlevé mes bijoux1. Il y avait quatre baraques pour les femmes, et d'autres pour les hommes2. Il n'y avait aucun contact entre les baraques. On me plaça dans la baraque 143. Nous portions toutes le tissu vert, la couleur réservée à ceux qui refusaient la nazification4.

 
A l'époque de l'internement de Marthe Klinger, le camp de Vorbruck avait atteint sa plus grande extension. De la route départementale, on entrait d'abord dans un avant-camp (A), par un portail (1) qui portait l'inscription Arbeit macht frei. C'était le seul accès, et il était surveillé par un poste de garde. Dans ce secteur se trouvaient, entre autres, la résidence de Buck (2), un petit bâtiment réservé aux interrogatoires de la Gestapo (3), la Kommandantur (4) et des logements pour les policiers.

 

Plan du camp de Vorbruck.

 

Au delà s'étendait le camp proprement dit. Il était ceint d'une clôture qui, bien qu'elle ne fût pas électrifiée, n'en était pas moins dissuasive : deux grillages de 2 m de haut couronnés de fils de fer barbelés, des projecteurs, et quatre miradors (m), l'un d'eux armé d'une mitrailleuse. La nuit, les détenus étaient enfermés dans leurs baraques ; des policiers faisaient des rondes, accompagnés de chiens.
La première partie du camp, la plus vaste, était celle des hommes (B). On y avait construit un grand bâtiment en dur pour les ateliers et divers baraquements en bois. Certains abritaient les réserves, les douches, l'infirmerie, les lieux d'aisance, l'habillement etc. Les détenus étaient logés selon les catégories dans lesquelles on les avait placés : politiques, Russes et Polonais, incurables, jeunes et asociaux, frontaliers… Il y avait aussi des lieux de détention plus sévère. Une grande place servait aux rassemblements et aux promenades du dimanche.
Le fond du camp, un quart environ de l'ensemble, était réservé aux femmes (C) : ateliers, buanderie et bureau de Marie-Louise Lehmann, la chef-gardienne des femmes, ainsi que logements des détenues (9, 10, 11, 14). Celles de moins de 20 ans et les frontalières étaient mises à part. Cette partie comprenait aussi, tout au fond du camp, un grand bâtiment en dur (13), construit en 1943, qui servait de salle des fêtes, de lieu de rassemblement pour les harangues, mais comprenait aussi, au rez-de-chaussée, des cellules de 1 m sur 2 où Buck, selon son humeur, enfermait les récalcitrants.

On notera quelques différences entre le récit de Mme Klinger et ce qu'on peut lire dans le livre publié en 1994, par exemple au sujet des couleurs des tissus qui distinguaient les prisonniers5 et de la disposition du camp. En en parlant avec Mme Klinger, alors que nous recueillions son récit, l'explication nous est apparue dans sa triste réalité. Les souvenirs de Mme Klinger sont empreints de l'atmosphère dans laquelle ils furent vécu. L'autorité nazie créait un climat général de terreur, plus oppressant encore dans les conditions d'un internement dans un camp. Brutalités, cris, ordres et omniprésence des gardiens… De façon plus insidieuse, tout était fait pour maintenir les détenus dans l'incertitude et l'ignorance du sort qui leur était réservé et du lieu où ils se trouvaient. Ils apprenaient les choses par bribes, volées à voix basse à la surveillance perpétuelle des gardes. Ils dissipaient ainsi le flou dans lequel on les plongeait, ce qui était essentiel pour eux. Tout était bon à prendre pour s'informer, il leur était impossible de distinguer le vrai du faux, la rumeur de la vérité. Nous comprenons ainsi que Mme Klinger ne sache dire comment leur convoi gagna le camp à partir de la gare, et qu'elle n'ait aucun souvenir du camp des hommes, que les femmes ont pourtant dû traverser pour gagner la section qui leur était réservée : en quelque sorte, on les a conduites à travers tout ce terrain tête baissée, en leur interdisant de lever les yeux sur ce qui les entourait.

  • 1. Une chaîne avec une croix, des boucles d'oreilles et une bague. Tout me fut rendu à la sortie.
  • 2. Je ne puis être certaine du nombre car on nous interdisait, à nous les femmes, de regarder dans cette direction.
  • 3. Voir le plan ci-dessous.
  • 4. Les Juifs portaient un tissu jaune ; les prostituées et les chômeurs en avaient un à petits carreaux.
  • 5. Voir ci-dessous.

Référence à citer

Marthe Klinger, Marthe Klinger. Camp de Vorbruck, Matricule 48, Bâtiment 14., archeographe, 2007. https://archeographe.net/Marthe-Klinger-Camp-de-Vorbruck