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L'interrogatoire

Carte de rapatriée de Mme Klinger. Puis on m'a emmenée, avec un groupe de femmes, dans une filature, en dehors du camp. On m'a montré comment travailler, et j'y suis restée environ trois semaines. J'étais en contact avec des gens de l'extérieur, comme la dame qui travaillait à côté de moi et me donnait parfois quelque chose à manger. Elle le faisait très discrètement car nous étions étroitement surveillées, et je me retirais aux toilettes pour le manger. Dans ces toilettes, j'écrivais aussi des lettres, contre le mur. A midi, nous allions dans une auberge, ce qui était toujours mieux que l'ordinaire du camp. Nous rentrions au camp vers 6 ou 7 h.Un de mes plus horribles souvenirs se rapporte à un interrogatoire qu'on me fit subir le 15 août. On me conduisit dans un bureau où était assis un officier de la Gestapo. Je dus rester debout devant lui, avec un garde de chaque côté. L'interrogatoire fut serré, mais je n'eus pas à subir de coup. On me pressa de questions sur le militaire autrichien qui m'avait fait traverser la forêt. On cherchait à me faire avouer qu'il m'avait aidée car on le soupçonnait de faire passer du courrier. Je soutins que j'avais traversé les bois toute seule. L'officier me dit alors que l'homme avait déjà avoué, qu'on allait le faire venir pour me confronter à lui, et que ce n'était donc plus la peine de mentir. Mais je persistai à dire que j'avais été seule. J'ai su plus tard que cela avait épargné la vie de cet Autrichien car il était allé remercier mes parents pour mon témoignage. Malheureusement, les soupçons qui pesaient sur lui étaient trop forts, et il fut envoyé au front.

 
Même s'il était quelque peu à l'écart de l'agglomération, le camp imposait sa dure réalité à la population civile. Les gardiens et les officiers allemands se déplaçaient en ville, certains y logeaient même… des groupes de prisonniers passaient lorsqu'on les menait travailler dans la vallée… A la gare arrivaient chaque semaine de nouveaux détenus, et d'autres en partaient… Les vivres étaient achetés sur place… On connaissait la brutalité du camp, mais il n'était pas possible d'intervenir.
Comme l'a souligné Mme Klinger, les habitants prenaient des risques pour donner en cachette de la nourriture aux prisonniers. Les gardiens laissaient parfois faire, si on les soudoyait. C'était certainement un jeu très dangereux. Une stèle, inaugurée le 15 septembre 1946 place de la Gare à Schirmeck, remercie les habitants de la vallée de la Bruche.

Ensuite, on m'a désignée pour travailler à la buanderie du camp1. J'y restai une dizaine de jours. Après cela, on m'a emmenée dans une pièce où je disposais d'un lit. On m'y a gardé deux jours environ. J'appris par la suite que c'est là qu'on faisait accoucher de force les femmes qui étaient enceintes d'un Français. Mais les Allemands avaient dû se renseigner et apprendre que le père de mon enfant était un Alsacien. Ils le considéraient donc comme un Allemand, et cette horreur me fut épargnée.
On me fit ensuite faire du jardinage pendant trois semaines dans un quartier de villas occupées par des Allemands.

Carte de rapatriée de Mme Klinger.

  • 1. 10 sur le plan.

Référence à citer

Marthe Klinger, Marthe Klinger. Camp de Vorbruck, Matricule 48, Bâtiment 14., archeographe, 2007. https://archeographe.net/Marthe-Klinger-Camp-de-Vorbruck