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L'évacuation

Carte d'adhérent de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Patriotes de Mme Klinger. On entendait alors les combats avec les Américians. Nous, les prisonniers du camp, nous ne savions pas de quoi il s'agissait. Un matin, après l'appel, on a nommé trois ou quatre numéros. Sans aucune précision, on les a emmenées quelque part, on leur a rendu leurs affaires et on leur a dit qu'elles pouvaient partir. Les Allemands ont alors libéré de nombreux prisonniers, et je fis partie du lot. Les autres, parmi lesquels mon ami Jean, furent emmenés à Gaggenau. Avec d'autres qui avaient été relâchées comme moi, je suis allée à Strasbourg. J'ai téléphoné à mes parents pour dire que j'étais libre et demander ce que je devais faire. Ma marâtre m'a dit d'aller chez une dame que mon père connaissait par son commerce, et de lui demander qu'elle me communique une certaine adresse. Cette dame m'a bien reçue, mais elle m'a dit que cette adresse, à Pourtalès, n'existait plus. Elle était d'ailleurs fort étonnée qu'on me l'eût conseillée car c'était là qu'on gardait les filles mères ; on leur enlevait leur enfant pour l'élever selon les normes nazies. Marthe Klinger.

 
L'évacuation du camp semble avoir commencé début novembre 44. Marthe Klinger fit partie des premiers qu'on libéra. Ces prisonniers furent soit rendus à la vie civile, comme elle et ses compagnes, soit transférés en Allemagne, à Gaggenau, Haslach et Rothenfels. A la mi-novembre 1944, les alliés bombardaient les points stratégiques de la vallée. Des obus tombèrent à proximité du camp et Buck se hâta d'en évacuer tous les hommes. Le dernier convoi en partit dans la soirée du 22 novembre, laissant quelques 300 femmes que l'on n'avait pu embarquer. Lorsqu'elles réalisèrent que leurs tortionnaires avaient fui et qu'elles étaient libres, elles se rendirent dans les bureaux pour recouvrer leurs papiers et ce qu'on leur avait confisqué. Pour la plupart, elles trouvèrent refuge chez les habitants.
Le premier char américain arriva le lendemain matin à Schirmeck, précédant l'entrée triomphales des libérateurs. Le dimanche 26, les autorités américaines assistèrent à une messe solennelle à La Broque.Qu'allait-on faire du camp de Vorbruck ? Le maire Julien Brignon projeta d'y installer un musée, mais cette idée fut abandonnée au début des années 50 au profit d'un lotissement. Les divers éléments du camp furent dispersés et vendus. Ni à l'époque, ni dans les années qui suivirent, personne, à l'exception de l'association locale des déportés, ne semble avoir tenu à garder la mémoire de ce lieu de souffrance. Aussi est-il essentiel de récolter les derniers témoignages qui peuvent l'être encore.


Marthe Klinger peu après sa libération. En tout, je suis restée environ quatre mois dans le camp de Schirmeck. Les vexations étaient nombreuses, à commencer par la promiscuité et la mauvaise nourriture. On nous traitait comme des objets, sans jamais rien nous dire de notre sort à venir, ni même des endroits où l'on nous conduisait ou des travaux auxquels on nous attachait. Nous vivions dans la crainte que nous donnait cette insécurité. On ordonnait et nous devions obéir. Notre quotidien se cantonnait dans cette obéissance, que limitaient encore de nombreuses interdictions dont la raison nous échappait le plus souvent. Par dessus tout planait sur nous une surveillance de tous les instants. Elle nous faisait vivre dans la culpabilité, dans la peur et la suspicion. On s'acharnait à effacer tout ce qui aurait pu nous rattacher à notre identité, à notre passé, à la vie extérieure. Nous n'avions même plus de nom. Comme l'avait dit le commandant du camp, nous n'étions plus rien que des matricules. Et si tout cela est loin à présent, le souvenir en reste profondément précis et douloureux. C'est pourquoi vous comprendrez que je suis heureuse de signer ce petit texte de mon nom. Carte d'adhérent de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Patriotes de Mme Klinger.

Référence à citer

Marthe Klinger, Marthe Klinger. Camp de Vorbruck, Matricule 48, Bâtiment 14., archeographe, 2007. https://archeographe.net/Marthe-Klinger-Camp-de-Vorbruck