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Un édifice monumental

La nouvelle gare de Metz, mise en chantier à partir de 1905 et inaugurée en 1908, remplaçait la gare construite sous Guillaume Premier1. Le programme avait fait l’objet d’un concours, que remporta l’architecte berlinois Jürgen Kröger avec son projet « Licht und Luft » : « Air et Lumière », un bâtiment modern style « clair, précis et fonctionnel »2, qu'il dut pourtant remanier, tout en conservant les volumes et l’organisation intérieure, afin de suivre le goût personnel de l’Empereur pour le style roman de la vallée du Rhin3. La gare de Metz est l’œuvre majeure de Kröger, qui s’associa aux architectes Peter Jürgensen et Jürgen Bachmann pour la réaliser. Elle est composée d’un hall de départ et d’un hall d’arrivée réunis par un corps central que traverse le couloir de la salle des pas-perdus ; cette unité est prolongée de part et d’autre par deux longs bâtiments.

Le hall de départ est divisé en deux parties, la salle des guichets et la salle d'accès au tunnel qui passe sous les quais ; la salle d'enregistrement des bagages est adjacente à la salle des guichets. Sur la salle des pas-perdus donnent différents locaux dont la plupart concernent les voyageurs : consigne, douanes, poste, barbier, salle d'attente des 1ère et 2e classes, ainsi que celle de la 3e classe. Les services administratifs sont au rez-de-chaussée et à l'étage du bâtiment central, mais ils occupent aussi les ailes nord et sud. Les appartements impériaux, quant à eux, constituent une entité à part : on y accède directement par le quai 1 et ils donnent sur la place de la gare par un portail et un balcon d'apparition.

Cette gare avait une double affectation. Elle avait d’abord une fonction militaire4 . Du fait de l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Moselle à la suite à la défaite française de 1871, Metz se trouvait désormais en territoire allemand, à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec la France. Selon les vœux de L’Empereur, la nouvelle gare de Metz devait ainsi tenir une place éminente dans la stratégie du Reich. Il fallait qu’elle soit une gare de passage, et non plus en cul-de-sac, afin d'acheminer rapidement troupes et matériel si nécessaire ; une ligne directe Berlin-Metz fut créée à cet effet. L’édifice disposait d’aménagements spéciaux : quais conçus pour débarquer aisément des chevaux, niveaux souterrains pour loger les soldats, parquer les chevaux et stocker l'équipement de troupes importantes.

Cet aspect guerrier n’apparaissait pourtant guère aux citadins car il est occulté par l’extraordinaire bâtiment dévolu aux voyageurs5. La volonté de Guillaume était que Metz devienne une vitrine du Reich6. On entreprit ainsi des travaux colossaux pour faire sortir de terre un quartier prestigieux pris sur les fortifications médiévales. L'urbanisme en fut confié à Conrad Wahn, l’architecte de la ville, qui opta pour la conception de la « ville pittoresque » que l'architecte autrichien Camillo Sitte avait mise en œuvre à Vienne. La gare de Metz s'insérait parfaitement dans ce plan. Bien que fortement décriée à l'époque, elle fut réalisée avec un soin extrême et le résultat est à la fois monumental et esthétique.

Je voudrais m’attarder ici sur le remarquable décor plastique qui est étroitement associé à l'architecture de ce bâtiment car, tout en masquant la fonction militaire, il le transforme en édifice public. Cela comprend de nombreuses sculptures, en bas-relief ou en ronde-bosse, mais aussi une ornementation modelée7.


  • 1. Cet élégant bâtiment, qui porte aujourd'hui le nom d'Ancienne Gare, était l'œuvre de J. E. Jacobstahl, qui construisit aussi la gare de Strasbourg. Mise en service en 1878, elle était en cul-de-sac. Cf. Marc HEILIG, L'essor architectural de Metz durant l'Annexion, archeographe 2016.
  • 2. Cf. André SCHONTZ, La Gare de Metz, 2008, p. 78.
  • 3. Selon la presse de l’époque, l’Empereur Guillaume II aurait esquissé le clocheton de l’horloge.
  • 4. Ce qui est vigoureusement contesté par Arsène Felten. Cf. Arsène FELTEN, Une légende tenace : la gare de Metz-Ville, gare militaireMémoires de l'Académie Nationale de Metz, 2011, p. 31-106. Mais, bien qu'il apporte des arguments très intéressants à sa thèse, il faut sans doute adopter une position plus nuancée. La politique très tendue de l'époque et la géographie issue de la défaite française de 1871 expliquent à elles seules que Guillaume II ait voulu à Metz une gare qui pourrait servir aussi à des fins militaires.
  • 5. Ce bâtiment fait plus de 300 m de long ; la tour a 40 m de haut. Il est inscrit aux Monuments Historiques depuis 1975. L'ensemble de la gare est plus important encore puisqu'il comprenait un centre de tri postal au sud et un château d'eau au nord.
  • 6. Cf. Marc HEILIG, op. cit.
  • 7. Ce décor modelé orne essentiellement les plafonds de la salle des guichets ; il a beaucoup souffert des infiltrations d'humidité.

Référence à citer

Marc Heilig, La sculpture ornementale de la gare de Metz, archeographe, 2018. https://archeographe.net/sculpture_ornementale_gare_Metz