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A la rencontre des voyageurs
Au premier étage du bâtiment central se trouvent deux séries de baies très soignées. Chacun de leurs chapiteaux est orné de deux visages qui composent un ensemble disparate où se côtoient des militaires, des jeunes gens, des personnes d'âge mûr... Certains semblent associés par paires : un couple en bonnet de nuit, une jeune fille triste et un jeune homme joyeux. Dans cette suite apparaissent aussi une femme dont la coiffe évoque le Moyen Age et deux masques grimaçants qui renvoient peut-être à l'univers du théâtre ou du mime. On s'interroge sur le rapport entre ces figures et la fonction de l'édifice ou la destination des salles.
Mais les voyageurs, me direz-vous, où sont-ils ? Les sculpteurs les ont largement représentés. Sur la longue façade du bâtiment central, entre départ et arrivée, deux bas-reliefs indiquent les salles d’attente et buffets, l'un pour les 1ère et la 2e classes, l’autre pour la 3e. La séparation sociale était alors bien plus forte que de nos jours. La première scène montre des gens modestement habillés ; leur repas n'est qu'un simple casse-croûte, ils sont fatigués de leur voyage – l'un d'eux s'est même endormi sur la table. Le second tableau, au contraire, dépeint des gens aisés et élégants qui se restaurent en bonne compagnie.
Dans la salle des pas-perdus, au chapiteau des belles colonnes géminées, on a mis l'accent sur le cercle familial : jeunes mariés, père, mère et enfant, adolescents, et cette belle image du baiser des retrouvailles d'un père et de son fils. Nous sommes à proximité du hall d'arrivée. Là, deux voyageurs bien distincts sont représentés à l'aboutissement du tunnel de sortie1, l'un avec un sac et un béret, l'autre avec un chapeau élégant et un journal. Enfin, les portails de la sortie nous en font rencontrer d'autres encore, parmi lesquels des enfants et des collégiens.
Mais le chef-d'œuvre de cet ensemble ornemental est le grand arc de la façade du hall des départs. On le doit au sculpteur berlinois Robert Schirmer (1850-1923). Dans les entrelacs de motifs ornementaux qui rappellent les enluminures romanes, il a inséré, avec une certaine truculence, différents usagers du chemin de fer. Le voyage en train brasse toutes sortes de gens : des musiciens, des militaires (dont un à cheval), un cycliste, une jeune fille qui retient son chien qui montre les dents à un pasteur, un photographe, un paysan, un bûcheron, un garçon qui serre une oie contre lui...
Et, au sommet, comme pour couronner tout ce petit monde, un jeune homme et une jeune fille se prennent par la main dans un élan amoureux. La gare de Metz, en définitive, n'est pas un édifice si belliqueux qu'on a voulu le prétendre.
Enfin, au pied de cet arc et des hautes baies vitrées, les architectes de ce majestueux édifice se sont fait représenter avec les symboles de leur profession. A tout seigneur tout honneur !
- 1. Le tunnel d’arrivée de la gare a été baptisé passage Adrienne-Thomas en 2012. Adrienne Thomas, de son vrai nom Hertha Strauch, est née à St-Avold en 1897 et a grandi à Metz. En août 1914, elle s’engage dans la Croix-Rouge et s’occupe avec dévouement des soldats allemands et des prisonniers français qui arrivent des zones de combats à la gare de Metz, blessés ou mourants. Elle racontera son expérience dans Die Katrin wird Soldat, publié en 1930 et traduit en français sous le titre Catherine soldat. L’ouvrage connaît un grand succès mais, en raison des origines juives de son auteur, est interdit en 1933 par le parti national-socialiste et brûlé, avec d’autres, au cours d'un autodafé. Adrienne Thomas décède à Vienne en 1980. Par ses écrits, elle est une figure importante de l'humanisme et du pacifisme. Bien connue en Autriche, elle reste oubliée en France jusqu’en 2004, lorsque la municipalité de St-Avold crée un prix qui porte son nom et récompense les jeunes historiens de la ville. Les Éditions Serpenoise ont publié une nouvelle traduction de Catherine soldat en 1989.