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Le travail de la pierre

Nous ne parlerons pas ici de la qualité de la stéréotomie ni de la taille de la pierre. La simple consultation des photographies suffira à en saisir l'importance. Différents outils ont été utilisés pour donner des aspects très divers aux pierres de parement et l'ensemble de la construction jouit encore de l'association de roches, essentiellement des grès de plusieurs couleurs, du granit rose et du basalte. Ce dernier, largement employé pour les colonnettes des fenêtres, rythme les façades de verticales noir foncé.

Cette observation générale admet cependant quelques réserves. Dans la salle des pas-perdus, par exemple, où l'on a utilisé des grès différents pour les chapiteaux, certains de ceux-ci, et non des moindres, ont été taillés dans un grès jaune et friable dont les veines sont très apparentes : le relief des chameaux et de la locomotive, en particulier, apparaît aujourd'hui très émoussé alors qu'il n'a pas eu à subir les intempéries. A tel point qu'on pourrait se demander s'il n'était pas prévu de les peindre afin d'en recouvrir les imperfections.

D'autre part, on n'a pas hésité devant la répétition. C'est le cas, dans la salle des-pas perdus, des motifs des fleurs et du « ruban au diamant », mais aussi des aigles et des hirondelles en vol ; le groupe des douaniers est aussi repris pour la consigne (ou vice-versa). Parfois, une petite touche finale permet de les différencier quelque peu : c'est ainsi que les aigles, que l'on pourrait en plusieurs endroits prendre pour des canards, apparaissent véritablement comme des rapaces sur le chapiteau du hall des départs ; et, dans le cas des préposés à la consigne et des douaniers, le plus âgé porte une barbe complète sur l'un des deux chapiteaux1, alors qu'on ne l'a gratifié que d'une moustache sur l'autre. Les motifs des aigles et les hirondelles en vol reviennent chacun trois fois dans la salle des pas-perdus. Le ruban au diamant y est répété huit fois, les feuilles de chêne six fois, et la marguerite cinq. Et tous sont encore repris dans le hall des départs et la salle attenante. La succession des chefs de chevaliers qui bordent le toit des appartements impériaux reprend aussi plusieurs d'entre eux en façade et sur le côté, où tous sont d'ailleurs des sosies des premiers. Certains types de chapiteaux des fenêtres apparaissent en plusieurs endroits et les naissances des gouttières se répartissent entre quelques modèles...

Plusieurs artistes ont travaillé à ce décor plastique. Malheureusement, l'ouvrage de Schontz donne peu d'informations sur les étapes de la construction et les sculpteurs de la gare. La consultations des archives apporterait peut-être un complément, mais il n'est pas sûr cependant qu'elles nous renseignent beaucoup mieux. Dans l'exemple de la Neustadt de Strasbourg, en effet, on connaît rarement le nom des sculpteurs et des ateliers qui ont travaillé aux bâtiments publics, et bien moins encore ceux des constructions privées2.

Nous savons toutefois que le sculpteur Anders a réalisé la statue du chevalier de la tour et que Robert Schirmer, dont l’atelier était réputé à Berlin pour la sculpture architecturale, des modèles de plâtre que huit sculpteurs de Metz et de Strasbourg ont transposés dans la pierre3. Il est peut-être possible de rapprocher certaines réalisations du style de Schirmer : les bas-reliefs des balcons du côté des appartements impériaux, les chapiteaux de la façade de l'arrivée, ceux des colonnes géminées de la salle des pas-perdus et les deux bas-reliefs qui, de chaque côté, marquent le débouché du tunnel dans le hall d'arrivée. Nous y ajouterions volontiers les deux bas-reliefs de façade des restaurants, voir certains chapiteaux de la salle des pas-perdus comme ceux de la douane, de la consigne et de la poste.

Les sculptures des chapiteaux de la façade du bâtiment sud sont d'une autre main. Peut-être peut-on les rapprocher des figures qui ornent les fenêtres d'étage du bâtiment central.

Dans la salle des pas-perdus, on peut encore distinguer d'autres ensembles de style : les chapiteaux de la locomotive, du bateau à voile, du navire à vapeur et des chameaux ; les fleurs ; les aigles et les hirondelles en vol ; les reliefs des entrées des deux restaurants...

Il reste de grandes lacunes dans ce domaine. A qui doit-on, par exemple, les statues du pignon de l'entrée, la Sidérurgie et la Mine, les bas-reliefs de l'Alsace et de la Lorraine, celui de la Guerre et de l'Industrie, au dessus du balcon impérial, les sculptures fantastiques du clocheton ? Sans parler de la sculpture d'architecture des chapiteaux et des éléments décoratifs qui foisonnent partout jusque dans les endroits les plus imprévus...


  • 1. Sur le chapiteau qui a été retouché.
  • 2. Dans le domaine privé, d'ailleurs, cela s'étend aux autres corps de métiers, comme la ferronnerie, la céramique ou le vitrail. Cf. La Neustadt de Strasbourg, un laboratoire urbain 1871-1930, Éditions Lieux-Dits 2017, p. 163 sqq. Cela nous a été confirmé par deux des auteurs de cet ouvrage exceptionnel lors de la conférence qu'ils ont donnée le 12 octobre 2017 à la librairie Quai des Brumes de Strasbourg à l'occasion de la publication du livre.
  • 3. Cf. SCHONTZ, op. cit., p. 81.

Référence à citer

Marc Heilig, La sculpture ornementale de la gare de Metz, archeographe, 2018. https://archeographe.net/sculpture_ornementale_gare_Metz