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L'hôpital

Le site du couvent des Franciscains de Colmar, après avoir été vendu à la ville, connut de multiples transformations qui en dissocièrent irrémédiablement les différentes parties : partition de l'église, modifications de la nef, installation de l'hôpital...

L'église protestante de 1568 à 1715

Dès 1568, les Protestants demandèrent une église pour leur culte au Magistrat qui nomma Michel Buchinger comme prédicateur de l'église de l'hôpital ; celui-ci entra en service en 1569. De plus en plus nombreux, mécontents de leurs prédicateurs, les Protestants se voyaient contraints de satisfaire hors de Colmar leurs convictions religieuses. Aussi, en 1575, le Magistrat se fit-il confirmer son droit à autoriser une paroisse pour la Confession d'Augsbourg. Jean Keller (Cellarius), de Jebsheim, fut chargé de la première prédication, le 15 mars 1575 ; elle fut accompagnée de psaumes chantés par des personnes qui se tenaient dans le chœur ; le Magistrat y assista dans son entier. Le pasteur de Horbourg, Colmannus Preger, assura le culte jusqu'à ce que le premier pasteur, Christian Serin, prît ses fonctions en juin 1575. A partir de ce moment, les fondations et les privilèges de l'église furent supprimés.
Le 17 juillet 1627, pourtant, une ordonnance du grand bailli d'Alsace, l'archiduc Léopold d'Autriche, supprimait les « changements de religion » et « toutes innovations ». Le Magistrat dut laisser l'église aux Jésuites. Elle fut à nouveau bénie le 19 mars 1628. Les prédicateurs furent chassés ; les habitants protestants durent quitter la ville dans l'année. Jésuites et Capucins furent appelés pour accélérer les conversions. La prise de Colmar par le Général Horn en 1632 ramena la situation à ce qu'elle était avant 1626, et rétablit les deux cultes à Colmar. La paroisse protestante occupa alors entièrement l'ancienne église des Franciscains. En 1679 fut promulguée la loi du simultaneum qui autorisait les deux cultes dans la même église. En conséquence, les Catholiques eurent droit au chœur et les Protestants à la nef. Cette situation fut renforcée et matérialisée le 11 mars 1715, lorsque J.-F. Dietremann, Prêteur Royal de Colmar, Conseiller du Conseil Souverain et Délégué de l'Intendant, lut l'ordre de prendre possession du chœur afin qu'il serve aux besoins de Saint-Martin et de chapelle de l'hôpital. Pendant la nuit, on poursuivit jusqu'à la voûte le mur qui sépare le chœur de la nef.

Divers aménagements et constructions marquent cette première période protestante. Le petit clocher fut construit en 1582. Les orgues, commencées en juin 1588, furent inaugurés à l'Ascension de l'année suivante, placés au dessus de la porte d'entrée ; ils furent agrandis en 1695 et installés sur le jubé. En 1608 fut terminé le bâtiment des Arcades ; il occupe une partie du cimetière des Franciscains, ainsi que l'espace de neuf ateliers de serruriers détruits par le feu et de l'auberge Zum Roten Salmen. Il apparaît, en bordure de la Grand Rue, sur les plans de Colmar à partir de celui de 1720. En 1700-01, on refit les peintures de l'église en rouge et blanc1, construisit une nouvelle tribune dans la nef2, ainsi qu'une nouvelle chaire, et l'on procéda à des réparations dans le chœur (nouvelle couverture, réparation des fenêtres). On posa un nouveau dallage en 1710. En 1715, comme nous l'avons vu, le mur de séparation entre nef et choeur fut élevé jusqu'à la voûte et l'on perça deux portes dans le chœur, l'une donnant sur la ville au nord, l'autre sur l'hôpital au sud.

Le site du couvent de 1715 à nos jours

Ainsi, à partir de 1715, l'ensemble du couvent est-il scindé en deux parties bien distinctes : le couvent, transformé en hôpital, avec le chœur de l'église pour chapelle d'une part, la nef de l'église pour l'usage de la paroisse protestante d'autre part (plan de l'hôpital de 1715, plan de la ville de 1720).

En 1735, un incendie dû à la foudre détruisit l'hôpital3, qui servait au soin des soldats depuis 1699 et portait de ce fait le nom d'Hôpital Français (plan de la ville de 1768, au sud de l'église). Disparaissaient ainsi les anciens bâtiments du couvent franciscain. On releva en partie l'hôpital sur les vieilles fondations et, séparé de lui par le Schlüsselbächlein, un nouveau bâtiment, l'Hôpital Bourgeois, fut construit de 1735 à 1744 par l'architecte Dando, avec des matériaux provenant des fortifications détruites en 1673. La nouvelle organisation du lieu figure sur les plans de Colmar de 1797, du début du XIXe s. et de 1809.

En 1790, les Protestants furent confirmés dans leurs droits, les restrictions à leur égard furent supprimées et le patrimoine foncier des églises protestantes fut déclaré invendable comme bien national. Leur église de Colmar fut néanmoins réquisitionnée en 1793 afin de servir d'hôpital ambulant de l'armée4, et son mobilier vendu par lots. Le 19 août 1795, Richou, représentant du Peuple, rendit aux Protestants le bâtiment « dans l'état où il se trouve » ; dix jours plus tard, le culte protestant pouvait être à nouveau célébré dans un local presqu'entièrement réparé5.

La cour derrière l'Hôpital Bourgeois fut assainie vers 1830 et débarrassée de l'exploitation agricole qui s'y trouvait (en jaune sur le plan de Colmar de 1797) ; deux bâtiments la remplacèrent entre 1880 et 1888, dont l'un servit un temps d'hôpital militaire allemand puis, à partir de 1895, d'école de sages-femmes et de maternité. En 1856, la Porte de Rouffach, érigée en 1824 à la place de la Kerkerthor et démontée en 1855, fut placée comme porte de l'hôpital.

Les Protestants adaptèrent la nef à leurs besoins. Pour combattre l'humidité, on édifia en 1861 le mur postiche nord et l'on vota des travaux qui devaient améliorer l'acoustique et le chauffage. Ceux-ci furent exécutés en 1862 par l'architecte Roehrich. Il replaça la tribune d'orgue à l'entrée et, pour étouffer le bruit de la rue, ferma par un mur la partie de l'église située en dessous ; vers le chœur, à 8 m du fond de la nef, il éleva une cloison vitrée jusqu'au plafond : le nouveau local ainsi aménagé, embelli par le dégagement du jubé que cachait jusque là une épaisse maçonnerie, servit pour des cérémonies particulières et pour les séances du Consistoire ; il accrocha la chaire au pilier médian du côté nord ; enfin, à 8 m sous les solives de la nef, il posa un faux-plafond afin de diminuer l'espace à chauffer et d'améliorer l'acoustique. Cette dernière transformation privait le vaisseau de la lumière des fenêtres hautes. L'ensemble de ces travaux fut sévèrement critiqué le 18 août 1862 par le Baron de Schauenberg, lors d'une séance du Comité de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques. Le chauffage par calorifère ne fut installé qu'en 18816.

Peu avant 1914, la Ville de Colmar dut entreprendre de nouveaux aménagements : création à l'entrée d'une salle de réunion et d'une bibliothèque et réfection de la chapelle sud-est. Le temple Saint-Matthieu possède un plan de 1910 qui nous donne un dernier état de l'église et de son environnement avant la Grande Guerre. Interrompus par les hostilités, les travaux reprirent après 1918 sous la direction de l'architecte de la ville Frédéric Walter. Il supprima la cloison vitrée, rendant ainsi le jubé apparent, remplaça par des sacristies les locaux situés derrière la cloison vitrée du sud et plaça la chaire au pilier nord le plus proche du jubé. Enfin, vers 1924, la tribune d'orgues fut avancée vers l'intérieur de la nef. En 1966, à la suite d'un tassement des terrains instables de l'ancien couvent, place du Deux Février, la partie de l'église au sud du jubé s'affaissa, et l'on dut consolider les fondations et les voûtes.

Quant au chœur, transformé en menuiserie depuis le 8 mars 1794 et loué au menuisier Maasberg jusqu'en 1825, il retrouva sa destination de chapelle de l'hôpital et fut alors restauré grâce à l'initiative de Sœur Agatha, supérieure des sœurs de la Charité. L'évêché de Strasbourg le restitua aux Protestants en 1937.

L'hôpital fut déplacé en 1937 et les parties correspondant à l'ancien couvent furent détruites peu après. L'endroit devint la Place du Deux-Février, sous laquelle on construisit un parking en 1971. Le chœur de l'église fut à nouveau restauré en 1985-86. En 1995, il fut décidé d'aménager la nef en salle de concert, telle qu'on peut la voir aujourd'hui. Les importants travaux entrepris alors furent accompagnés de fouilles archéologiques en juin 1995 et pendant l'hiver 1995-96. Ces observations archéologiques apportèrent des éléments essentiels à la connaissance du site.

  • 1. Par André Ziegler.
  • 2. 1700 est la date que l'on peut lire sur un pilier.
  • 3. Il faut retenir la date de 1735, donnée par Billing 1859, et non celle de 1734 comme le fait Betz 1971. Les incendies sont d'ailleurs fréquents, puisque pour la seule période de 1731 à 1791, Billing 1859 en mentionne cinq à l'hôpital, qui furent cependant rapidement maîtrisés pour la plupart.
  • 4. Les cultes publics avaient été supprimés par le représentant du Peuple Hérault de Seychelles.
  • 5. Kraus 1884 donne 1794 pour la restitution et 1795 pour le début des réparations.
  • 6. J. Betz a publié un plan intitulé Plan général de l'église avec les changements projetés, sur lequel sonyt portées les modifications exécutées en 1862. Cf J. Betz, L'église protestante Saint-Matthieu, Strasbourg, 1971.

Référence à citer

Marc Heilig, Le couvent des Franciscains à Colmar, archeographe, 2003. https://archeographe.net/Le-couvent-des-Franciscains-a%2C69