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Naissance et développement du sanctuaire

Le culte d’Hercule prit une ampleur particulière sous les Antonins (98-193) : Trajan, Antonin le Pieux et Marc Aurèle en favorisèrent l’essor, et Commode poussa l’excentricité jusqu’à s’identifier au dieu. On pense que le sanctuaire de Deneuvre fut créé dans ce cadre historique vers 160. A l’endroit choisi se rejoignaient deux vallons perpendiculaires, l’un plus élevé avec une pente d’ouest en est, l’autre, plus bas, du sud au nord ; une source sortait de terre dans chacun d'eux. On s’adapta à cette configuration naturelle sans beaucoup la modifier1.
Au début, il ne s’agit que de structures en bois, essentiellement trois bassins2. Deux sont alignés dans le vallon inférieur : l’eau de la source se déversait dans une cuve de planches (BB III), au sud, puis était canalisée vers un deuxième bassin situé au milieu de la déclivité (BB II). Celui-ci accueillait en outre la canalisation du troisième bassin (BB I), qui collectait l’eau de la source du vallon supérieur. Le trop-plein s’écoulait dans un fossé au nord du bassin médian. Si BB I n'était pas couvert, BB II avait une toiture légère qui reposait sur une clôture de planches ouverte à l'est3. Environ 6m à l’est de cet édicule, les fouilles ont mis au jour un solin de pierres qui supportait un clayonnage renforcé de poutres verticales. Ce mur était implanté dans le sens du vallon et, bien qu’on ne le suive pas sur toute sa longueur, il laisse supposer que d’autres constructions légères complétaient l’ensemble. Avec un sol d’argile mêlée de galets, le sanctuaire offrait ainsi une apparence plutôt rustique4.

Il se développe à la fin de Marc Aurèle ou au début de Commode. La pierre remplace le bois : des vasques prennent place au fond des bassins et deux d’entre eux, BP I et III, sont couverts d'une charpente supportée par 4 colonnes de grès de style toscan, avec bases et chapiteaux moulurés et, pour BP I, renflement du fût. Certes, la pierre donne une allure plus prestigieuse au sanctuaire, notamment les colonnes, mais on constate que le travail a été fait assez grossièrement : la réalisation manque d’unité dans les détails (moulures, fûts) et la finition laisse à désirer, comme ces traces d’outils qu’on n’a pas pris la peine d’effacer. Des stèles et des autels, installés sur des socles, peuplent les abords de BP I et forment une rangée entre BP III et BP II.
Une des particularités de ce nouveau sanctuaire est que l’on a maintenu les anciennes installations en complément des nouvelles5 : BB I se trouve désormais sur le trajet de la canalisation qui conduit l’eau depuis l’imposant BP I, élevé plus à l’ouest, au bassin BB II ; celui-ci a été remblayé de sable, que l’eau peut traverser aisément, mais n’est peut-être plus alimenté par la canalisation qui vient de la source sud puisque le bassin de pierre BP II a été implanté en amont ; l’aménagement de BP III, enfin, s’est limité à poser une dalle de pierre avec une ouverture carrée sur l’ancienne cuve de bois.
Ces transformations courent probablement sur une dizaine d’années, entre 170 et 185 : elles sont la conséquence du succès grandissant du culte d’Hercule et d’une plus forte fréquentation du pèlerinage. Le sanctuaire de Deneuvre connaît alors son apogée. Pourtant, malgré un aspect plus monumental, il paraît être resté modeste6 : si la statuaire y est de bonne facture, on n’y rencontre aucun des édifices prestigieux (thermes, portiques…) dont se parent bien des lieux sacré à cette époque.


  • 1. Comme le vallon ouest-est est un peu plus haut que le vallon sud-nord, on pense que leur jonction a été aménagée en une terrasse dont on a renforcé le rebord.
  • 2. Par commodité, nous reprenons les appellations que Gérard Moitrieux a données à ces bassins : BB I, II et III pour les bassins de bois ; BP I, II et III pour les bassins de pierre.
  • 3. On ne peut dire si BB III était couvert car le dispositif postérieur s'est superposé à la structure de bois.
  • 4. Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, le bois subsiste partout à cette époque et n’est que progressivement remplacé par la pierre.
  • 5. Peut-être faut-il y voir la marque d’un certain conservatisme religieux, qui devait se faire sentir assez fortement dans un sanctuaire rural.
  • 6. Nous donnons ici un croquis afin de permettre de situer les divers éléments du sanctuaire, mais Gérard Moitrieux propose une reconstitution qui en traduit mieux qu'un plan la petite taille. Cf. Gérard MOITRIEUX, op. cit., Planche IX, p. 229.

Référence à citer

Marc Heilig, Les Sources d'Hercule, archeographe, 2015. https://archeographe.net/sources-Hercule