Rites et culte

En outre, les fouilles n’ont pas révélé de fanum, ni même une simple cella. Il se peut que de tels édifices aient existé en dehors de la zone étudiée mais les exemples sont fréquents en Gaule de sanctuaires qui en étaient dépourvus. Albert Grenier le faisait déjà remarquer1. « Le temple, écrit-il, n’est pas l’essentiel du sanctuaire. Le sanctuaire est, avant tout, l’espace qui appartient au dieu, réservé selon la tradition pré-romaine au rassemblement des pèlerins pour l’invocation collective, les rites du culte, processions probablement, et le sacrifice. Il peut être dénué de toute construction. L'essentiel en est l'enceinte qui l'isole du territoire profane, simple ligne idéale peut-être, à l'origine, connue et respectée de tous, ou barrière quelconque et, très tard seulement, mur maçonné avec ou sans portique. » Les travaux, jusqu'ici, n'ont pas permis de repérer cette limite entre espace profane et espace sacré : nous sommes à l'intérieur de celui-ci, et nous n'en connaissons pas l'extension véritable.

Bien que les sources soient au centre du culte du sanctuaire, leur eau ne présente aucune propriété curative particulière : personnalisées par des déesses, elles étaient la manifestation de la présence du dieu. Les pèlerins puisaient sans doute dans les bassins pour des ablutions purificatrices, peut-être buvaient-ils un peu de cette eau divine, mais Hercule restait le maître du lieu. Par le rituel, les fidèles entraient en relation avec lui et pouvaient lui soumettre leurs vœux.
Que demandaient-ils ? La santé, assurément, mais aussi une bonne fortune2. A Deneuvre, Hercule répondait aux aspirations d’une population rurale. Citons ici Marcel Simon : « Les petites gens vénèrent en lui un défenseur des faibles, le redresseur des torts, le chevalier de la justice (…) Marchands et cultivateurs se disputent ses bonnes grâces : il apporte la chance, procure la réussite en affaires, fait à l’occasion fructifier les champs3. » Ses combats et ses victoires le rendaient proche de ses fidèles, tout comme sa fin douloureuse et sa renaissance à l’état divin. Ils le révéraient, pourrait-on dire, avec la foi du charbonnier, et lui manifestaient leur reconnaissance par de modestes offrandes.
Les fouilles ont ainsi révélé des vases en terre cuite ordinaire ou en sigillée ; des récipients en verre, parfois de bonne qualité ; de nombreuses monnaies et des objets métalliques (clochettes, médaillons, lamelles dorées que l’on a retrouvées pliées…) ; des offrandes alimentaires et de petits animaux sacrifiés... On n’a retrouvé que deux figurines, l’une en bronze représentant Mars4, l’autre en terre blanche de l’Allier, du type Taranis portant la roue. Les graffitis sont tout aussi rares : une pierre plate porte l’inscription DEO HERCVLI, et deux morceaux de tuiles les lettres H V5. Les fidèles les plus aisés élevaient en l’honneur d’Hercule des statues qui témoignent de son efficacité car elles devaient coûter fort cher6.

Du fait de la destruction sauvage du sanctuaire, les offrandes ont été retrouvées éparpillées sur tout le site ; il est donc souvent impossible de déterminer leur situation originelle. On peut néanmoins faire ressortir quelques points quant à l’organisation générale. Puisqu’ils concrétisaient la puissance divine, les bassins délimitaient vraisemblablement une aire sacrée où l’on respectait certaines conventions. A l’est, l’alignement entre BP III et II semble avoir été un endroit particulièrement prisé car on y a disposé les plus belles statues. Leur juxtaposition, cependant, ne paraît pas prendre l’esthétique pour critère, ni le type de support, et moins encore la taille : on trouve côte à côte stèles et autels de proportions différentes. Par contre, la qualité de leur exécution en faisait les plus coûteuses. Une statue dans cet alignement prestigieux témoignerait ainsi de l’importance ou de la fortune du donateur.
Il semble que les bassins n’aient servi qu’à des ablutions rituelles. On n’a rien retrouvé dans les vasques, sans doute parce que le culte ne permettait pas qu’on y jetât quelque chose7. Mais, dans le monument de BP I, les fouilles ont révélé de nombreux ex-voto entre la vasque et la bordure. Sans doute cet espace, dans l’immédiate proximité de la manifestation du dieu, revêtait-il pour les fidèles une valeur exceptionnelle : en y déposant leur offrande, ils s’assuraient d’une efficacité sans faille.



• 1. Albert GRENIER, Manuel d’archéologie, VII 1960, Les Monuments des eaux, Conclusion, p. 948.
• 2. On a retrouvé quelques autres divinités bienveillantes, portant une bourse ou une corne d’abondance (voir plus loin). Leur présence ici est tout à fait naturelle.
• 3. Marcel SIMON, Hercule et le christianisme, 1955, p. 129.
• 4. En Gaule, Mars est un dieu à la fois guerrier et guérisseur.
• 5. Pour Herculi Votum.
• 6. On a pu évaluer qu’une statue de taille moyenne pouvait atteindre la solde annuelle d’un centurion.
• 7. C’est pourtant souvent le cas dans les sanctuaires des eaux, sources, fontaines ou bassins. De nos jours encore, il est de tradition de formuler un vœu en jetant une piécette dans la fontaine de Trevi, à Rome, et même a proximité de sanctuaires chrétiens renommés.