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La disparition de Saint-Privat
Le triste constat du conseil municipal de Saint-Privat le 29 germinal An XI est révélateur1 : Le conseil a observé qu'il se trouve une ancienne église avec son cimetière, laquelle se trouve en très mauvais état en dedans de ladite église qui se trouve entièrement dévastée et la toiture entièrement en très mauvais état la cloche et les bancs du dit église ont été transportés à Montigni. Le conseil observe que la maison curial est vendu et que la commune étant peu nombreuse et sans aucunes ressources ni ayant aucun bien communaux il demande detre réunis avec Montigni et que le cimetière nous soit conservé pour servir de sépulture aux habitants du lieu.
La réunion des deux communes mettra un certain temps à se faire car les magistrats de Saint-Privat reviennent sur leur décision en décembre 1806. Le préfet désigne d'ailleurs un nouveau maire et un adjoint un an plus tard. Le rattachement à Montigny est néanmoins inévitable. Le conseil municipal de Saint-Privat le reconnaît implicitement lors de sa dernière réunion, le 14 mai 1809 : Le conseil n'ayant plus à s'occuper d'autres choses, le maire a déclaré que la session était terminée et que le conseil ne pourrait plus se réunir sans un ordre du gouvernement ou une autorisation de Monsieur le Préfet à peine de nullité des délibérations. Napoléon Ie signe le décret du rattachement de Saint-Privat à Montigny le 5 août 1809 au château de Schönbrunn.
L'arrêt préfectoral, daté du 12 août, est lu à la fin de la messe devant l'église de Montigny le 17 août.
Lors de sa séance du 12 avril 1810, le conseil municipal de Montigny, faisant suite à la demande du préfet, délibère sur le sort de l'église Saint-Privat et décide à l'unanimité de la démolir. Cela permettra d'agrandir le cimetière. L'entrepreneur qui se chargera de la besogne devra libérer le terrain de tous ses murs afin que les fossoyeurs puissent y travailler sans difficulté2. Le maire doit aussi trouver une utilisation pour l'ancienne sacristie. L'église est ainsi démolie en 1810. Pas entièrement toutefois, puisqu'il en subsiste quelques vestiges qui viennent d'être restaurés.
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Le cimetière continua toutefois à servir. Quelques pans de son mur existaient encore lorsqu'on construisit l'Hôtel de l'Air, rue Franiatte, dans les années 19603. Les fouilles menées en 2005 par l'INRAP au 50 rue Franiatte et 24 rue des Volontaires ont mis au jour dix sépultures du cimetière de Saint-Privat, sans toutefois trouver d'élément de datation4.
Le hameau Saint-Privat est resté dans les mémoires. Une feuille du cadastre de 1953 lui est consacrée. Il y a quelques années, on pouvait encore en lire le nom sur un panneau indicateur rue Charles Pêtre.
L'église Saint-Privat. Description et essai de restitution
Quel aspect présentait l'église Saint-Privat lorsqu'elle fut détruite en 1810 ? Deux auteurs nous servent de source. Maujean, d'une part, ne fait que décrire le bâtiment que nous connaissons, ou du moins tel qu'il était dans les années 19305. René Bour, d'autre part, évoque un document d'archives qui donne le plan de notre église vers 17506.
Certains détails, cependant, poussent à considérer ces deux descriptions avec circonspection. Tout d'abord, on l'a vu, l'église Saint-Privat ne fut pas entièrement démolie en 1810. En outre, ce n'était pas la première fois qu'on la détruisait. Comme tant d'autres édifices, elle l'avait été en 1552 sur les ordres du duc de Guise, et alors non plus, le travail n'avait pas été mené à terme. Nous ne savons quelle fut l'ampleur de la destruction du Xe siècle. De toute façon, le bâtiment semble avoir été, pour le moins, remanié à maintes reprises. Nous ne pouvons plus espérer retrouver l'aspect de l'édifice originel car il ne fait aucun doute que les vestiges actuels correspondent à un état ultérieur de l'église Saint-Privat. Ils appartiennent à un édifice de la fin du Moyen Age ou du début de l'époque moderne. Cela correspond assez bien à ce que rapporte Philippe de Vigneulles : en 1522, « l'on faisoit ouvrer et woulter l'église. » Il s'agit vraisemblablement de la voûte d'arêtes que nous connaissons. Nous pouvons peut-être tenter de restituer ce bâtiment. Pour cela, nous devons partir de la description de ce qui nous est conservé.
Les murs sont en moellons irréguliers. Les pièces d'architecture importantes sont taillées en pierre de Jaumont, un beau calcaire qui prend au soleil une nuance dorée7 : éléments d'encadrements, arcs, supports...
On entre actuellement dans un bâtiment qui comprend deux parties. La première, couverte par une croisée d'ogives, fait environ 2,40 m sur 2,72. On trouve dans cet espace plusieurs ouvertures : la porte d'entrée, sur le petit côté nord, deux fenêtres sur le mur du fond, à l'est, et une troisième, en ogive, sur le mur sud. Sur les petits côtés, nord et sud, on remarque un arc formeret à profil brisé entre les arêtes de la voûte. A l'ouest, un arc en plein cintre, majestueux et large, permet de passer dans la seconde partie.
L'architecture et le décor soignés montrent parfaitement qu'il s'agit là d'un espace important, et même les transformations et la surcharge ornementale vont dans ce sens. Les arêtes des ogives sont soulignées par des rouleaux dont le profil en écu fait preuve d'une recherche certaine8. A leur <intersection, la clef de voûte est ornée d'un motif floral aujourd'hui fort émoussé.
Dans trois des angles de la salle, les rouleaux retombent sur des consoles ornées. Celle du nord-ouest a un décor de triangles alternativement pleins et creux ; en dessous, deux rangs de carrés reprennent cette alternance. Au nord-est, le décor est fait de triangles qui contiennent chacun trois perles. La console du sud-est est trop abîmée pour qu'on en discerne l'ornementation.
L'angle sud-ouest, visiblement remanié, devait avoir un dispositif semblable : aujourd'hui, l'arc repose sur le linteau de pierre d'une baie aveugle ; elle n'a pas de fonction architecturale, et l'on pourrait plutôt y voir une sorte d'armoire.
Les angles de la pièce cristallisent un autre décor, en dessous des consoles, sous la forme de colonnettes à chapiteaux. Ceux-ci ont une corbeille ornée de crochets feuillus, un motif fréquent dans l'architecture de cette époque9 ; fût et base ont disparu au nord-ouest, mais les deux autres sont de même facture.
Enfin, des peintures murales venaient encore rehausser l'ensemble. Il en subsiste des traces sur l'arc en plein cintre, sur l'intrados duquel on distingue encore des rinceaux.
- 1. Cf François REITEL et Lucien ARZ, Montigny-lès-Metz, 1988, p. 156.
- 2. Le contrat précise que l'adjudicateur devra détruire le bâtiment jusqu'à trois pieds en dessous du niveau de l'église et remblayer de terre ; il pourra récupérer toutes les pierres, sauf celles qui ne peuvent être remployées en construction.
- 3. Cf Charles BELTZUNG, Les amis du patrimoine de Marly, bulletin du 27 mars 1993.
- 4. Cf Gilles MANGIN, Montigny-lès-Metz (Moselle) “50, rue Franiatte”, Rapport de diagnostic, INRAP, 2005. Les inhumations étaient en pleine terre, orientées NO-SE, sauf une qui étéait N-S. Cette dernière tombe était d'ailleurs bien plus profonde que les autres, ce qui donne à envisager au moins deux phases chronologiques dans ce cimetière. On regrettera toutefois que l'intervention archéologique n'ait pas concerné aussi l'intérieur de l'église.
- 5. Cf MAUJEAN Léon, La Lorraine historique, Notice de Montigny-lès-Metz, vers 1930, p. 42 et sq. « Elle (l'église de Saint-Privat) est composée d'une abside, prolongée par une travée. Les dimensions en sont réduites : longueur totale environ cinq mètres, sur une largeur uniforme de 2m.50. La hauteur du sol aux clefs de voûte est de 3 m.25. La chapelle n'est pas orientée, et le chœur accuse une forte déviation de l'axe de la petite nef.
Les voûtes sont gothiques, avec arceaux croisés portant de fortes nervures. L'arc de triomphe roman repose sur des colonnes engagées dans la muraille. Les chapiteaux, à 1 m. 20 du sol, sont curieusement travaillés, surtout celui du côté nord, qui offre sur son rebord extérieur des moulures romano-byzantines ; en haut un tore brisé en zig-zag, et en dessous un échiquier formé de carrés de mêmes dimensions, alternativement creux et saillants, comme on en trouve à l'époque de la transition. Malheureusement les sujets placés aux deux angles sont mutilés et difficiles à déterminer : crosses entablées ou figures humaines ? Sous le chapiteau de droite est une grande niche sans ornement. On voit dans la muraille de droite une fenêtre ogivale murée, la seule qui dispensât de la lumière au chœur.
La travée prolongée - nous n'osons pas parler d'une nef – avait des voûtes en arceaux, qui sont aujourd'hui fortement endommagées. Dans la muraille, du côté sud, s'ouvre une grande porte en plein cintre, aujourd'hui murée, qui donnait accès au cimetière. Elle n'est pas contemporaine de l'église primitive et fut établie plus tard. A l'angle sud-ouest s'élève une colonne trapue avec base et chapiteau très simples, qui marque l'angle extérieur de la chapelle, car à cet endroit le mur fait sur deux mètres un angle rentrant, de sorte que le mur de la nef disparue ne se trouve pas dans le prolongement de la muraille de la chapelle, et cette disposition fait apparaître cette dernière comme le croisillon droit d'un transept. » - 6. Dans un ouvrage sur l'ancienne liturgie de Metz et de ses églises avant l'an 1000. « Sa longueur », écrit l'historien messin, « était de 9 toises et 4 pieds, et sa largeur de 7 toises et demie. Elle n'avait qu'une nef voûtée en arêtes ; à l'entrée une espèce de vestibule intérieur dont l'extrémité droite est occupée par une tour carrée. La nef proprement dite compte deux travées dont les arcs formerêts ainsi que les arêtes retombent sur des pilastres qui avancent passablement vers l'intérieur. L'abside était semi circulaire. En dehors du maître autel, on en voyait deux autres à l'entrée du chœur. » Cf BOUR René, Églises messines antérieures à l'an mil, ASHAL XXXVIII, 1929, p. 510-639.
- 7. Ce même calcaire qui est si fréquemment utilisé dans l'architecture messine jusqu'à l'annexion de 1870.
- 8. On aurait pu en effet se contenter d'un simple tore.
- 9. Au nord-ouest, elle est si abîmée que certains ont pris les volutes de feuillage pour des visages.