Vous êtes ici

Le temps de la Révolution

Avant que la Révolution ne devienne radicale et ne modifie profondément le pays, on chercha d'abord à améliorer les choses existantes par une grande consultation nationale. En 1789, toutes les communes durent rédiger un cahier de doléances pour préparer ces États Généraux. Contrairement à celui de Montigny, qui allait jusqu'à proposer des solutions aux défauts qu'il répertoriait, le rapport de Saint-Privat fut insignifiant1.

Assemblée du 11 mars, par-devant Pierre Putigny, maire-syndic ; publication au prône, le 11 mars, par le curé.
Onze feux, cinq comparants, cinq signatures comme au cahier.
Députés : Jean-Baptiste Hennequin et Christophe Bogenez.
Convocation de l'assemblée de tous les habitants de la communauté de Saint-Privat-lez-Metz..., après avoir reçu l'exploit... signifié par Paul Morhain, huissier royal, le 11e mars, pour enjoindre aux habitants de Saint-Privat de se conformer aux dites lettres et ordonnances. Après qu'elles ont été lues aux dits habitants, assemblés aux lieux et manière accoutumés...
La plainte de la plus grande partie des habitants est qu'ils ne sont pas dans le cas de nourrir des bestiaux pour fournir à la consommation de leurs ménages, à cause qu'ils n'ont point de pâture : (ce qui est) causé par l'édit du Roi en 1768 pour les enclos. Les habitants du Sablon, ban joignant, ont profité du même édit pour d'opposer au vain parcours des dits habitants.
Les laboureurs sont obligés de faire saillir leurs juments par des haras en payant, et les dits haras sont encore imposés sur les impositions royales : ce qui cause qu'ils ne font point d'élèves de pays, qui seraient meilleurs pour leurs ouvrages que les chevaux étrangers.
Les dits habitants (qui) ne sont au nombre que d'onze, payent la somme de 662 livres 13 sols 2 deniers en impositions royales, non compris le sixième pour les travaux : cette somme (est) exorbitante pour l'étendue du ban et pour une si petite quantité d'habitants.
L'édit du Roi, il y a environ vingt ans, a obligé les communautés aux constructions et réfections des églises à la décharge des décimateurs : (ce) qui cause un préjudice considérable aux remontrants qui ne possèdent aucuns biens communaux ; les dits remontrants désireraient que les décimateurs soient comme ci-devant, conformément aux demandes de la plus grande partie des autres communautés.
Que les impôts sur les vins de la Lorraine pour les passer en France soient supprimés.
Ce qui a été fait et arrêté dans la dite assemblée, le dit jour 11e mars 1789, pour être présenté en l'assemblée de Metz par les sieurs Jean-Baptiste Hennequin et Christophe Bogenez, députés de la dite assemblée.
Christophe Bogenez ; Jean-Baptiste Hennequin ; Pierre Putigny, maire-syndic ; J.-P. (Jacques Privat) Champigneulles ; Charles Beaucour.

Pourtant, durant toute cette période féconde, les événements parisiens sont suivis avec attention, aussi bien à Saint-Privat qu'à Montigny. Les registres des deux communes enregistrent avec soin les moindres textes législatifs car il s'y trouve bien des modifications qui les concernent et qu'elles ne sauraient ignorer. En décembre 1789, par exemple, le nouveau système communal qu'établit le Roi a pour conséquence que le conseil municipal de Saint-Privat sera désormais restreint à trois membres, le maire y compris2. De même, la loi du 17 juin 1790 stipule que les communes doivent diviser leur territoire en sections : Saint-Privat en crée deux le 14 octobre 1791, celle des « Monts Cassins » et celle de « Saint-Privat ».

Se plier à la constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1790 par l'Assemblée Nationale, fut plus difficile3. Le curé de Saint-Privat, Pierre Nicolas Pichon, s'y refusa, si bien que le conseil municipal dut se réunir chez le maire, le 18 février 1791, pour exiger qu'il s'y conforme. Mais le prêtre tint bon et déclara qu'il s'était toujours fait un devoir sacré dont il rougirait de s'écarter un instant, d'être fidèle à la Nation, d'obéir aux lois divines et humaines, d'avoir pour la personne du Roi un attachement inviolable et de marquer une soumission respectueuse et sans bornes à ses ordres et ses volontés, mais que sa conscience qu'il avait coutume de consulter et de prendre pour guide dans la conduite ne lui permettait pas de prêter le serment civique décrété par la Loi. Il nous a déclaré en outre, poursuit le compte-rendu, que par le refus qu'il faisait de défférer aud. décret il n'entendait point par là donner sa démission de la dite cure de Saint-Privat dont il est paisible titulaire, qu'au contraire il voulait la conserver et qu'il se regardait toujours comme curé dudit Saint-Privat jusqu'à ce qu'il plut à Dieu d'en disposer autrement, Et qu'il protestait contre toute entreprise de violences quelconques qu'on pourrait lui faire à ce sujet. Le curé fut donc remplacé4.

Comme le monastère et l'église de Montigny avaient été fermés, les habitants devaient se rendre à l'église de Saint-Privat5. Le registre des délibérations du Conseil Municipal de Montigny nous apprend toutefois, à la date du 9 novembre An I, que l'on nomme le citoyen François Georges ex-bénédictin muni d'une commission de Lévêque du département de la Mozelle pour l'administration de la cure de Saint-Privat et Montigny laquelle se trouvait dépourvu de pasteur, le dit citoyen Georges après avoir invités les conseils généraux des communes de Saint-Privat et de Montigny de se rendre cejourdhuy à l'église de Saint-Privat en leur présence et à la réquisition des procureurs des communes respectives preté le serment voulu par la loi. Saint-Privat n'avait donc plus de curé depuis 17916. Le 30 avril 1793, la cure retourna officiellement à Montigny, où la population était plus nombreuse et l'église plus grande et plus récente7. On y transporta le mobilier sacré de l'église de Saint-Privat. Le citoyen Gobert, directeur des subsistances militaires, loua le bâtiment pour y entreposer des cuirs et du suif, une bien triste fin pour un sanctuaire si vénérable. Il ne devait plus jamais revenir à sa destination première. Le pouillé du diocèse de Metz, à la fin du siècle, en donne l'image d'une église isolée dans la plaine du Sablon, à côté de la maison curiale et de celle du maître d'école.

Désormais l'anticléricalisme faisait rage. Selon ses prescriptions, le nom des communes devait perdre toute référence au christianisme. Le 1e nivôse An II, Saint-Privat devint donc « Seigleville », ainsi que nous l'apprend un extrait du conseil municipal à cette date :
Nous officiers municipaux et membres de la commune de Saint-Privat avons convoqué tous les individus de notre commune au fin de leur faire part de la lettre que nous avons reçue des administrateurs du Directoire du District en date du 26 frimaire dernier, concernant le nouveau nom à substituer en place de celui dont porte notre commune. En conséquence et de l'avis de nos concitoyens, celui de notre procureur de commune et d'un commun accord avons supprimé le nom Saint et avons substitué celui de Seigleville pour raison qu'il croît du seigle dans une partie de notre ban, avons chargé notre procureur de commune d'en faire dresser acte qui restera dans notre greffe et que copie en sera donnée au Directoire du District pour y être statué ce qu'au cas appartiendra, assurant par les présents que nous n'avons aucun hameau ny cens qui portassent des noms qui désavouent le Républicanisme. Fait et arrêté en séance le dit jour premier nivôse de l'an 2e de la République une et indivisible.
Signé : Charles Beaucourt procureur, François Fénot officier, Christophe Bogenez maire, J. Baptiste Hennequin officier, Montigny

Le nom choisi n'était guère heureux, il révélait des conditions économiques difficiles. Mais Albert Bosch rapporte avec humour8 : « Nos édiles n'ont pas pris l'affaire au sérieux car les délibérations suivantes auront comme préambule : « Nous, officiers municipaux de Saint-Privat... » Seule la délibération du 30 brumaire a été enregistrée à « Seigleville ». Ensuite apparaît le nom de Montigny dans le registre. » En effet, si le nom de Seigle-ville se lit pour la première fois dans les délibérations communales du 12 ventôse An II, le nom de Saint-Privat revient dans les pages suivantes.

  • 1. Cf François REITEL et Lucien ARZ, Montigny-lès-Metz, 1988, p. 107.
  • 2. C'est le cas pour toutes les communes de moins de 500 habitants.
  • 3. Les circonscriptions ecclésiastiques devaient être constituées sur le modèle des circonscriptions civiles, faisant des membres du clergé, désormais élus, des fonctionnaires comme les autres.
  • 4. Il desservira à nouveau les paroisses de Montigny et de Saint-Privat au début du XIXe siècle. Entre temps, il aura signé son acte de soumission le 15 floréal An IX. Cf François REITEL et Lucien ARZ, Montigny-lès-Metz, 1988, p. 142. Nous revenons plus loin sur cet homme exceptionnel.
    Il n'est pas inutile, pensons nous, de rappeler sommairement la nouvelle dénomination des année et des mois adoptée par la République : 1792 = An I ; 1793 = An II ; 1794 = An III ; 1795 = An IV ; 1796 = An V ; 1797 = An VI ; 1798 = An VII ; 1799 = An VIII ; 1800 = An IX ; 1801 = An X ; 1802 = An XI etc. L'année commençait à l'équinoxe d'automne, le 22 septembre. Les mois, auxquels le poète Fabre d'Églantine donna de nouveaux noms, chevauchaient donc ceux du calendrier grégorien. L'automne comprenait vendémiaire (septembre-octobre), brumaire (octobre-novembre) et frimaire (novembre-décembre) ; l'hiver, nivôse (décembre-janvier), pluviôse (janvier-février) et ventôse (février-mars) ; le printemps, germinal (mars-avril), floréal (avril-mai) et prairial (mai-juin) ; et l'été, messidor (juin-juillet), thermidor (juillet-août) et fructidor (août-septembre). Ce calendrier révolutionnaire fut utilisé du 24 novembre 1793 au premier janvier 1806. On reprit alors le calendrier grégorien.
  • 5. Suite aux plaintes des habitants à ce sujet, le Conseil Municipal de Montigny réclama, le 16 novembre 1791, la réouverture de l'église des religieuses pour que vieillards et infirmes puissent assister aux offices. L'évêque du département approuva cette requête et autorisa la municipalité à y faire dire la messe les dimanches et jours de fêtes.
  • 6. Cf François REITEL et Lucien ARZ, Montigny-lès-Metz, 1988, p. 142. L'ex-bénédictin ne semblait guère apprécier la constitution civile du clergé car il démissionna l'année suivante.
  • 7. Les habitants de Blory, de La-Horgne-au-Sablon et de la Grange-le-Mercier demandèrent à être rattachés à la paroissse de Magny. Cf Charles BELTZUNG, Les amis du patrimoine de Marly, bulletin du 27 mars 1993.
  • 8. Albert BOSCH, Causeries sur le passé de Montigny-lès-Metz, vingt et unièeme causerie, p. 36.