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Les deux agoras.

L'une et l'autre de ces places sont connues depuis longtemps, la première sous le nom d'Agora de Théophrastos, la seconde sous celui d'Agora des Compétaliastes. Le premier nom semble justifié. Une base, qui a toujours été dressée et se dresse encore au milieu de cette place, portait la statue de l'épimélète athénien Théophrastos, « constructeur de l'agora et des quais »1. Quelle est cette agora ? Ce n'est pas celle qui occupait primitivement, au sud du sanctuaire, le futur emplacement des portiques, car ceux-ci sont antérieurs à Théophrastos2. Ce n'est pas non plus l'Agora des Italiens, qui n'existait pas encore3, ni le Monument de granite4 : maintenant qu'il est complètement fouillé, on peut se convaincre qu'il n'a pu mériter un pareil nom. Ces édifices exclus, il n'en reste pas qui répondent aux données du problème ; il n'y a dans le voisinage5 que des bâtiments sacrés et des maisons6. Mais il n'est pas sûr que cette agora ait été un édifice ; le terme peut s'entendre d'une vaste place découverte, où s'élevaient des abris temporaires et les boutiques volantes des petits marchands. Nous verrons que la base de Théophrastos se trouvait précisément sur un emplacement de ce genre7.

L’esplanade du sud-ouest peut aussi être désignée comme agora ; elle est découverte et dégagée, au voisinage de la mer, de toute construction, même petite et peu encombrante ; le dallage est percé de trous, destinés à recevoir des poteaux de bois, qui soutenaient les toiles ou les clayonnages de roseaux des boutiques provisoires. Mais les inscriptions mentionnant les Compétaliastes, qui proviennent de cet endroit8, ont toutes été trouvées remployées dans les murs plus récents ; il n’y a pas sur la place de fondations sur lesquelles on puisse remettre ces bases : il faut supposer qu’on les a prises ailleurs. Aussi substituerons-nous à la désignation ancienne celle d’Agora du sud-ouest, plus vague peut-être, mais en tout cas plus sûre9.

L’Agora de Théophrastos, sensiblement rectangulaire, est comprises entre le Posidéion et la grande stoa voisine (Salle hypostyle) au nord, le pseudo-porinos à l'est, le premier bassin du port au sud et à l'ouest. C'est une esplanade de de 70m environ du nord au sud ; sa dimension d'est en ouest, inconnue, puisqu'on n'en a pas retrouvé le bord ouest, peut être évaluée à une centaine de mètres, ce qui donnerait une superficie d'un peu moins d'un hectare. Elle est constituée d'un remblai de terre dont l'épaisseur, nulle au nord, où affleure la roche en place, atteint 1m 50 au sud ; des enrochements la protégeaient du côté de la mer.

La fouille y a retrouvé un ensemble de ruines, parfois fort enchevêtrées, d'époques diverses. Un grand bâtiment occupait toute la partie ouest, cachant des bases anciennes et chevauchant le soubassement du monument de Théophrastos ; une inscription du temps d'Hadrien, employée comme seuil, prouve qu'il est très récent ; nous n'en tiendrons pas compte. De même, nous négligerons des constructions élevées le long du bord sud, tout près de l'eau ; dans les murs, très mal bâtis, on avait utilisé des fragments de sculptures et des morceaux d'architecture provenant d'édifices détruits. Nous décrivons seulement l'aspect primitif de l'agora10.

Sur les côtés opposés au port, au nord et à l’est, des bases, des exèdres, des monuments votifs de toute sorte s’entassaient devant la Salle hypostyle, édifice de l’époque de l’indépendance délienne, et le pseudo-porinos oikos11, qui date peut-être du IVe s. Le centre de la place et sa bordure maritime étaient au contraire presque complètement dégagés. Dans la partie ouest seulement se dressaient la base de Théophrastos, une autre base et une exèdre demi-circulaire. Le reste était libre ; on n’y a pas même retrouvé de fondations que l’on puisse attribuer à l’époque gréco-romaine. Ce dégagement facilitait le stationnement et la circulation sur cette place, à la fois débarcadère, marché, et point de départ des voies qui mettaient le port en communications avec les quartiers du nord12.

L’agora que nous appellerons du sud-ouest, de forme plus irrégulière, s’étendait entre le Portique de Philippe, les dernières constructions du quartier du théâtre, et le port. L’ignorance où nous sommes de ses limites à l’ouest et au sud empêche d’en fixer les dimensions13 ; il ne semble pas que la superficie en ait été très différente de celle de l’Agora de Théophrastos. Elle était constituée comme celle-ci d’un remblai de terre, protégé ici par un mur de mer appareillé, vertical et bien bâti. Tous les monuments dont on y a retrouvé les traces14 étaient groupés dans la partie est, la plus restreinte ; à l’ouest, près du port, s’étendait un  vaste emplacement libre (fig. 29), répondant aux mêmes nécessités que l’Agora de Théophrastos15.

Planche I-IV : Les installations portuaires sur la côte ouest de Délos (utiliser la molette de la souris pour zoomer et la main pour vous déplacer sur la carte).

Légendes des illustrations :
Fig. 29 : Restes du dallage du quai de l'Agora du sud. (A : trou pour le poteau de bois d'une boutique volante). 

  • 1. ... ϰατασϰευάσαντα τήν άγοράν ϰαί τά χώματα περιβαλόντα τώι λιμένι. Inscription publiée par Homolle, BCH, 1884, p. 123 sq. [Cf. P. Roussel, Délos, colonie athén., p. 297 et 298 : « par χώματα il faut entendre sans nul doute des jetées et peut-être des quais. »] La base repose sur le soubassement antique ; les traces de crampons se correspondent d'une pièce à l'autre.
  • 2. BCH, 1902, p. 550-3 (Dürrbach).
  • 3. Elle n'est guère que des environs de l'an 100. Cf. BCH, 1912, p. 110 sqq. (Hatzfeld).
  • 4. Comme l'avait pensé M. Homolle, Arch. des Missions.
  • 5. Le monument sans doute ne s'élevait pas loin des ouvrages commémorés par l'inscription ; l'agora est mentionnée avant les quais, comme si elle était plus immédiatement voisine de la base.
  • 6. On ignore, il est vrai, ce qu'il y avait sur la colline au nord ; mais ces pentes ne semblent pas avoir porté de construction monumentale.
  • 7. [Sur les travaux de Théophrastos, voy. l'étude récente (1916) de P. Roussel : Délos, colonie athénienne, p. 297-300].
  • 8. BCH, 1899, p. 56 sqq.
  • 9. [Pour éviter toute confusion, il importe de distinguer et désigner nettement les quatre places de Délos auxquelles peut être appliqué le terme d’agora : 1e L’Agora du sud, jadis appelée à tort le Tétragone (Voy. BCH, XXXIV, p. 110 sq.), située à l’est du Portique du sud-ouest (qui fait face au Portique de Philippe). C’est la plus ancienne ; on l’encadra de trois portiques, d’abord au sud (Portique oblique), puis à l’est et au nord (Portique coudé, commencé en 173) ; 2e l’Agora du sud-ouest, dite des Compétaliastes, au milieu de laquelle les Hermaïstes consacrèrent à Hermès un édicule rond avec péribole, sans rapport avec les monuments dédiés par les Compétaliastes. L’aménagement de cette place date, au plus tard, du milieu du IIe s. ou peu après (P. Roussel, Délos, colonie athén., p. 300) ; 3e l’Agora de Théophrastos, consacrée entre 126-124 ; 4e l’Agora des Italiens, achevée vers la fin du IIe s.].
  • 10. Voyez ce qu’en disent M. Homolle, Arch. des Missions, 1887, p. 397, et G. Leroux, Explor. Archéol. de Délos, II, p. 1. [Cf. P. Roussel, Délos, colonie athénienne, p. 298 : « Par une plus juste appréciation, on a reconnu maintenant que son œuvre, <celle de Théophrastos> a consisté à faire établir, ou même seulement à faire prolonger vers le sud l’espace remblayé où s’éleva ssa statue. Cette place que l’on peut appeler, selon l’usage reçu, l’Agora de Théophrastos, servait assurément au négoce, et il est possible qu’elle ait été en grande partie aménagée pour suppléer à l’insuffisance de l’ancienne agora <celle du sud> trop éloignée de la mer et déjà encombrée de monuments divers. Mais ce ne fut qu’une esplanade, où l’on n’éleva aucun bâtiment de quelque importance. » Théophrastos exécuta ces travaux pendant son épimétie, sous l’archontat de Diotimos, en 126/5 ; peut-être fut-il épimélète une deuxième année, en 125/4 (P. Roussel, ib., p. 105.).]
  • 11. Ces monuments sont indépendants des établissements maritimes : étudiant ici les agoras en tant que dégagements du premier bassin, nous n’en parlerons pas davantage.
  • 12. Deux rues au moins partent de l’agora de Théophrastos : l’une, au nord, vers le quartier de la colline ; l’autre, au nord-est, vers la région du lac.
  • 13. On n’a pu retrouver au sud ni à l’ouest le mur de mer qui limitait l’agora.
  • 14. BCH, 1896, p. 435 sq. Nous faisons abstraction des constructions de basse époque.
  • 15. Cette agora était peut-être même plus importante que celle du nord. La profondeur plus grande de la partie sud du bassin y permettait l’accès de plus gros navires. [Observation de M. Cayeux].