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Les origines du château et les du Coëtlosquet
Le château du vicomte du Coëtlosquet, au nord du village de Mercy1, est le dernier des bâtiments qui se sont succédé à cet endroit. Tous, à différentes époques, ont eu à souffrir des troubles politiques et des conflits, et l'avenir de l'édifice actuel est lui-même bien incertain. Des projets de réaménagement et de restauration sont en cours, mais plusieurs ont déjà échoué. Le château est aujourd'hui envahi de colonies de pigeons qui exercent partout leurs ravages.
Une histoire mouvementée
L'endroit, situé sur une éminence, est occupé depuis fort longtemps2. Le nom de Mercy apparaît en 962, sous le règne de Lothaire, pour désigner une ferme fortifiée, propriété de l'abbaye messine des Bénédictins de Saint-Clément. Au cours des siècles, le domaine change souvent de propriétaires. Le château de Mercy est ravagé à plusieurs reprises, mais toujours reconstruit : détruit en 1368, au cours d'une révolte contre les paraiges, ces bourgeois de Metz qui, après avoir chassé l'évêque, seigneur de la ville, détiennent désormais tous les pouvoirs ; incendié en 1493 par des cavaliers du marquis de Bade ; rasé, enfin, lorsqu'à l'hiver 1552 l'Empereur Charles Quint met le siège devant Metz et que François de Guise, au service du roi de France Henri II, fait abattre les faubourgs de la ville pour établir un glacis défensif.
Le domaine de Mercy est ensuite vendu à Claudon Bertrand, dit Saint Jure, maître-boucher à Metz, qui reconstruit le château. Son fils Jean élève en 1526 la chapelle que l'on voit encore aujourd'hui, ainsi qu'il le fit inscrire au dessus de l'entrée3 ; c'est vraisemblablement lui qui construisit le deuxième château. La famille Saint Jure accéda aux plus hautes fonctions et resta propriétaire de la seigneurie de Mercy pendant près de deux siècles. Le château fut incendié en juin 1712, au cours d'un épisode de la Guerre de Succession d'Espagne, tout comme de nombreux villages.
En 1744, le domaine passe en héritage à Jean Bourdelois, qui avait fait fortune dans les forges ducales de Moyeuvre et était devenu trésorier de France ; puis à sa fille, épouse de Nicolas Muza, Président de la Chambre au Parlement de Metz et directeur de l'Académie royale de Metz ; et enfin à Alexandre Boudet de Puymaigre, rentré d'exil sous le Consulat, nommé contrôleur des droits à Thionville et préfet. Ce dernier vendit la propriété en 1805 à Antoine, comte d'Écosse, ancien officier du régiment de Poitou. Son neveu, le baron Philippe François Honoré Romuald de Mandell d'Écosse, la vendit le 12 septembre 1855 à Marie-Joséphine de Fischer, veuve de François-Charles de Wendel, qui l'acheta au profit son petit-fils Joseph Charles Maurice du Coëtlosquet. Celui-ci était alors encore mineur et fut représenté par son père Jean-Baptiste Maurice du Coëtlosquet (1808-1893).
La famille du Coëtlosquet
Dans sa notice sur le Livre de famille des Coëtlosquet, Mgr Hamant4 nous donne de précieux renseignements sur cette illustre famille. Il n'est pas superflu d'en donner quelques extraits.
« La famille des Coëtlosquet est originaire de Bretagne, pays de Léon. A quelques lieues au sud de Morlaix, se trouve la terre du même nom. Au bourg de Plounéour-Menez est l'église paroissiale, dont le patron est saint Yves. A quatre kilomètres du bourg sont les ruines de l'abbaye du Relecq, séparée du château par un bois. L'église de l'abbaye est en partie conservée. On ne sait rien des relations très probables qui existèrent autrefois entre le château et l'abbaye. Toutefois, en 1563, on voit figurer, parmi les moines de l'abbaye Hervé du Coëtlosquet, qui, après avoir perdu sa femme (Gilette du Bois) et établi ses enfants, était entré dans l'ordre de Citeaux. (...) Le château avait manoir, chapelle, oratoire, colombier, étang, moulin, bois, fiefs, etc. Les vitraux de l'église paroissiale montraient jadis les écussons des seigneurs du Coëtlosquet (…). Le château, qui a été vendu, avant la Révolution, par la branche aînée à des parents alliés, les Tromelin, fut reconstruit vers le commencement du siècle dernier et passa aux Ferré de Peyroux par alliance. (…) Le document le plus ancien que possède la famille est une charte du XIIIe siècle (Avril 1243. La vraie date est avril 1249). Un Bertrand du Coëtlosquet traite avec un certain Hervé, maître de navires, pour être transporté, avec ses hommes d'armes de Chypre à Damiette (avril 1243). (…) Les Bretons, dit Joinville, se distinguèrent à la bataille de Mansourah (1250), mais l'armée des Croisés subit un grave échec, saint Louis fut fait prisonnier, beaucoup de chevaliers furent massacrés, très peu revinrent dans leur patrie. On ignore quel fut le sort de Bertrand du Coëtlosquet à la suite de ces combats. On peut voir à Versailles, apposé dans la quatrième salle des Croisades, son fier écu. La devise de la famille « Franc et loyal » est bien postérieure à l'époque des croisades, et ne doit pas figurer dans la salle du palais de Versailles. Un descendant de Bertrand, du nom d'Olivier, ne paraît qu'un siècle après. Il est dit de lui qu'il suivit un Rohan, prince de Léon, dans la guerre des Flandres. Puis, le livre de famille signale une nouvelle interruption jusqu'à Jean du Coëtlosquet. Dès 1426 et depuis lors, on a la filiation.
Je ne vous lirai pas les petites notices de chacun des Coëtlosquet qui ont vécu de 1426 à 1669. D'après les chroniques, les uns ont été des hommes d'armes des ducs de Bretagne, d'autres ont été de nobles et puissants messires, tous, de bonne et ancienne noblesse. J'arrive à Guillaume du Coëtlosquet. Marié en 1638, il eut trois fils, qui devinrent les chefs de trois branches, celle des Coëtlosquet, celle des Kérannot et celle des Isles. Le chef de la branche aînée, Jean-Baptiste-François, prend le premier le titre de comte, à l'occasion des honneurs de la cour et du carrosse5. C'était l'usage ; le fils est vicomte, le cousin baron. Yves, de la branche des Kérannot, est dit marquis, et son fils Magloire hérite de ce titre, qui ne fut pas relevé, à sa mort, par les cousins.
En 1836, la branche aînée finie, le baron Charles du Coëtlosquet prit le titre de comte et le transmit, en 1852, à son frère Léon. Je m'en voudrais de ne pas vous signaler le dernier descendant de la branche aînée des Coëtlosquet, Charles-Yves-César-Cyr. Il est sous-lieutenant en 1806 et aide de camp du général Lasalle, qui est allié à sa famille ; chef d'escadron en 1808, il est colonel en 1812. (...) Nommé général en 1813, il pouvait dire qu'il avait conquis tous ses grades sur les champs de bataille : sur le Mincio, à Pultusk, à Essling, à la Moskova, à Leipzig. Il se trouvait à Brienne et à Montereau, où sa charge contre les Wurtembergeois remporta le succès. Nommé par Louis XVIII maréchal de camp au commandement de la Nièvre, il essaya de résister à Napoléon à son retour de l'île d'Elbe et soutint les royalistes à Paris. Après les Cent-Jours, il devint aide-major de la garde, lieutenant-général et directeur au ministère de la Guerre (1821) ; conseiller d'Etat et ministre de la Guerre intérimaire en 1823, il démissionna en 1830, à 47 ans, et mourut à Paris en 1836. (...) Au siècle dernier, cette branche aînée était surnommée la belle.
Parmi les descendants de la deuxième branche, dite de Kérannot, je relèverai le nom de François-Jean-Marie-Magloire, marquis du Coëtlosquet, qui fut fusillé avec son frère Fortuné, le 2 août 1795, à Vannes, en dépit de la capitulation verbale de la presqu'île de Quiberon. Trois de ses cousins germains y trouvèrent également la mort. Cette branche s'appelait la riche, riche par ses alliances et par les biens apportés par elles.
La troisième branche, dite des Seigneurs des Isles, la seule qui subsiste encore et qui est dénommée la sainte, a produit Jean-Gilles du Coëtlosquet, né en 1700, qui devint évêque de Limoges en 1739, précepteur des enfants de France (1758-1771), membre de l'Académie française en 1761, et qui mourut retiré à Paris, à l'abbaye de Saint-Victor, en 1784. Le livre de famille dit de lui qu'il était modeste, apostolique et méritant. (...)
L'ancêtre des Coëtlosquet que nous avons connus, Jean-Baptiste-Gilles, baron du Coëtlosquet, né à Morlaix, devint colonel du régiment de Bretagne et maréchal de camp en 1791. Il se fixa à Metz où, le 31 décembre 1781, il épousa Charlotte-Eugénie de Lasalle, dame de Distroff et autres lieux. Il émigra en 1792. Le baron du Coëtlosquet commandait la compagnie de Bretagne dans l'armée du duc de Bourbon. Ses biens furent vendus, entre autres sa maison à Metz, place des Maréchaux. (…) Il rentra en France en décembre 1800 et mourut à Metz en 1813. Il acheta le château de Villers-aux-Bois, retrouva quelques biens de sa femme (...). Sa fortune fut réduite au sixième. Le livre de famille raconte qu'il avait failli épouser Joséphine de Beauharnais. Parmi ses enfants, je citerai :
1. Charles, né à Aschaffenbourg et mort à Jérusalem en 1852, un de nos anciens confrères ;
2. Léon, comte Coëtlosquet, ancien capitaine de cavalerie, mort en 1888. Il épousa, en 1833, Bathilde Durand de Villers. De leur mariage sont nés :
a) Marie, entrée au Sacré-Cœur, auteur du livre de famille ;
b) Pauline, entrée au Carmel de Metz, morte Prieuré du Carmel en 1885 ;
c) Raoul, mort à Metz en 1860 ;
d) Thérèse, mariée en 1866 à Octave Chicoyneau, baron de Lavalette, général de division ;
e) Gaston, inspecteur des eaux et forêts à Nancy, qui épousa Sophie de Richard d'Aboncourt ;
3. Maurice-Jean-Baptiste, vicomte du Coëtlosquet, qui épousa en premières noces Caroline de Wendel, dont il eut Joseph-Charles-Maurice, et en secondes noces Marie de Maillier, dont il eut :
a) Jeanne, morte à Nancy en 1915 ;
b) Charles, de la Société de Jésus, en résidence à Madagascar ;
c) Edouard, Bénédictin, abbé de Saint-Maur, résidant à Rome ;
d) Georgette, entrée aux Petites Sœurs des Pauvres ;
e) Jean, Bénédictin, Prieur à Clervaux, mort en 1925 ;
f) Marie, qui a donné l'hôtel des Coëtlosquet de la rue du Grand-Cerf, pour en faire un foyer pour les soldats.
Ce n'est pas sans raison qu'Edouard du Coëtlosquet, devenu abbé de Saint-Maur, a pu s'inspirer, en parlant des siens, de la parole célèbre de Montalembert : « Nous sommes les fils des Croisés, nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire ». Le père de Dom Edouard du Coëtlosquet et son frère Maurice étaient tous deux commandeurs de l'Ordre du Saint-Sépulcre ; le cousin germain de Dom Edouard, le comte Gaston du Coëtlosquet, était commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.
Maurice du Coëtlosquet, frère de Dom Edouard, épousa, en 1874, Mlle Marie-Renée de Guerre (orthographe rectifiée au début de ce siècle), dont il eut une fille, Caroline du Coëtlosquet, née en 1875, morte en 1911, fondatrice avec sa mère de l'abbaye Saint-Maurice de Clervaux. C'est aussi Melle Caroline du Coëtlosquet qui a fait construire la chapelle du grand séminaire de Metz.
Le vicomte Maurice du Coëtlosquet
Comme on peut le voir à la lecture de ce document, le vicomte Maurice du Coëtlosquet (1836-1904) était issu d'une prestigieuse famille aristocratique qui s'était distinguée, depuis le temps des Croisades et sans doute bien avant, tout au long de l'histoire de la France. Une branche s'était installée à Metz, qu'elle considéra comme sa seconde patrie. Ferdinand des Robert, dans l'hommage qu'il fit de son ami Maurice du Coëtlosquet dans la revue L'Austrasie6, écrit que la famille du Coëtlosquet était très populaire à Metz. On la savait charitable à l'extrême, modeste et ennemie de tout luxe intempestif. Elle se mêlait et coopérait à toutes les bonnes œuvres. Les pauvres et les ouvriers pouvaient s'adresser à elle sans être jamais repoussés.
Maurice du Coëtlosquet était le seul fils qu'avait eu Jean-Baptiste Maurice, baron du Coëtlosquet, de sa première femme, Anne-Caroline de Wendel, décédée en 1837 à l'âge de 25 ans7. Par sa mère, il était allié à la puissante famille d'industriels de Wendel. Sa grand-mère, Marie Joséphine de Fischer, veuve de François de Wendel, lui offrit en 1855 le château de Mercy, où la famille du Coëtlosquet vécut jusqu'en 1870. S'ajoutaient à la résidence plusieurs dépendances pour les resserres, les cuisines, les écuries... Dans la cour principale, la chapelle privée, celle-là même qu'avait construite Jean Bertrand de Saint Jure, était pourvue du mobilier et des effets sacerdotaux nécessaires. Il y avait aussi sur la propriété de Mercy une petite chapelle dédiée à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, aussi appelée Notre-Dame des Champs, qui était un lieu de pèlerinage ; Maurice du Coëtlosquet s'y rendait souvent8. Les nouveaux propriétaires firent réaliser de superbes jardins à la française selon les conceptions romantiques du paysagiste Paul de Lavenne de Choulot9. La famille du Coëtlosquet occupa ce château de 1855 à 1870. Maurice du Coëtlosquet y habitait toute l'année en véritable gentilhomme campagnard, s'intéressant à tous les travaux agricoles et y aidant de son argent10.
Maurice du Coëtlosquet était un érudit : il s'intéressait aux sciences et aux innovations, aux arts et à l'architecture, aux lettres et à la musique, à l'archéologie et à l'histoire... Il suivait l'évolution des techniques agricoles et les appliquait sur son domaine. Il soutenait les artistes lorrains, ceux de Metz en particulier, et reprit la revue L'Austrasie. Par dessus tout, il était doué de grandes dispositions musicales, et il en avait donné la preuve dès son jeune âge, surtout à Plappeville, où il accompagnait sur l'orgue les chants liturgiques pendant la grand'messe. Il jouait également du violoncelle. Il chantait aussi avec accompagnement, et ses frères et sœurs faisaient cercle autour de lui, l'admiraient et s'essayaient, à qui mieux mieux, à redire de mémoire les airs qu'il avait essayé de leur apprendre. (...) Peu à peu le goût de la composition envahit l'âme du jeune musicien. Il eut pour maître et pour guide M Théodore Gallyot, qui fit des séjours prolongés au château de Mercy, et qu'il continua à fréquenter lorsqu'il se fut retiré à Metz. Nous pouvons citer, parmi les nombreuses œuvres composées par Maurice du Coëtlosquet, un Salve Regina, un Sub Tuum, un Inviolata et un Tantum ergo. Il mit en musique deux poésies de sa belle-mère, l'une Sur les avantages de la campagne, l'autre qui fut adressée par elle au comte de Chambord, ainsi que plusieurs poésies de M. de Bezancenet, entre autres une opérette ayant pour titre « Sur le palier ». (...) Maurice du Coëtlosquet fut également l'auteur d'un Chœur des Moissonneurs, qui fut exécuté dans un des salons de l'Hôtel de ville de Metz, peu avant la guerre. Il orchestra, à la même.époque, un Chœur des Vendangeurs, et d'autres morceaux du même genre. Je crois même qu'il fut l'auteur d'un opéra représenté à Bade, qui avait pour titre Abdallah au désert11.
Disposant d'une grande fortune, Maurice du Coëtlosquet n'hésitait pas à en faire bénéficier la région. Il devint ainsi l'un des plus importants bienfaiteurs de Metz et du Pays messin. Il exerça sa générosité sans compter et avec une grande discrétion envers les pauvres, les paysans de son domaine, mais aussi les institutions religieuses, les écoles, les foyers d'ouvriers, la maternité de Metz...
Après la capitulation de Metz, [Maurice du Coëtlosquet] séjourna jusqu'en 1872, date à laquelle il opta pour la France, dans l'hôtel de la rue des Parmentiers. Il seconda par tous les moyens le zèle charitable des Quakers anglais qui avaient amené à Metz des vivres, des vêtements et des semences de toute sorte, pour les répandre dans nos campagnes dévastées. (...) Après son départ de Metz, il acheta, à Nancy, rue du Manège, un hôtel, qu'il revendit quelque temps après. Il acheta également le Châlet, situé entre Frouard et Liverdun, au baron dé Mandel-d'Ecosse. Le temps, loin d'adoucir les souffrances de l'exil, ne fit que les accroître chez notre ami. Désormais, il se considéra comme un déraciné ici-bas, sauf quand il pouvait passer quelques jours ou quelques heures dans son pays natal, qu'il aimait toujours avec passion. Le 2 janvier 1874, il épousa, à Rambervillers, Mademoiselle Marie-Renée Deguerre, dont les aimables qualités et les chrétiennes vertus firent le bonheur de sa vie et l'aidèrent à en supporter les épreuves. Un an plus tard, lui naquit une fille à laquelle il donna le prénom de Caroline. Elle fut toujours, à juste titre, l'objet de sa tendresse.
(…) La mort de Maurice du Coëtlosquet fut presque subite. Malade et alité depuis deux jours à Rambervillers, il se leva pour recevoir des religieuses qui venaient l'entretenir d'œuvres charitables. Mais il se sentit tellement indisposé, que le vénérable abbé Lœillet, curé de Rambervillers, n'eut que le temps de prononcer des paroles d'absolution. Il les achevait à peine que le pauvre malade agonisait et rendait le dernier soupir (…) Les obsèques se firent dans l'église de Rambervillers. Toute la ville y assistait. Le curé y prononça un panégyrique fort éloquent, dans lequel il rappela les immenses largesses du regretté défunt, en faisant ressortir toute sa modestie. Les restes de Maurice du Coëtlosquet reposent, selon son désir, dans la chapelle du château de Mercy qu'il venait de reconstruire12.
Maurice du Coëtlosquet resta tout au long de sa vie fidèle à la longue tradition de sa famille. Il était chrétien, sans que ses convictions intimes l'empêchassent d'en accepter de différentes. Et, en véritable patriote, il fut sans aucun doute blessé au plus profond de son être par la Guerre franco-prussienne et par le désastre qui s'ensuivit.
La destruction du château de Mercy
En 1870, en effet, le conflit éclate et prend rapidement une tournure défavorable à la France. Metz, où s'est retranchée une grande partie de l'armée française, est assiégée par les troupes ennemies13. Le château de Mercy se trouve en première ligne au cours d'un coup de main, le 27 septembre 1870, pour récupérer un train de vivres stationné à Courcelles-sur-Nied14. L'opération s'étant déroulée avec succès, les Prussiens incendièrent plusieurs villages en représailles. Le château de Mercy fut incendié le 27 septembre 1870 par les Allemands et sa bibliothèque de 2000 livres partit en fumée. Il fut entièrement détruit, à l'exception de quelques dépendances et de la chapelle. Laissons la parole à Ferdinand des Robert, qui donne un récit émouvant de ce tragique événement15.
Lorsque la guerre eut éclaté, en 1870, entre la France et l'Allemagne, la famille de Maurice du Coëtlosquet ne quitta Mercy qu'après nos premiers revers, et quand les Allemands arrivèrent, en quelque sorte, aux portes de Metz. Le château de Mercy fut occupé par les troupes françaises, et le général Frossard, commandant le 2me corps d'armée, y établit son quartier général. On avait à peine eu le temps d'enlever une faible partie du mobiIier. L'un des derniers jours qui précédèrent la bataille de Borny, l'empereur Napoléon se rendit à Mercy-lès-Metz, tant pour se rendre compte de la position que pour rendre visite au précepteur du prince impérial. Lorsque Maurice du Coëtlosquet fut informé de la présence du souverain, il donna l'ordre d'atteler ses voitures pour gagner Metz, et, comme on l'informait du désir exprimé par l'Empereur de se faire présenter le propriétaire du château de Mercy, il activa les préparatifs du départ et se refusa à saluer Napoléon III, sur lequel pesait, au premier chef, ainsi que sur l'extrême-gauche du Corps législatif, la responsabilité d'une guerre aussi mal engagée et des premiers revers de nos armes. On reconnaît là l'indépendance du caractère de notre regretté compatriote et son intransigeance en face du pouvoir, quand il manque à sa mission d'une façon manifeste.
Maurice du Coëtlosquet se renferma dans Metz avec son père et son second frère Edouard qui, à l'âge de 19 ans, venait de s'engager dans les francs-tireurs de Metz, commandés par M. Vever, bijoutier, le 6 août 1870. Maurice du Coëtlosquet se fixa de nouveau dans l'ancien hôtel de la rue des Parmentiers, devenu la propriété de Madame de Wendel. Lui et son père se consacrèrent avec le plus grand dévouement au soin des blessés, à l'ambulance installée dans le couvent des dames du Sacré-Cœur, 4, rue Châtillon (l'ancien hôtel de mon père), où Marie-Thérèse-Charlotte du Coëtlosquet, fille aînée du comte Léon du Coëtlosquet, était religieuse. (…) Maurice se distingua par son courage et son dévouement de tous les instants pendant la guerre. On le vit ramasser les blessés sur les champs de bataille de Gravelotte et de Borny, où il s'était rendu dans sa voiture surmontée du drapeau de la Croix-Rouge, société dont il faisait partie. Le soir même de la bataille de Borny, à sept heures, les Allemands établirent à Mercy des batteries qui inquiétèrent notre aile droite. Le colonel Merlin, commandant le fort Queuleu, leur répondit de ses pièces de gros calibre et les obligea de se retirer.
Le 23 septembre 1870, le maréchal Le Bœuf est chargé d'un coup de main sur Vany et sur Chieulles, pendant que le 6e corps dépassera les fermes de Saint-Eloy et de Thury, sur la rive gauche de la Moselle, et que le général de Lapasset menacera Peltre. Maurice du Coëtlosquet sait que la compagnie des francs-tireurs est campée à Grimont, près de Saint-Julien. Il se doute que cette vaillante petite troupe, sous les ordres du général baron Aymard, qui commande la 4e division du 3e corps, va prendre part au combat annoncé. Aussi se dirige-t-il vers Grimont, pour pouvoir y embrasser son frère Edouard. Mais lorsqu'il est arrivé au poste qu'occupaient d'ordinaire les francs-tireurs, on lui apprend qu'à trois heures de l'après-midi ils ont été prendre, ainsi que le 60e d'infanterie, le chemin de leur grand'garde et que, pendant qu'à droite, sur la route de Bouzonville, la fusillade était engagée très vivement, ils se sont élancés au pas de course sur la chapelle de la Salette et les premières maisons de Villers-l'Orme que les Allemands leur ont abandonnées. Maurice n'hésite pas. Il suit les traces de ces vaillants soldats. Il faut cheminer dans les vignes, pour seconder l'attaque. Après la prise de Villers-l'Orme, les francs-tireurs se rabattent sur la vallée pour se diriger vers Vany, distant de 500 à 600 mètres. Le capitaine Vever les déploie en tirailleurs et ils marchent avec entrain sans tirer un coup de fusil. Maurice du Coëtlosquet les suit toujours et les rejoint, lorsqu'ils se placent dans les jardins de Vany, qui regardent Rupigny.
Son frère Edouard, qui a reçu le baptême du feu, est sain et sauf. La fusillade ne cesse pas cependant, mais les du Coëtlosquet ont du sang de héros dans les veines. Ils ne tremblent pas devant les balles que leur tirent les Allemands campés à Rupigny. Le fourrage que devaient faire les francs-tireurs est achevé. Au bout de trois quarts-d'heure, ils se replient sur Grimont, mais, pendant leur retour, une grêle de balles, venant de Chieulles, et d'obus lancés par les batteries prussiennes, placées près de Rupigny, pleut sur eux. Un des leurs, Vaillant, chancelle et tombe : il a la poitrine percée par une balle. Bientôt il meurt. Ce ne fut que vers 5 heures et demie que le fort de Saint-Julien cessa de servir de but à l'artillerie allemande.
Le château de Mercy était devenu un campement de l'armée allemande. Le 27 septembre 1870, un convoi, suivi d'une locomotive de secours, montée par M. Dietz, ingénieur du chemin de fer de l'Est, s'arrêta aux environs de PeItre et les soldats français abordèrent à droite le château de Crépy, appartenant à M. d'Hannoncelles, dont ils s'emparèrent, et occupèrent le village de Peltre. La brigade de Lapasset s'est couverte de gloire. Dans le même moment, le 90e, commandé par le général de Gourcy, et le 69e d'infanterie attaquent le château de Mercy et s'en emparent. Le château, placé sur une éminence, était fortement barricadé, les fenêtres avaient reçu un blindage de traverses de bois qui laissaient dans les intervalles juste la place d'un canon de fusil. Après une première décharge, une trentaine de nos hommes munis de haches attaquent sous le feu les portes et les fenêtres et finissent par se frayer un passage. Une scène de carnage commence. Refoulés en combattant de chambre en chambre, les défenseurs du château et un certain nombre d'officiers prussiens payent leur résistance de leur vie. Quelques-uns purent, dit-on, s'échapper pendant l'attaque, mais beaucoup, ne voulant pas se rendre, se réfugièrent dans les caves où l'incendie les fit périr. En même temps nos soldats se portent sur la Grange-aux-Bois, puis sur Colombey, et s'en emparent. Aussitôt après, les Prussiens mettent le feu aux châteaux de Mercy, de la Grange-aux-Bois et de Colombey. A onze heures du matin, Mercy s'écroule dans les flammes. A midi, on ne voit plus à la Grange qu'un pignon brûlant et une cheminée menaçant ruine sur un mur calciné. J'ai été témoin de ce spectacle lamentable du fort de Queuleu, où le colonel Merlin m'avait confié la longue-vue du fort pour pouvoir observer le champ de bataille et faire rectifier, au besoin, le tir plongeant de nos canons qui répondaient à quelques batteries allemandes placées le long d'une haie, près de Sainte-Barbe, dont les obus ne nous atteignirent pas, mais foudroyèrent des soldats d'infanterie placés en tirailleurs à 100 mètres au-dessous du fort.
En apprenant la perte de leur château, MM. du Coëtlosquet, Huot, d'Hannoncelles et de Tricornot supportèrent leur malheur avec une grande abnégation. Maurice du Coëtlosquet ne versa pas une larme. Il était prêt à sacrifier sa fortune, si ce sacrifice pouvait contribuer à notre triomphe.
- 1. Le village de Mercy-lès-Metz fait aujourd'hui partie de la commune d'Ars-Laquenexy.
- 2. De récentes fouilles archéologiques y ont même mis au jour ce qui pourrait être une villa romaine.
- 3. Voir ci-après. La chapelle contient les tombeaux des Saint Jure et de la famille d'Écosse. La tombe de Maurice du Coëtlosquet, qui s'y trouvait aussi, a été transférée au cimetière de l'Est de Metz.
- 4. Mgr Nicolas Hamant, Notice sur le le Livre de famille des Coëtlosquet, ANM 1928, p. 81-85. Mgr Hamant (1850-1930) fut le supérieur du petit séminaire de Montigny-lès-Metz de 1907 à 1928. Il a écrit différents ouvrages d’histoire religieuse, notamment l’histoire du petit séminaire et du grand séminaire de Metz. Pour sa retraite, Mgr Pelt lui obtint le titre honorifique de trésorier secret du pape, ce qui justifie la qualification de « Monseigneur ». Dans le préambule de sa Notice, Mgr Hamant explique l'origine de ce Livre de famille : Le livre de famille des Coëtlosquet-Durand a été composé par Madame Marie du Coëtlosquet, religieuse du Sacré-Coeur, née à Metz, le 29 avril 1834, et morte au couvent du Sacré-Cœur à Montigny, le 20 février 1915, non sans avoir appris la douloureuse nouvelle de la mort glorieuse d'un de ses neveux, Jean-Raoul-Marie, vicomte de Lavalette du Coëtlosquet, tombé sur le champ de bataille de Réméréville (à l'est de Nancy), le 25 août 1914, [qui] avait été adopté, avec ses deux frères survivants, en 1912, par le comte Gaston du Coëtlosquet, leur oncle maternel, décédé sans enfants en 1916. La religieuse était la fille de Léon, comte du Coëtlosquet, ancien capitaine de cavalerie et de Bathilde Durand de Villers. Le précieux monument qu'elle éleva à la mémoire de sa famille fut donné par elle à son frère Gaston, inspecteur des eaux et forêts à Nancy. A la mort de Gaston, il passa entre les mains de l'aîné de ses neveux, fils d'Octave Chicoyneau de Lavalette, général de division, qui avait épousé, en 1866, Thérèse du Coëtlosquet, sœur de Gaston et de la religieuse. (…) Le livre est intitulé : Annales de famille des Coëtlosquet-Durand, Metz, 1887.
Voir l'ensemble de la Notice de Mgr Hamant en Annexe I. - 5. On parlait des honneurs de la Cour, sans ajouter « du carrosse ». L'expression usitée alors était celle-ci : « Monter dans les carrosses du Roi ».
- 6. Ferdinand des ROBERT, Maurice du Coëtlosquet, Supplément au n°8 de L'Austrasie, avril-juillet 1907, p. 385-443. Voir la totalité de cet hommage en Annexe II.
- 7. Cf Christian JOUFFROY, La famille du Coëtlosquet, mécènes et bienfaiteurs, de Metz à Clervaux, Colloques 50 ans de la section arts et lettres de l Institut Grand-Ducal 2013.
- 8. On prétend que cette chapelle avait été bâtie par un seigneur du lieu, au retour de la Croisade. Cf Ferdinand des ROBERT, op. cit. Voir Annexe II.
- 9. Paul de Lavenne comte de Choulot (1794-1864), après une vie agitée marquée par ses conceptions légitimistes, avait entrepris une carrière d'architecte paysagiste. Il dessina plus de 300 parcs en France et en Europe. Il en a conçu plus d'une douzaine en Moselle, dont celui de Mercy-le Haut. Il est l'auteur d'une Introduction à l'art des jardins (1846) et de L'Art des jardins, ou études théoriques et pratiques sur l'arrangement extérieur des habitations (1863).
- 10. Ferdinand des ROBERT, op. cit. Voir Annexe II.
- 11. Ferdinand des ROBERT, op. cit. Voir Annexe II.
- 12. Ferdinand des ROBERT, op. cit. Cf Annexe II.
- 13. Pour des détails sur cette tragédie, voir Marc HEILIG, « N'oubliez pas les morts fidèles... », archeographe, 2014.
- 14. Le site officiel d'Ars-Laquenexy décrit en détail cette opération « Fourrages ». Cf. https://www.ars-laquenexy.fr/chateau-de-mercy/
- 15. Ferdinand des ROBERT, op. cit. Cf Annexe II.