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Le château du vicomte du Coëtlosquet

Maurice du Coëtlosquet désirait, en reconstruisant le château, faire démonstration du bon goût français. La région annexée, en effet, était alors soumise à une forte germanisation. L'Empereur Guillaume II, voulant faire de Metz une vitrine de l'Allemagne, avait fait appel à des architectes allemands de renom pour ériger la Nouvelle Ville1. Et, non loin de Mercy, le nouveau propriétaire du château de Landonvillers, un notable allemand, avait défiguré cette élégante demeure de style classique par des ajouts de ce genre. Le vicomte ne put réaliser son projet de son vivant. Un an après sa mort, son épouse entreprenait les travaux, selon le souhait de son mari. Elle s'adressa au jeune architecte alsacien Henri Klein, qui s'était établi à Metz.

Fils d'un entrepreneur en construction de Haguenau, Henri Klein (1870-1929) avait étudié à l'École royale technique de Stuttgart, avant de faire ses armes, à partir de 1894, dans l'entreprise paternelle. Il poursuivit ensuite ses études à Paris auprès de l'architecte Jean-Louis Pascal (1837-1920), qui avait travaillé avec Charles Garnier (1825-1898) à l'Opéra de Paris. Klein entre ensuite chez l'architecte de Bruxelles Jules-Jacques van Ysendyck (1836-1901), avant de retrouver l'entreprise familiale en 1896. Partout en Europe, le goût architectural est alors empreint d'éclectisme, ce que l'on peut observer, sous des formes diverses, aussi bien en France qu'en Belgique et en Allemagne. Sa formation devait conduire Henri Klein à s'installer à Metz, où Guillaume II projetait une rénovation architecturale de grande ampleur. Il y devient rapidement architecte communal et obtient de nombreuses commandes car son style est à l'image du « bon goût français » et séduit l'élite francophile de la ville, pour laquelle il construit de nombreuse villas ; un des plus beaux exemples reste celle du brasseur Gustave Amos, au Sablon. Lorsque la guerre est déclarée, en 1914, Henri Klein ferme son cabinet d'architecte, pourtant en plein essor, jusqu'à la fin du conflit ; il travailla alors comme « architecte du département de la Moselle » jusqu'à sa mort. Klein avait toutes les qualités pour convenir aux Coëtlosquet : son style et son esprit français, mais aussi ses choix innovants dans la pratique de son art.

En effet, le chantier de Mercy mit en œuvre les techniques les plus modernes du temps, notamment une grue que l’architecte avait fait venir de Bruxelles (entreprise Morlet & Fontaine) ; montée sur rails, elle faisait 30 m de haut et pouvait soulever une charge de 10 t. On avait établi une voie ferrée à partir de Peltre pour acheminer la pierre depuis les carrières de Savonnières, dans la Meuse2 ; c'est l'entreprise de Lorraine Charles Nicolas, sise à Queuleu, qui se chargea du transport3. La conception du bâtiment elle-même bénéficiait des plus récentes innovations, comme le procédé de béton armé qui sépare les étages et les toitures et, alors que toutes les pièces disposent d'une cheminée, d'un système de chauffage central4. La construction employa de nombreux ouvriers5 et fut d'un coût très élevé ; il était doublé par celui des aménagement intérieurs, et encore alourdi par l'installation d'un jardin à la française6. La presse de l'époque salua cette entreprise avec enthousiasme7.

Le château est puissamment mis en scène grâce à la progression de l'accès à la façade principale. En effet, on gagnait vraisemblablement l'éminence sur laquelle il est bâti par plusieurs volées d'escaliers8. Elles ont disparu aujourd'hui, bien que la pente subsiste, sauf la dernière, qui mène au sommet. L'édifice était situé dans l'écrin d'un parc qui s'étendait à l'avant et à l'arrière mais le site n’en conserve plus aucune trace.

L'esplanade du château est bordée de part et d'autre de l'escalier par une balustrade qui marque la déclivité. Le projet avait une forte dimension symbolique : le nouveau château devait affirmer l'attachement de la famille du Coëtlosquet à la France. On y trouve ainsi des références aux styles qui ont jalonné notre architecture, gothique, Renaissance, classicisme, mais aussi Art Nouveau. Cet amalgame pèche par excès, avec pour conséquence une certaine lourdeur. Néanmoins, grâce à une grande diversité de formes, l'ensemble ne manque pas de majesté. Le plan rectangulaire du bâtiment est animé par les décrochements des façades : avant-corps central et pavillons latéraux pour la façade principale ; corps central encadré de deux avant-corps et de deux ailes pour la façade postérieure. L'élévation est à trois niveaux, dont un de lucarnes, fortement soulignés par des corniches et, au sommet, par une balustrade.

Les toitures ne sont pas en reste : toit brisé en pavillon, haut et pentu, sur l'avant-corps central, auquel répondent les dômes carrés à lanternon des pavillons latéraux, et toit en pavillon à terrasse faîtière sur le reste de l'édifice. Le tout paraît rigoureusement ordonnancé, sans pourtant renoncer à la souplesse sur la face arrière, avec la belle verrière de l'avant-corps droit. L'impression générale de régularité est atténuée par des entorses subtiles à la symétrie. Les deux façades présentent une ordonnance différente, mais la dissymétrie se lit aussi dans le détail : l'entrée de la façade principale n'est pas située au centre, mais reportée sur la gauche ; sur la façade postérieure, on compte sur les ailes trois rangées de fenêtres à gauche pour deux à droite et, sur les avant-corps, les deux fenêtres de gauche sont remplacées à droite par la grande verrière de l'escalier d'honneur. Les corniches de la façade principale participent à cette variété : en arc segmenté pour l'avant-corps central, en plein cintre, doublée d'une élégante vague végétale, pour les pavillons latéraux. L'ensemble se sert ainsi de nombreux éléments issus de l'architecture classique et les assemble avec une certaine fantaisie. Les mots « éclectisme » ou « composite » sont ici pleins de signification.

Les ouvertures ont fait l'objet d'une attention exceptionnelle9. D'une part elles offrent elles-aussi un large éventail, fenêtres, lucarnes, œils-de-bœuf, verrière, encore étendu par le dessin des linteaux, des arcs et des frontons. D'autre part on les a par endroits assemblées, comme ces ensembles œil-de-bœuf-mansarde-œil-de-bœuf qui rythment les toitures à plusieurs reprises. Elles servent encore à donner une unité au bâtiment : suite des fenêtres cintrées du rez-de-chaussée, répétition symétrique des fenêtres S 15-16-17 et S 23-24-25... un effet que renforce la ceinture de balustres qui court à la base des toitures. Le principe semble en effet avoir été l'unité dans la diversité pour un édifice harmonieux. C'est de là que le château de Mercy tient son charme.



  • 1. Voir Marc HEILIG, L'Essor architectural de Metz durant l'Annexion, archeographe, 2016.
  • 2. Il est surprenant que les autorités prussiennes aient autorisé ce projet, en particulier l'utilisation de la pierre de Savonnières et son acheminement par voie ferrée jusqu'au chantier de Mercy car la Meuse était en territoire français. Une trentaine d’années après le traumatisme de l’annexion, il se peut que les administrations des deux pays aient cherché à établir une certaine normalisation dans leurs relations.
  • 3. Cf PIGNON-FELLER 2004, p.251.
  • 4. Parmi les commodités, l'architecte a aussi installé « des bains spéciaux à l'usage de Caroline du Coëtlosquet, fille infirme de Maurice du Coëtlosquet ». Cf PIGNON FELLER 2004, p. 251.
  • 5. « Le chantier emploie 200 à 300 ouvriers, en général italiens ; ils sont nourris, logés et bénéficient d'une cantine. » Cf PIGNON-FELLER 2004, p. 251.
  • 6. « Le coût fut exorbitant (20 millions de Francs), et on en dépensa autant pour le décor intérieur. Mme du Coëtlosquet et sa fille n'habitèrent pourtant pas le château. Les terres de Mercy furent vendues en 1908 par Caroline du Coëtlosquet aux militaires. » Cf PIGNON FELLER 2004, p. 251. Il s’agit à cette époque des militaires allemands.
  • 7. Cf PIGNON-FELLER, 2004, p. 250-251.
  • 8. Le château est construit au sommet d'une éminence, à 248 m d'altitude. On y accédait par une allée rectiligne bordée d'arbres qui aboutissait à la grille et au pavillon du gardien. Cela a complètement disparu aujourd'hui.
  • 9. Par commodité, nous avons attribué une dénomination à toutes les baies selon les façades. Elle comprend d'abord la situation : S pour le sud, O pour l'ouest, N pour le nord et E pour l'est. Le chiffre qui suit numérote les baies en partant, pour chaque façade, du rez-de-chaussée et de la gauche. Voir les illustrations qui reprennent la numérotation de chaque façade.