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Un vaste corpus ornemental
L'ornementation extérieure souligne et agrémente l’architecture avec un foisonnement surprenant. Elle puise abondamment dans le répertoire classique, où elle trouve tout un éventail de palmettes, feuilles d'acanthe, denticules, volutes, mascarons, frontons, tympans... La répétition est fréquente mais elle convient parfaitement à ces éléments décoratifs. Les six pots-à-feu qui rythment la balustrade du toit de la façade postérieure sont tous identiques. De même, les balustres (escalier d'entrée, terrasse, corniche) sont tous du type carré en poire1, très employé dans l'architecture française classique, sauf ceux du grand balcon de la façade principale, qui ont un décor végétal Art Nouveau. Nous pouvons aussi ranger dans cet ensemble de sculptures architecturales les torches qui surmontent les oculi des pavillons (O 15 et E 16), les consoles qui soutiennent la corniche, ainsi que la grande vague végétale qui court au pied des toitures des pavillons.
Car la principale source d'inspiration vient du monde végétal, dont les baies sont le support privilégié. On les a pourvues d'un décor en différents endroits : agrafe2, linteau et ses extrémités3, pieds des chambranles4, montants. Aux motifs végétaux sculptés dans la pierre s'ajoutent ceux des ouvrages de ferronnerie, marquise, auvent, grilles, balcon et balconnets5. Des fleurs ornent aussi les consoles de l'atlante, de la cariatide et du grand balcon, ainsi que l'entablement de l'avant-corps de la Façade Sud6. Il est certes tentant d'essayer d'identifier toutes ces plantes7 mais le résultat n'est pas entièrement satisfaisant car l'attention est constamment partagée entre la représentation quasi naturaliste et l'interprétation stylisée, comme pour la fleur de lys ou la feuille d'acanthe, par exemple. Il s'avère ainsi difficile, sinon impossible, de reconnaître certaines plantes, tant leur aspect est modifié : la « pomme de pin sylvestre », qui revient plusieurs fois, en est un bon exemple8. Le rendu des fleurs, en particulier, est fréquemment teinté d'Art Nouveau, le style décoratif le plus novateur de l’époque, qui appréciait lui aussi les formes de la nature. On hésite parfois entre pivoine et chrysanthème, ou même une variété de rose ancienne. Jusqu'au chardon, dont les fleurs sont pourtant bien reconnaissables : il n'est pas toujours aisé de distinguer son feuillage de celui de l'acanthe.
On peut s'interroger sur les intentions qu'avait Maurice du Coëtlosquet en habillant son château d'une telle diversité de fleurs et de plantes. Il est vrai qu'il a tenu à affirmer ses inclinations culturelles et son attachement à la Lorraine et à la Bretagne. Il est donc dans l'ordre des choses de rencontrer le chardon un peu partout, ainsi que l'acanthe dont les feuilles ressemblent tant aux siennes. Par ailleurs, le vicomte s'intéressait beaucoup à l'horticulture et à l'agriculture. Il a fait appel à un jardinier de renom pour aménager les jardins de Mercy et l'on peut penser qu'il en a suivi de près les travaux. Sa propriété comprenait un vaste domaine agricole, qu'il mettait en valeur selon les dernières innovations. Cela devait transparaître dans la décoration de son château : ainsi s'explique peut-être la présence de la vigne9, par exemple, ou celle du roseau massette10.
Dans certains cas, le « langage des fleurs » pourrait aussi représenter une piste à suivre. Ce symbolisme, en effet, était en vogue depuis fort longtemps et de nombreux ouvrages lui ont été consacrés depuis le milieu du XVIIIe s. et durant tout le XIXe11. Le vicomte du Coëtlosquet, en érudit accompli, les connaissait certainement. Mieux vaut néanmoins s’engager dans cette voie avec prudence : ce qui paraît pertinent pour le chêne (la justice), le lierre (la fidélité), voire pour l'olivier (la paix), l'est peut-être moins pour d'autres plantes12
La représentation animale tient peu de place dans ce corpus ornemental. Il s'agit toujours d'animaux fabuleux13. De chaque côté des mansardes, des animaux fantastiques sont peut-être un rappel de l'architecture médiévale, le seul en l'occurrence14, à l’exception de la mansarde N 28, comme nous le verrons plus loin. Posés sur la balustrade au pied des montants de S 29 et S 37, O 12, N 25, N 26, N 30 et N 31 et E 14, ils ont une apparence semblable : ils sont ailés15 et leur queue anguipède rampe le long du chambranle. Ils diffèrent toutefois dans le détail. Bien que la tête ait souvent disparu, on distingue des rapaces (S 29 dr., E 14 g.), un cheval (N 26 g.), un bélier (S 37), des lions (O 12 g., N 15 g., N 30 g., N 31 dr.). L'un de ces derniers a plus l'air d'un chien que d'un lion (N 30 dr.). En dehors de cet ensemble, la belle ferronnerie de l'auvent de la porte E 02 nous offre un dernier exemple : une feuille de chardon termine son arabesque par un être mi-végétal mi-animal.
Fréquents dans l'architecture classique, les mascarons font aussi partie des motifs décoratifs16. Ils ornent à Mercy le linteau de certaines fenêtres et composent une collection assez disparate17. Pour certains, on peut y voir l’image des quatre saisons18, sans qu’on puisse en être assuré car ils ne forment jamais la suite à laquelle on s'attendrait. Sur le côté Ouest, on ne saurait préciser pour les mascarons O 6, O 7 et O 8, qui ne sont d’ailleurs que trois. Sur la façade postérieure, on voit se succéder les mascarons N 14 (la vigne pour l'automne ?), N 15 (le printemps ?), N 16 (l'été ?), N 18 (l'été ?), N 20 (la vigne pour l'automne ?), N 21 (?), N 22 (?), N 23 (?) et N 24 (les pommes de pin pour l'hiver ?). Le côté Est, enfin, n’en compte que trois lui aussi : E 8 (la vigne pour l'automne ?), E 9 (les pommes de pin pour l'hiver ?) et E 10 (printemps ou été ?).
Le programme ornemental associe toutes les formes de ce corpus et les adapte à sa guise ; leur disposition ne semble pas vraiment répondre à un ordre précis. Souvent, la fonction architectonique s'efface devant la seule considération esthétique. Le résultat est un peu envahissant, mais correspond assez bien à l'esprit du moment19. L'ensemble reste pourtant harmonieux. L'avant-corps de la façade principale constitue sans aucun doute le chef-d'œuvre de cet édifice, avec une composition parfaitement équilibrée où s'accomplit, plus qu'ailleurs, l'accord de l'ornement et de la métaphore.
- 1. Les balustres de la terrasse qui borde l'éminence sur laquelle est construit le château sont néanmoins du type en poire. Au nord de la terrasse du Côté Ouest, on remarque quelques balustres de ce type, alors que toute cette balustrade est du type carré en poire. Peut-être cela est-il dû à une réfection.
- 2. Voir Galerie 7. Grandes fleurs
- 3. Voir Galerie 10. Extrémités de linteaux. Mascarons
- 4. Voir Galerie 8. Pieds des chambranles
- 5. Voir Galerie 11. Ferronnerie.
- 6. Voir Galerie 7. Grandes fleurs
- 7. C'est un jeu auquel je me suis livré et l'on en trouvera le résultat dans la Galerie 5. Fleurs et plantes. Mes connaissances en botanique étant toutefois limitées, j'ai fait appel à mon ami Alain Soulier, plus versé que moi dans ce domaine. Et le regard d'un botaniste ou d'un horticulteur serait sans aucun doute le bienvenu.
- 8. Encore n'est-ce là qu'une proposition d'identification, à laquelle, pourrions-nous dire, nous avons fini par nous résoudre. Nous avons d'abord pensé à un artichaut ou à un chou-fleur ! Comme on l'a dit, le jeu n'était jamais bien loin...
- 9. Le Val de Moselle était alors couvert de nombreux vignobles qui ne furent ravagés par le phylloxéra qu'à la fin du XIXe s.
- 10. Les roseaux permettent d'assainir des terres considérées comme perdues et de filtrer les eaux stagnantes.
- 11. La consultation du site de la BNF Gallica permet de s'en rendre compte : la recherche donne de nombreuses occurrences dès les premières pages. On peut citer, par exemple : Le Langage des fleurs de Ch de La Tour (1800), La Voix des fleurs, comprenant l'origine des emblèmes donnés aux fleurs de C. Juranville (1800), Langage de Flore ou nouvelle manière de communiquer ses pensées sans se voir, sans se parler, sans s'écrire de J.-P. Troncin (1921), Le Langage des fleurs ou le livre du Destin (1841), La Botanique mise à la portée de tout le monde, 2e éd. enrichie du langage de Flore du Capitaine Pierre (1845), Le Vrai langage des fleurs illustré de F. Fertiault (1847), Nouveau manuel allégorique des fleurs, des plantes, des couleurs etc. de S.-F. Blismon (1851), Le Nouveau langage des fleurs d'E. Faucon (1869), Le Langage des fleurs, nouveau vocabulaire de Flore, de Mme Delacroix (1881), Le Langage emblématique des fleurs, avec la nomenclature des différents sentiments dont chaque fleur est le symbole (1851), L'Ancien et le nouveau langage des fleurs (1858), Le Langage des fleurs de Sirius (1898)...
- 12. C'est pourquoi nous indiquons cette signification symbolique sous toute réserve dans la Galerie 5. Fleurs et plantes.
- 13. Nous rencontrerons par la suite quelques animaux représentés de façon réaliste : des oiseaux (Phénix, chouettes, oiseau au nid), des lions (armoiries des pavillons), un renard et un écureuil (fables de N 28).
- 14. Voir Galerie 9. Animaux fantastiques.
- 15. La plupart ont des plumes, mais les ailes de six de ces monstres sont constituées de feuilles dentelées (S 29 g. et dr., N 26 g. et dr, N 31 g. et dr.).
- 16. Voir Galerie 10. Extrémités de linteaux. Mascarons
- 17. Deux de ces mascarons, voire trois, sortent du lot, comme nous le verrons ci-dessous. Ils nous offrent des portraits du vicomte Maurice du Coëtlosquet à des âges différents (N 17, N 19 et E 10).
- 18. Le thème est un poncif décoratif de l’architecture classique, tout comme le type même du mascaron.
- 19. L'Art Nouveau, par exemple, a lui aussi horreur du vide et l'on sait combien il aimait transformer les formes végétales et les plier à ses desseins. De façon générale, l'art décoratif européen de cette époque tend à surcharger les édifices. L'École de Nancy, toute proche, marque de son influence l'ornementation du château d'une empreinte plus ou moins forte, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.