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Annexe II. Ferdinand des Robert, Maurice du Coëtlosquet
Ferdinand des ROBERT, Maurice du Coëtlosquet, Supplément au n°8 de L'Austrasie, avril-juillet 1907, p. 385-443.
I Sa famille. Son enfance. Sa jeunesse
Joseph-Charles-Maurice, vicomte du Coëtlosquet, naquit à Metz le 1er avril 1836. Quatre mois plus: tard, la branche aînée de sa famille, originaire de la Bretagne, dont plusieurs membres avaient pris part aux croisades et qui a sa place marquée dans les fastes glorieux du pays d'Armor, s'éteignit dans la personne du lieutenant-général Charles-Yves-César-Cyr, comte du Coëtlosquet. Engagé volontaire en 1800, il se distingua sur tous les champs de bataille, sous le Consulat et le Premier Empire, et particulièrement à Ulm, Austerlitz, Iéna, Paltusch, où il fut blessé. Chef d'escadron et aide-de-camp du général de Lasalle, il prit part à la campagne d'Espagne et fut encore blessé à Essling. Nommé colonel après la bataille d'Ostrouno, il assista à la retraite de Russie et se distingua à la Moscowa, à Leipzig et à Brienne, ainsi qu'à Montereau. Il mourut à Paris le 23 juillet 1836, après avoir été lieutenant-général et directeur du personnel au ministère de la guerre et conseiller d'Etat.
Déjà, une autre branche de la Maison du Coëtlosquet avait disparu avec deux de ses représentants, Magloire et Fortuné du Coëtlosquet, fusillés à Vannes, à la suite de l'expédition de Quiberon. Ils appartenaient à la branche des seigneurs de Kerannot.
Maurice du Coëtlosquet appartenait à celle des seigneurs des Isles. Un de ses arrière-grands-oncles fut une des illustrations de l'épiscopat français. Il fut évêque de Limoges (1739-1748), puis précepteur des Enfants de France, membre de l'Académie française, premier aumônier du comte de Provence.
Le grand-père de Maurice du Coëtlosquet, Jean-Baptiste-Gilles, baron du Coëtlosquet, seigneur des Isles, était né à Morlaix. Il devint colonel du régiment de Bretagne et gentilhomme d'honneur du comte d'Artois. Pendant que son régiment tenait garnison à Metz, en 1780, il fut présenté à demoiselle Charlotte-Eugénie de Lasalle, et l'épousa en 1781. Il devint plus tard maréchal de camp et fut nommé commandeur des ordres de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de Saint-Lazare. Emigré en 1791, il servit pendant quelque temps dans l'armée des Princes, et résida successivement à Aschaffenbourg et à Prague, auprès de la princesse Poniatowoka (1795-1800). Amnistié par Bonaparte en 1805, il se fixa à Metz, où il mourut en 1813.
L'aîné des enfants de Jean-Baptiste du Coëtlosquet fut le comte Charles du Coëtlosquet, qui releva les titres de la branche aînée. De bonne heure il se distingua par son application au travail et la facilité de son élocution. Après avoir servi quelque temps dans l'armée et dans l'administration, il se consacra entièrement à l'étude des questions sociales, fut élu député de la Moselle en 1849, et siégea à l'Assemblée législative avec deux de ses neveux, Maurice de Foblant et le baron de Ravinel. A l'avènement du Second Empire, rentré dans la vie privée, il résolut d'aller visiter les Lieux-Saints, et mourut, le 2 novembre 1852, à Jérusalem, où il repose près du tombeau du Christ.
Le père de Maurice du Coëtlosquet, auquel il donna un de ses prénoms, était le second fils du maréchal-de-camp Jean-Baptiste du Coëtlosquet et de Mademoiselle de Lasalle. Il naquit à Metz, le 7 juillet 1808, et fit de brillantes études au collège de cette ville. Licencié en droit, il se destinait au Conseil d'Etat, où lui était promise une place d'auditeur, lorsqu'éclata la Révolution de 1830. Il se consacra dès lors entièrement aux bonnes œuvres. Ayant quitté Metz après l'annexion de sa ville natale à l'Allemagne, il se fixa à Nancy, où il mourut le 6 octobre 1893, laissant derrière lui une réputation ineffaçable de chrétien fervent, d'ami des pauvres, d'époux et de père modèle1
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II était commandeur de l'Ordre du Saint-Sépulcre et s'était affilié au Tiers-Ordre de Saint-François. Il repose dans le cimetière de l'abbaye de Solesmes.
La mère de notre ami, Maurice du Coëtlosquet, était Caroline de Wendel, fille de François de Wendel, député du département de la Moselle sous la Restauration, et de Mademoiselle Marie-Françoise-Joséphine de Fischer de Dicourt. La famille de Wendel, bien connue dans la vallée de la Moselle, est originaire de Coblence. Un membre de cette famille patricienne était colonel des Cravates sous l'empereur Ferdinand III. Transplantée en Lorraine, elle fonda les forges d'Hayange, ainsi que d'autres dans le département de la Moselle, et la société qui porte son nom est une des plus connues parmi nos industries minières. Deux de ses membres moururent récemment, regrettés de tous. Un de leurs descendants est actuellement député au Reichstag.
Maurice du Coëtlosquet fut baptisé dans l'église de Saint-Martin de Metz. Il eut pour parrain son oncle Charles du Coëtlosquet, depuis député de Metz, et, pour marraine, son aïeule maternelle, Madame de Wendel, qui mourut à Metz le 13 mars 1872, à l'âge de 88 ans. C'était une femme de grand cœur et d'une haute intelligence, qui jusqu'à la fin, quoique aveugle, s'occupa de l'administration des forges, devenues si prospères, de Hayange, de Moyeuvre et de Stiring-Wendel.
La naissance de Maurice du Coëtlosquet causa une grande joie dans sa famille, qui habitait alors la rue des Parmentiers. La maison du Coëtlosquet allait revivre dans cet enfant, car son oncle Léon du Coëtlosquet n'avait encore eu que des filles. Mais, hélas ! Maurice ne connut que fort peu sa mère. Elle fut enlevée à l'affection des siens, le 6 avril 1837, et inhumée dans l'église d'Hayange où elle s'était mariée deux ans auparavant. Elle n'avait que vingt-quatre ans lorsqu'elle mourut. Cette jeune femme joignait à une rare distinction une piété éclairée et toutes les qualités qui font le charme d'un foyer. Au ciel, elle a prié pour l'enfant encore au berceau, auquel elle a prodigué toute sa tendresse maternelle et légué l'héritage de ses vertus chrétiennes.
Les premières années de Maurice du Coëtlosquet se passèrent alternativement à Metz et à Hayange, auprès de sa grand-mère paternelle, et à Plappeville, où son père avait loué une maison de campagne ; je me rappelle y avoir joué avec Maurice, car j'étais son contemporain, étant né, comme lui, en 1836, et, depuis le Consulat, nos deux familles étaient liées par une amitié qui ne fit que s'accroître et dure encore. Mon grand-père paternel, Charles-Antoine des Robert, ancien élève des écoles militaires de Pont-à-Mousson et de Mézières, ancien lieutenant au régiment d'Angoumois, et, pendant la Révolution, alferez aux gardes wallonnes, au service de l'Espagne, après avoir été amnistié par le Premier Consul, s'était fixé à Metz, ainsi que son père, ancien chef de brigade, directeur du Génie et doyen des Chevaliers de Saint-Louis, un des derniers survivants de la campagne du Canada, qui, après avoir défendu Thionville contre les Alliés, avait été emprisonné, ainsi que sa femme, à Arras, et n'avait été relaxé qu'après la mort de Robespierre. Mon père était entré à Saint-Cyr avec le comte Léon du Coëtlosquet. Maurice du Coëtlosquet avait huit ans lorsque son père se remaria, en 1844, avec sa cousine, Mademoiselle Marie-Sophie de Maillier2, dont la mère était née de Lasalle. Son père était conseiller à la Cour de Metz.
Notre ami reçut tout d'abord, avec ses cousins Raoul et Gaston, fils de son oncle Léon, un peu plus jeunes que lui, des leçons de M. l'abbé Kœtsch, et, plus tard, il eut pour précepteur M. l'abbé Libert qui fut nommé, avant 1870, archiprêtre de Sainte-Ségolène de Metz, et occupa ce poste jusqu'à sa mort.
L'éducation. donnée à Maurice du Coëtlosquet par un prêtre vénérable et instruit se complétait par les exemples trouvés de bonne heure par l'enfant au foyer paternel. L'abbé Libert n'eut qu'à cultiver le champ si bien ensemencé, à y maintenir et à y faire croître la foi, qui ouvre à l'entendement le monde invisible, et l'amour du bien et de la charité. L'abbé Libert se fit aimer par son élève qui devint, plus tard, son ami fidèle, et il n'eut qu'à poursuivre dans la maison familiale l'œuvre commencée sous de si tendres auspices. Ce saint prêtre se revêtit, pour Maurice, d'une affection presque paternelle. Ce que la famille avait ébauché, l'abbé Libert l'acheva. Il porta l'âme de Maurice vers Dieu, car il comprenait que c'était Lui qui le lui avait confié. II réprima ses défauts (car tout le monde en a) et trempa son caractère, naturellement docile, au brasier de la foi et du devoir, le préparant d'avance à l'avenir qui s'ouvrait devant lui. Il le rendit sensible aux touches du beau et forma toutes ses facultés à l'apprentissage de la vie. Il aida le vol de sa pensée, applaudit à sa joie mâle du savoir et lui traça le chemin de l'honneur. II lui inspira l'amour de la justice et le guida, surtout, dans l'exercice de la charité et du dévouement envers les pauvres. Les heureuses dispositions, la charité précoce de Maurice furent la récompense et la joie de M. l'abbé Libert.
L'enfant grandit en science et en sagesse. Il fit sa première communion dans l'église de Saint-Martin, dont le curé était l'abbé Verdenal, le 2 avril 1848. Mais le bruit de la rue vint troubler le calme des études de Maurice. Il entendit autour de lui les rumeurs de la Révolution de1848. Lorsque l'accalmie fut revenue, grâce à la modération et au bon sens de la population messine, un autre fléau s'abattit sur le Pays Messin. Une épidémie de choléra exerça, dans la même année, ses ravages aux environs de Metz. Le père de Maurice renvoya les siens de Plappeville, où il possédait une maison de campagne. Il resta seul sur la brèche, fidèle au poste, sentinelle avancée de la charité chrétienne. Il prodigua ses soins, jour et nuit, aux victimes de la contagion. Ni les représentations des membres de sa famille, ni l'intervention directe de Mgr l'Évêque de Metz ne purent le faire revenir sur sa détermination : « C'est la première fois, Monseigneur, répondit le père de Maurice au vénérable prélat, que j'ai le regret d'être en désaccord avec Votre Grandeur, mais ma conscience me dicte impérieusement mon devoir, et c'est à elle seule que je dois obéir ».
Réponse sublime et exemple admirable de charité chrétienne donné par cet homme de bien ! Aussi Maurice eut-il toujours une grande admiration pour ce père qui lui donna, jusqu'à sa mort, l'exemple de toutes les vertus et surtout celui de la charité et de l'amour du pauvre.
Durant la minorité de son fils aîné, auquel il rendait toute la tendresse et toute l'affection qu'il avait su lui inspirer, M. Maurice du Coëtlosquet s'intéressa à l'éducation d'autres enfants moins favorisés que lui de la fortune. Il aida de tout son pouvoir les Frères des Ecoles chrétiennes à s'établir à Metz.
En 1840, deux des quatre écoles dirigées par ces Frères venaient d'être supprimées par le Conseil municipal de Metz. M. Charles du Coëtlosquet, frère aîné du père de notre ami, ainsi que plusieurs autres conseillers municipaux de Metz, avaient protesté en vain contre cet ostracisme. Une partie de la population messine s'indigna. Sous l'inspiration de Mgr Besson, évêque de Metz, une souscription générale fut ouverte pour le maintien des deux écoles supprimées. L'une fut établie à l'angle des rues Lasalle et des Huiliers, sur la paroisse Saint-Martin, l'autre dans le quartier Saint-Vincent, rue Vincentrue. Ces deux écoles ne tardèrent pas à devenir très fréquentées, et le nombre des nouveaux élèves dépassa ceux qu'on y comptait auparavant.
A la tête du comité qui se forma pour diriger ces écoles se trouvait le président de la Cour royale, M. de Maillier. Le secrétaire était M. de la Chapelle, qui fut bientôt remplacé par le père de notre ami, Maurice du Coëtlosquet, qui n'avait alors que trente-deux ans. Vingt-cinq à trente des personnes les plus marquantes de la cité composaient le comité. Le père de Maurice, comme secrétaire, se trouva chargé d'une besogne immense, mais qu'il ne trouva pas trop lourde, tant il avait au cœur l'amour des classes pauvres. Tout était à créer, à innover et à trouver : maisons d'école, matériel, et surtout les ressources nécessaires à ces diverses installations. Rien ne découragea le baron du Coëtlosquet. Il déploya une énergie féconde et active à chercher les moyens de pourvoir à tant de besoins. Il s'adjoignit le Frère Hilaris3, qui l'aida avec le plus grand zèle et la plus haute intelligence. Il lui donna toutes les explications et tous les renseignements désirables et l'aida dans la tenue des livres de comptes et de gestion. Ces livres existent encore. Ce sont les archives de l'Œuvre. M. Maurice du Coëtlosquet, à la fin. de chaque année scolaire, après le compte-rendu du trésorier, présentait au Conseil un registre-tableau qui exposait les moindres détails de l'Œuvre. Tous les noms des élèves s'y trouvaient inscrits. Les professions des parents y étaient indiquées. C'est donc l'histoire, pendant plusieurs années, d'une partie de la population ouvrière de Metz, aussi intéressante que les biographies des notabilités messines que nous avons pu consulter. Plusieurs des élèves des Frères des Écoles chrétiennes de Metz firent honneur à leurs maîtres dévoués, comme commerçants, industriels, ingénieurs, ouvriers d'art et comme officiers de l'armée française, et, à leur tête, le général de division Edouard Pierron, mort le 25 août 1905. Il était le fils de M. Pierron, qui tenait un restaurant à l'angle des rues Serpenoise et du Lancieu. En 1846, la maison d'école, rue des Huiliers et rue Lasalle, que le Conseil avait prise à bail, allait être vendue. M. Maurice du Coëtlosquet, le père, la racheta.
En 1858, par suite du don fait par M. Leinen-Spol, les classes furent transférées au Collège Saint-Augustin, que les Révérends Pères Jésuites venaient de quitter après l'inauguration de leur Collège de Saint-Clément. Quant à l'école de la rue Vincentrue, elle était trop étroite et peu convenable. Il fallut aviser à la remplacer avant la rentrée des classes, qui devait avoir lieu le 19 octobre 1840. Elle contenait plus de cent enfants. On dut se contenter d'un petit rez-de-chaussée mal éclairé, rue Vincentrue, avec un premier étage des plus restreints. M. du Coëtlosquet, le père, sut intéresser son fils à l'Œuvre dont il s'occupait avec tant de sollicitude. Un jour, au commencement de l'année 1847, au retour de sa visite aux écoles chrétiennes, le baron du Coëtlosquet, parlant à son fils Maurice de l'exiguïté de l'école de la rue Vincentrue : « Maurice, Maurice, lui avait-il dit, que faire pour loger tous ces enfants.qui se présentent ? Ne serait-il pas à propos que tu aies le plaisir de construire une école ? Ce serait ton œuvre à toi. » - Et le jeune Maurice de répondre : « Papa, ce que vous déciderez et ferez sera bien fait ; oui, ce sera mon œuvre ». Il n'avait que onze ans et se préparait à sa première communion, lorsqu'il accéda avec tant d'empressement à l'invite au bien que lui faisait son père. Oui, l'Œuvre des Ecoles chrétiennes fut pendant toute sa vie son œuvre de prédilection.
Aussitôt que M. du Coëtlosquet eut reçu l'acquiescement de son fils, il acheta, en son nom, un terrain rue Saint-Vincent, où l'on construisit la belle école chrétienne qui existe encore à l'heure actuelle. A la rentrée des classes, en 1848, quatre belles salles bien éclairées étaient ouvertes pour recevoir les enfants de la paroisse Saint-Vincent. Cette école prospéra et acquit une réputation méritée. En 1870, le Frère Blaste, qui la dirige encore, comptait quatre-vingt-cinq élèves.
Lorsque Maurice du Coëtlosquet atteignit sa majorité, ce fut avec lui que I'Œuvre des Ecoles chrétiennes eut désormais à traiter toutes les questions se rattachant à la location de l'immeuble Saint-Vincent. Mgr Dupont des Loges, au nom du Conseil de l'Œuvre, lui adressa une lettre pour lui demander dans quelles conditions les Écoles chrétiennes allaient se trouver avec lui : « Monseigneur, répondit Maurice, mon cher père a si bien fait les choses en mon nom, que je n'ai rien à changer ; cette maison est et restera mon œuvre ». Plus tard les ressources de l'Œuvre venant à manquer, il abandonna entièrement le prix du loyer en faveur des Écoles chrétiennes et y ajouta même, comme je le dirai plus loin.
La famille du Coëtlosquet était très populaire à Metz. On la savait charitable à l'extrême, modeste et ennemie de tout luxe intempestif. Elle se mêlait et coopérait à toutes les bonnes œuvres. Les pauvres et les ouvriers pouvaient s'adresser à elle sans être jamais repoussés. Le comte Charles du Côétlosquet, qui avait été député de la Moselle en 1849 et qui, victime du coup d'Etat, avait été visiter le tombeau du Christ, en 1852, et était mort à Jérusalem cette année même, après avoir imploré le Sauveur des hommes pour sa famille, Metz et la France, avait, comme aîné, donné l'exemple à ses frères et à ses neveux de la charité, de la piété la plus exemplaire. Doué d'une intelligence remarquable et écrivain de premier ordre, il avait consacré toute sa vie à l'amélioration des classes pauvres. II avait été président de la Société de Prévoyance et de Secours mutuels de Metz en 1842. Toutes les questions sociales avaient été le sujet de ses études et, à l'Assemblée législative, en 1851, il avait lu un rapport fort remarqué sur la proposition relative au travail dans les prisons, question qu'il avait déjà traitée dans un livre publié à Nancy en 1843.
En suivant la voie tracée par son père et ses oncles, Maurice du Coëtlosquet donna raison au proverbe qu'il aurait pu prendre pour devise : Beau sang ne peut mentir. C'est en se modelant sur ces gentilshommes d'ancienne race, MM. Charles, Léon et Maurice du Coëtlosquet que, comme le fit notre ami, chacun de nous devrait agir et que doivent se comporter les classes dirigeantes à notre époque. Si vous voulez éteindre les haines instinctives du pauvre contre le riche, il faut aller à lui, lui montrer les lumières qui brillent au ciel et que l'incrédulité ne peut éteindre. Il faut écouter ses plaintes et ses justes revendications, compatir à ses maux, l'aider à gagner honorablement sa vie et s'asseoir à son chevet lorsqu'il est malade ou accablé par le poids de l'âge. Il faut le secourir dans la besoin, s'occuper de sa femme et de ses enfants, faciliter à ceux-ci l'éducation chrétienne, car, comme le dit notre compatriote, le docteur L. Knœpfer, le germe de l'idée du devoir indépendant de l'intérêt et parfois opposé à l'intérêt individuel ne peut être développé chez l'enfant que par l'éducation religieuse et l'exemple4. Cet exemple doit être donné par les parents et par ceux qui les visitent et leur donnent de bons conseils.
C'est ce que messieurs et mesdames du Coëtlosquet avaient compris. La semence jetée dans l'âme de Maurice devait fructifier amplement dans un sol que Dieu avait rendu fertile. Marcher devant Dieu, telle fut sa devise, et il ne s'arrêtera jamais dans sa marche.
L'Évangile fut son guide, le vade-mecum de sa vie entière. Sa religion fut toute d'amour. Il se dévoua, non seulement à sa famille, mais encore à tous ceux qui l'entouraient et surtout aux pauvres. Il fut toujours miséricordieux envers tous, sans aucune haine contre ceux qui ne pensaient pas comme lui, n'inspirant à ceux qui l'écoutaient que l'amour du bien et de la patrie.
Un jour, se promenant avec l'abbé Bombardier, précepteur de son frère Jean et depuis curé de Saulnes, ils traversaient tous deux la place Saint-Thiébault, lorsqu'ils rencontrèrent les Orphelines conduites par des Sœurs. Maurice fut frappé de l'état maladif et du teint blême de ces jeunes filles et demanda à l'abbé à quoi il fallait attribuer cette extrême pâleur. Le prêtre lui répondit que ces signes de mauvaise santé et d'anémie ne pouvaient provenir que de l'éducation première, de la mauvaise nourriture et du manque d'air dont elles avaient été privées dans leur enfance. Il aurait pu s'étendre sur d'autres causes à invoquer. Il aurait pu parler à son interlocuteur de l'atavisme, d'une hérédité morbide due à la mauvaise conduite et à l'intempérance des parents. Par pudeur il ne le fit pas, mais Maurice devint songeur et garda le silence. Trois semaines après, il était en marché pour la terre de Belletanche avec les héritiers de M. Clercx, voulant y créer une maison de retraite pour les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, auxquelles étaient confiées les Orphelines dont il avait constaté la physionomie attristée et le corps chétif qui avait besoin du grand air pour se fortifier.
- 1. Le vicomte Jean-Baptiste-Maurice du Coëtlosquet eut pour frères, outre le comte Charles du Coëtlosquet, mort à Jérusalem, le comte Léon du Coëtlosquet, capitaine démissionnaire de cavalerie, qui mourut à Metz en1888, laissant pour fils le comte Gaston du Coëtlosquet, ancien inspecteur des Forêts, qui réside à Nancy, et deux filles, l'une religieuse au Sacré-Cœur et l'autre, épouse du général de Lavalette.
- 2. Elle avait alors 22 ans et, malgré son jeune âge, son rare mérite l'avait fait choisir comme Présidente des Enfants de Marie, de Metz. Son mariage avec le baron Maurice du Coëtlosquet fut béni dans l'église de Sainte-Glossinde, par M. l'abbé Chalandon, vicaire général de Mgr Dupont des Loges, depuis évêque de Belley et archevêque d'Aix.
- 3. Hilaire Grégoire, né à Gray (Haute-Saône) le 5 aotit 1822, mort le 7 février 1906, à Metz, à l'âge de 84 ans. Sous-directeur des Ecoles chrétiennes, à Metz, depuis 1845, il en fut nommé directeur en 1869, poste qu'il conserva jusqu'à sa mort. (V. L'Austrasie, supplément au n° 7. Janvier-Avril 1907).
- 4. Cf. Essai sur Ia Démocratie, l'Instruction publique et les Universités, par L. Knœpfler, p. 10.