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II Son adolescence. Ses voyages à Paris, en Angleterre et en Bretagne. Son séjour à Mercy. Ses compositions musicales. Ses amis.
A l'âge de 15 ans, Maurice du Coëtlosquet fit son premier voyage en Angleterre en compagnie de son père, lors de l'Exposition de Londres, en 1851. Sa jeune intelligence fut mise en éveil par le spectacle de tant de merveilles qui s'étala devant ses yeux. Il apprit de bonne heure l'anglais, qu'il parlait avec facilité. Il eut toujours une prédilection marquée pour les institutions de nos voisins d'Outre-Manche et leur manière d'entendre la liberté. La famille de Maurice s'était fixée à Paris vers la fin de l'année 1851. Elle y avait été attirée par la présence dans cette ville du comte Charles du Coëtlosquet, de M. Maurice de Foblant et du baron de Ravinel, représentants du peuple pour les départements de la Moselle, de la Meurthe et des Vosges. Puis elle séjourna en Bretagne d'où elle était originaire, et où elle comptait encore de nombreux parents et amis dans le diocèse de Léon. Elle se fixa dans le château de Keraval, près de Quimper, et ensuite dans celui de Prat-en-Ras, où elle resta jusqu'en 1855, et où elle se lia avec les de Carné, les du Martraltach, de la Grandière, de Kerret, de Legge, de Guébriant, du Fretay.
Maurice du Coëtlosquet venait d'achever ses études, qui n'avaient pas été aussi complètes que l'aurait désiré son père, à cause de la faiblesse de sa complexion. Mais bientôt les exercices corporels, l'équitation et la chasse lui rendirent des forces et lui acquirent une santé robuste. On le vit courir par monts et par vaux, à travers les landes de la Bretagne, cette contrée qu'il devait aimer avec tendresse jusqu'à sa mort, presque autant que le Pays Messin où il était né.
En 1855, la famille du Coëtlosquet revint à Metz, après avoir fait un pèlerinage à Sainte-Anne d'Auray.
Madame de Wendel, aïeule maternelle de Maurice, venait de lui acheter le château et la terre de Mercy, qui appartenaient auparavant au baron de Mandel d'Ecosse. Le château avait été bâti au 17e siècle par Jean-Bertrand de Saint-Jure, maitre-échevin et aman de Metz. Il y avait adjoint une chapelle qui renferme encore les tombes de plusieurs membres de la famille de Saint-Jure, dont les derniers descendants servirent la Bavière1.
Le château de Mercy, qu'habita Maurice du Coëtlosquet avec sa famille pendant quinze ans, de 1855 à 1870, est situé à 6 kilomètres de Metz, près de la route qui conduit à Strasbourg. Il forme terrasse et domine une plaine luxuriante, parsemée de bois et de coteaux fleuris.
La famille de Maurice du Coëtlosquet croissait en nombre, car son père eut de sa seconde femme six enfants, dont quatre, trois fils et une fille, se sont consacrés à Dieu. L'aîné des fils, Charles, est entré dans la Compagnie de Jésus en 1867. Après avoir été recteur du Collège Notre-Dame à Boulogne-sur-Mer, il évangélise maintenant les indigènes de Madagascar.
Le second, Edouard, après s'être engagé dans les Francs-Tireurs de Metz, après la capitulation rejoignit les Volontaires de l'Ouest, avec lesquels il fit la campagne de la Loire ; il prit part avec cette troupe d'élite au brillant combat du plateau d'Auvours, où les zouaves pontificaux reprirent aux Allemands leurs positions et retardèrent d'un jour la prise du Mans. Après la guerre, il se fit recevoir licencié en droit, puis entra dans l'Ordre des Bénédictins. Il fut successivement sous-prieur de l'abbaye de Solesmes (1893), prieur du Monastère de Saint-Maur de Glanfeuil, en Anjou, et premier abbé de ce monastère après la restauration de son titre abbatial par le Saint-Siège. Après l'expulsion des ordres religieux de France, il s'est installé avec ses religieux à Baronville, près de Liège, où il vient de donner sa démission d'abbé pour pouvoir refaire sa santé ébranlée par les derniers évènements.
Le troisième, Jean, est également moine bénédictin. Une des sœurs de Maurice du Coëtlosquet est Petite-Sœur des Pauvres. Ses autres sœurs s'occupent d'œuvres charitables.
La vie menée à Mercy, village qui ne compte guère que cinquante habitants et n'est qu'une annexe de la paroisse d'Ars-Laquenexy, ne pouvait être que patriarcale dans une famille dont Dieu dirigeait tous les actes. Elle était cependant égayée par de fréquentes visites d'amis et surtout de voisins, qui venaient chasser avec Maurice, auquel des voyages fréquents en Angleterre avaient inspiré l'amour de tous les sports. Intrépide cavalier, chasseur infatigable, il sonnait fort bien de la trompe. Il avait pris des leçons de MM. Freyberger et TelIier; célèbres cornistes de Metz, et exécutait souvent des duos avec le baron Charles de Triecornot son cousin-germain par alliance, qui habitait à cette époque le château de Colombey, situé à quelques kilomètres de Mercy. Au retour de la chasse on ramenait au château, ainsi qu'un abondant butin, des blaireaux pris au terrier. Une fois même un petit loup fut capturé, mais il reprit la clef des champs et on lui donna la chasse toute une journée avant de pouvoir le tuer. Maurice s'occupait aussi de l'élevage des chevaux et y appliquait les théories anglaises. Il fit construire des écuries et un double parc de vingt hectares qui permettaient aux poulains et aux pouliches de gambader sous les fenêtres du château, à la grande joie de ses frères et de ses sœurs.
Le curé d'Ars-Laquenexy binait à Mercy et venait, tous les dimanches, célébrer une messe basse avec prône dans la chapelle du château. Tous les soirs, la prière était dite par la belle-mère de Maurice du Coëtlosquet dans cette chapelle, en présence des membres de la famille, des domestiques et des habitants. Elle était sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste. En dehors du fermier et du jardinier, la population du village de Mercy se composait de vignerons, car la propriété renfermait un vignoble de onze hectares. Maurice du Coëtlosquet entretint toujours les meilleurs rapports avec ses tenanciers, qu'il visitait plusieurs fois dans le cours de l'année. Tous l'appelaient « Monsieur Maurice » et lui étaient entièrement dévoués.
Le jour de la Saint-Vincent, avait lieu, dans une salle du château, le repas dit « des vignerons ». Maurice dit Coëtlosquet employait encore d'autres ouvriers qui venaient des environs pour des travaux supplémentaires. Maçons et bûcherons étaient des habitants de Jury, petit village situé près du Bois-Brûlé, d'une contenance de 15 hectares, qui fut acheté par Maurice à la famille de Jobal, après 1870. Dans le village de Jury, Maurice du Coëtlosquet sut s'attirer une vive sympathie par sa bonté et l'affabilité de son caractère. Il avait toujours sur ses lèvres l'irrésistible sourire qui gagne les cœurs. Jamais il ne se laissait emporter par la colère, et jamais il ne fit entendre des reproches injustes. La famille de notre ami a gardé le souvenir d'un brave bûcheron qui ne voulut pas mourir avant d'avoir revu « Monsieur Maurice ».
Comme nous l'avons dit plus haut, Maurice du Coëtlosquet était doué de grandes dispositions musicales, et il en avait donné la preuve dès son jeune âge, surtout à Plappeville, où il accompagnait sur l'orgue les chants liturgiques pendant la grand'messe. Il jouait également du violoncelle. Il chantait aussi avec accompagnement, et ses frères et sœurs faisaient cercle autour de lui, l'admiraient et s'essayaient, à qui mieux mieux, à redire de mémoire les airs qu'il avait essayé de leur apprendre. Et ce groupe familial faisait songer à un tableau de Greuze. Peu à peu le goût de la composition envahit l'âme du jeune musicien. Il eut pour maître et pour guide M Théodore Gallyot, qui fit des séjours prolongés au château de Mercy, et qu'il continua à fréquenter lorsqu'il se fut retiré à Metz. Nous pouvons citer, parmi les nombreuses œuvres composées par Maurice du Coëtlosquet, un Salve Regina2, un Sub Tuum, un Inviolata et un Tantum ergo. Il mit en musique deux poésies de sa belle-mère, l'une Sur les avantages de la carmpagne, l'autre qui fut adressée par elle au comte de Chambord, ainsi que plusieurs poésies de M. de Bezancenet, entre autres une opérette ayant pour titre « Sur le palier ». Ces compositions musicales furent éditées à Paris sous le pseudonyme d'Edouard Marcel. Maurice du Coëtlosquet fut également l'auteur d'un Chœur des Moissonneurs, qui fut exécuté dans un des salons de l'Hôtel de ville de Metz, peu avant la guerre. Il orchestra, à la même.époque, un Chœur des Vendangeurs, et d'autres morceaux du même genre. Je crois même qu'il fut l'auteur d'un opéra représenté à Bade, qui avait pour titre Abdallah au désert. A partir de l'année terrible, Maurice du Coëtlosquet ne s'occupa guère, du moins avec suite, de musique. D'autres préoccupations l'assaillirent et envahirent sa pensée. Mais, je m'en souviens, avant 1870, lorsque mon ami était dans le feu de la composition, rien ne pouvait le distraire de son travail. Le jour ne lui suffisait plus. Il prolongeait ses veilles bien avant dans la nuit et, dès l'aube, il revenait s'asseoir devant son piano, au moment où les oiseaux commençaient à. gazouiller sous la feuillée et l'accompagnaient de leur concert matinal, alors que toute sa famille dormait du plus profond sommeil. Du reste, Maurice du Coëtlosquet n'affectait aucunes prétentions. Il ne se croyait pas un virtuose émérite, et, à l'opposé de la plupart des artistes, il n'avait aucun amour-propre d'auteur ni d'exécutant. Et cependant son talent lui avait valu les suffrages et les applaudissements des meilleurs juges. Il était difficile pour lui-même ét ne croyait jamais avoir mis au point ses compositions musicales. Sous l'inspiration d'une muse toujours docile, il remaniait souvent ce qu'elle lui avait inspiré, car son idéal était celui des meilleurs artistes. Il savait qu'il était presque impossible d'atteindre à la perfection et, suivant les conseils de Boileau, ce qu'il avait entrepris de prime saut, il le remettait sans cesse sur le métier. C'est là une des premières conditions de l'art.
L'espace nous manque pour détailler plus à fond les multiples occupations de Maurice du Coëtlosquet à Mercy, qu'il habitait toute l'année en véritable gentilhomme campagnard, s'intéressant à tous les travaux agricoles et y aidant de son argent.
Maurice du Côëtlosquet avait, sur sa propriété de Mercy, à peu de distance d'Ars-la-Quenexy, une petite chapelle dédiée à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, qui était un lieu de pèlerinage pour tous les ouvriers de la contrée. On prétend que cette chapelle avait été bâtie par un seigneur du lieu, au retour de la Croisade: Maurice s'y rendait souvent, en compagnie de ses frères et de ses sœurs, de son père et de sa belle-mère. Aux Rogations, la paroisse de Mercy y venait en procession, ainsi qu'au jour de l'Assomption. Du reste, notre ami regretté eut toujours une dévotion particulière envers la Sainte-Vierge. Vers 1860, les révérends Pères Jésuites du Collège Saint-Clément, de Metz, le reçurent parmi les membres de l'Immaculée Conception.
Bien que Maurice du Coëtlosquet, élevé chez son père, n'eût pas été leur élève, en 1860 il abrégea un de ses séjours en Angleterre, où il se rendit à diverses reprises, pour répondre à une invitation du Révérend Père Bach, et assister à l'une des fêtes de la Congrégation dont il faisait partie.
Maurice du Coët1osquet avait de fréquentes relations avec ses voisins de campagne et comptait de nombreux amis, en dehors' de sa parenté, dans la société de Metz. Citons, en passant, quelques-uns de ses amis, dont les noms sont bien connus dans le Pays .Messin : les Cherisey, les La Vernette, les Tricornot, le marquis de Pange, la famille des Robert, le vicomte de Brossin de Méré, le comte de Puymaigre, poète et archéologue, M. d'Hannoncelles, MM. Carny, Auricoste de Lazarque, Lejeune, Durand de Distroff, etc3. A Nancy, il fréquentait MM. de Metz-Noblat, de Scitivaux de Greische, de Ludre et de Bouvier. Maurice du Coëtlosquet s'intéressait à la Renaissance littéraire qui, dans les dernières.années du Second Empire, s'était manifestée à Nancy sous l'impulsion du baron Guerrier de Dumast, avec lequel il aimait à correspondre, ainsi qu'au programme de, décentralisation politique et administrative qu'avaient tracé quelques hommes intelIigents de l'ancien duché de Lorraine. Il fit partie plus tard de la Société de l'Economie sociale en 1869. Il applaudissait aux efforts généreux, quoique n'ayant abouti qu'à de médiocres résultats, de l'Ecole de Nancy. A Metz, Maurice du Coëtlosquet fit une campagne assez ardente en faveur d'un des candidats de l'opposition, lors des élections au Corps législatif. Ce candidat était M. Rémond, avocat distingué de Metz, mort le 14 décembre1883, à Paris, conseiller à la Cour d'appel. Lors du plébiscite, notre ami employa toute son influence pour propager les bulletins défavorables au gouvernement. Dans la commune de Mercy, un seul électeur vota pour l'Empire.
- 1. Joseph de Saint-Jure, seigneur de Mercy, fut le premier colonel du 4e Bavarois qu'il créa, sous le règne du Grand-Electeur Max-Emmanuel de Bavière, allié de Louis XIV, le 14 mars 1706. Il mourut à Metz, dont sa famille était originaire, et fut enterré dans la chapelle du château de Mercy, le 28 août 1721. (Cf. Les Grands-Electeurs de Baviére et le Royal-Bavière. Austrasie. Octobre 1906).
- 2. Solo et chœur à l'unisson ou solo. Metz, lithographie Béha, in-4° 1888.
- 3. Parmi Ies hôtes qui se succédaient d'année en année figuraient plusieurs élèves de l'École d'application du Génie et de l'Artillerie, entre autres MM. deVaulgrenant, de la Laurencie, de Saint-Périer, Theven de Guelaran, de Quincy, Palle, d'Esparbès de Lussan, de Monloré de Saint-Paul, Mertian, Teilhard d'Eyri, Siméon (qui devint précepteur de S. A. le duc de Parme et de son frère, le comte de Bardi), deTromadec de Beauregard, de Morlaincourt, Maurice de Vienne, du Plessis de Grénédan, etc.