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La décoration

A l'abondante décoration extérieure répond celle de l'intérieur. Elle fait intervenir de nombreuses références stylistiques : gothique dans l'ébénisterie, classique et baroque pour les cheminées par exemple. L'Art Nouveau fleurit abondamment sur les stucs des plafonds et des murs.

L'entrée donne sur un hall d'honneur majestueux où la décoration associe divers matériaux : marbre, fer forgé, bronze, grès flammé, céramique polychrome pour le sol. Le stuc est partout ; sa couleur blanche fait ressortir le modelé des moulures sur la teinte plus soutenue des murs. Plusieurs styles se mêlent agréablement dans cet espace, et ceci dès l'entrée, avec l'huisserie Art Nouveau des trois portes. La Renaissance est illustrée par la clef pendante de la voûte et la grande cheminée que dominent, au-dessus d'un fronton cintré brisé à volutes rentrantes orné de fleurs stuquées, les armoiries et la devise de la famille du Coëtlosquet. Ce sont les mêmes que l'on a pu observer à l'extérieur au sommet des deux pavillons latéraux : deux lions encadrent le blason, qui est surmonté d'une couronne. L'âtre, flanqué de colonnettes à chapiteaux corinthiens, est tapissé de briques polychromes qui dessinent des croix de Lorraine et des fleurs de lys émaillées.

Le XVIIIe siècle et le style rocaille viennent aussi agrémenter ce vestibule lumineux. Dans le massif de l'escalier, une niche abrite une jolie fontaine encadrée de dauphins et surmontée d'un masque de silène couronné de fleurs. Une jardinière à décor de concrétions et de mufles d'animaux fantastiques est aménagée sur le mur de droite.

Comme on l'a dit plus haut, le hall sert d'espace de distribution. A droite, il donne sur le couloir transversal (5 sur le croquis A). Ce corridor est animé par quatre figures féminines qui évoquent les saisons1. D'une facture exquise, elles sont modelées en stuc dans le style Art Nouveau et rappellent le travail de Mucha. On les doit à Jules Louis Rispal (1871-1910) qui fut à cette époque un artiste renommé à Paris. On peut regretter que dans ce passage étroit elles ne soient mises en valeur comme elles le devraient.  

Du hall d'honneur part le grand escalier. Il est éclairé par la grand baie garnie à l'extérieur d'une belle ferronnerie aux entrelacs de roseaux (N 11 de notre numérotation des baies) ; elle était autrefois pourvue de vitraux dont il ne reste quasiment rien2. L'escalier, à trois volées continues, est bordé par une superbe rampe qui se poursuit en garde-fou sur le palier : en fer forgé rehaussé de bronze et de dorures par endroits, elle déroule des compositions raffinés de rinceaux végétaux où s'insèrent les armoiries et la devise des Coëtlosquet. Le palier du premier niveau se présente comme un balcon pourvu de colonnes de marbre polychrome.

Bien que le décor se déploie ici aussi avec opulence, il n'est pourtant pas uniquement ornemental. Dans des niches d'angle, en effet, sont placées les statues grandeur nature en marbre de Jeanne d'Arc et de Bertrand du Guesclin. Elles représentent les deux provinces chères au vicomte Maurice du Coëtlosquet, la Lorraine et la Bretagne, mais symbolisaient surtout, en cette période d'annexion, la résistance de la France à l'ennemi envahisseur. Jeanne d'Arc, en simple cuirasse et sans casque, est plongée dans une prière de supplication quelque peu sulpicienne, tenant son épée dans ses mains jointes. Du Guesclin, dans une attitude plus martiale, le heaume relevé, en armure avec armes et bouclier, semble attendre l'ennemi de pied ferme3. Des médaillons délicatement modelés dans le stuc accompagnent ces deux héros de l'histoire de France : Minerve pour la sainte, Mars pour le chevalier, tous deux représentés casqués et de profil au centre d'une couronne de fleurs.

A l'origine, les salles du château étaient spacieuses et bénéficiaient d'une hauteur sous plafond qui leur donnaient une belle ampleur. Beaucoup ont malheureusement été subdivisées par la suite et les plafonds ont été surbaissés, sans doute pour réduire les frais de chauffage. Cela nuit certainement à l'idée que l'on peut se faire des volumes et des aménagements mais on remarque toutefois que les pièces ont toutes un style différent, comme en témoigne encore la riche collection de cheminées de marbre que l'on peut admirer en parcourant le château4. Comme l'écrit Christiane Pignon-Feller, « on passe de salons à caractère gothique à des salles Renaissance, des suites néo-Louis XV ou rocaille teinté de fantastique à des pièces néo-Louis XVI5. »

Partout, les stucs soulignent les divisions de l'architecture : les frises de lierre organisent les parois, les guirlandes des rosaces animent les plafonds, les angelots et les corbeilles de roses couronnenet les pilastres, selon le rôle qui leur est dévolu dans l'art décoratif classique, dans les angles, au dessus des portes, autour des lustres... Malheureusement, une grande partie de ce décor stuqué est aujourd'hui caché par les faux plafonds6. En de nombreux endroits, lorsqu'on peut encore l'observer, le décor stuqué présente de larges bouquets de fleurs fortement empreints d'Art Nouveau ; ils sont de deux modèles, chrysanthèmes ou tournesols, qui se répètent quasiment à l'identique à la base et dans les coins des plafonds.  

Certaines pièces sont entièrement revêtues de boiseries7, qui camouflent parfois avec ingéniosité des placards ou le système de chauffage. L'ébéniste nancéien Eugène Vallin a conçu et réalisé ici une œuvre remarquable. Délaissant le style de l'École de Nancy qui l'a rendu célèbre, ses compositions pour le château de Mercy se réfèrent aux grands moments de la décoration française : la Renaissance dans la grande salle du rez-de-chaussée, avec son plafond à caissons où s'inscrivent les blasons des Saint Jure, de Metz et de Rambervillers, et sa cheminée aux armes des Coëtlosquet, ou le classicisme délicat des XVIIe et XVIIIe siècles dans certains salons. L’ensemble de la bibliothèque du premier étage est assurément son chef-d'œuvre : portes, plafond à caissons, lambris et meubles sont traités en style néo-gothique, avec pour point d'orgue la magnifique cheminée dont la hotte arbore fièrement le blason de la famille.

Le vicomte Maurice du Coëtloquet, ou son épouse puisque c’est elle qui réalisa son vœu, avait choisi pour la reconstruction du château de Mercy des artistes et des entreprises de renom, à commencer par l’architecte Henri Klein dont la carrière à Metz était en plein essor. Si la plupart nous sont inconnus, comme le sculpteur des statues de Jeanne d’Arc et de Du Guesclin8, on a retrouvé des modèles de ferronneries, en particulier celle de la rampe du grand escalier, dans le catalogue de la société parisienne Schwartz & Meurer9. Jules Rispal, on l’a dit, était bien côté à Paris. Toutefois, Eugène Vallin (1856-1922) illustre mieux qu’aucun autre l’attention que la famille du Coëtlosquet entendait apporter à sa nouvelle résidence. Il avait étudié à l'École des Beaux-Arts de Nancy et fait son apprentissage dans la menuiserie de son oncle, qu'il avait reprise en 1881. Il devint rapidement l'un des créateurs les plus talentueux de l'Art Nouveau et gagna sa renommée dans l'art de l'ébénisterie avec ses créations pour les notables de Nancy. Il réalisa en 1909 le pavillon de l'École de Nancy à l'Exposition Internationale de l'Est de la France qui se déroula dans cette ville. Eugène Vallin avait une conception très élevée de son métier : il ne travaillait que sur commande, privilégiant la maîtrise de son art et refusant le travail d'usine ; en le choisissant, Maurice du Coëtlosquet montrait qu’il savait reconnaître le talent où il le rencontrait, même si l’on a prétendu qu’il n’appréciait guère l’Art Nouveau.



  • 1. Voir Galerie 12. Les Quatre Saisons.
  • 2. Le vitrail est toutefois un élément qu'il faut prendre en compte dans la décoration du château. Depuis le milieu du XIXe s., Metz, avec Laurent Charles Maréchal (1801-1887), était en effet un centre important du renouveau de cet art. L'Annexion dispersa les artistes de l'École de Metz mais à l'époque de la concrétisation du projet de reconstruction du château de Mercy, l'atelier de Michel Thiria (1867-1938) était en pleine activité. On peut penser avec vraisemblance que Maurice du Coëtlosquet a pu solliciter la contribution de ce maître verrier, d'autant plus que celui-ci partageait les conceptions du vicomte et soutenait la revue L'Austrasie. Cf Christiane PIGNON-FELLER, Michel Thiria ou une histoire de Metz dans les fulgurances du vitrail, Mémoires de l'Académie de Metz n°133, Académie Nationale de Metz 2005.
  • 3. Beaucoup plus tard, le sculpteur Henri Bouchard devait donner à sa statue du Poilu de Metz cette même attitude de vigilance impassible face à l'ennemi. Cf Marc HEILIG, Le Poilu de Metz, archeographe 2018 et Marc HEILIG, Frères d'armes, archeographe 2020.
  • 4. Voir Galerie 13. Cheminées.
  • 5. Christiane PIGNON-FELLER, Le Château de Mercy-lès-Metz ou la nostalgie de l'émigré, Le Pays Lorrain n° 86, 2005, p. 19. On remarquera toutefois l'absence du style Empire.
  • 6. On peut espérer que ces faux plafonds auront du moins préservé les stucs : on aura peut-être la bonne surprise de découvrir ces derniers intacts lorsqu'on procédera à la restauration du château.
  • 7. Voir Galerie 14. Boiseries.
  • 8. Plusieurs noms ont été proposés : Jules-Louis Rispal, Emmanuel Hannaux (1855-1934), sculpteur né à Metz qui s’était installé à Paris, ou encore Timoléon Guérin (1865-1947), sculpteur et aquarelliste lorrain qui avait été l’élève d’Auguste Dujardin, le sculpteur qui a tant travaillé à Metz durant l’Annexion, notamment pour la restauration de la cathédrale. Mais il pourrait aussi s’agir de quelqu’un d’autre car Maurice du Coëtlosquet a soutenu de nombreux artistes en tant que mécène. Cf Christian PIGNON-FELLER, Le château de Mercy ou la nostalgie de l’émigré, Pays Lorrain n°86, février 2005, p. 21.
  • 9. Ce catalogue a été retrouvé par Pascal Thiébaut, chercher à l'Inventaire. Cf. Christiane PIGNON-FELLER, Le Château de Mercy-lès-Metz ou la nostalgie de l'émigré, Le Pays Lorrain fév. 2005, p. 18.