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Des évêques prestigieux, et d’autres moins

Jusqu'à son démembrement, le diocèse de Toul connut une longue suite d'évêques, 91 en tout. Plusieurs d'entre eux furent inhumés dans la cathédrale. Le premier fut Ludhelm, puis vinrent Drogon, Berthold, Pierre du Châtelet1, et sans doute d’autres encore : on sait par exemple que Mgr André du Saussay et Mgr Scipion-Jérôme Bégon sont décédés à Toul2. Des monuments funéraires, au transept surtout, honorent le souvenir de certains de ces grands personnages3 : ce sont des dalles avec épitaphe encastrées dans le sol, comme celle de Saint Gérard, devant le chœur, ou le gisant de Saint Mansuy, qui est particulièrement remarquable. Dans la chapelle des Évêques reposent Mgr de Rochefort d’Ailly, qui l’avait fait construire4, et Mgr Claude de Drouas de Boussey5. Odon, 39e évêque de Toul de 1052 à 1069, fut d’abord enterré dans l’édifice, puis transféré à St-Gengoult à la demande des chanoines de cette église.

Les premiers évêques appartiennent à une époque où le christianisme devait encore s’affirmer face au paganisme finissant. Les miracles et les actes de légende leur composent une hagiographie qui leur permet de rivaliser et de supplanter les divinités païennes ; la vénération des reliques sanctifie les lieux qu’ils ont fréquentés. Mais, en réalité, nous ne savons quasiment rien d’eux. Par la suite, les prélats sont choisis pour la plupart dans des familles de haute noblesse. A Toul comme ailleurs jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, ce sont aussi des seigneurs qui doivent veiller à leurs privilèges et conserver leur territoire. Leurs fonctions religieuses s’effacent souvent devant celles du gouvernant, quitte à recourir à la guerre ou aux intrigues. Beaucoup, toutefois, ont su associer le spirituel au temporel et se montrer véritablement proches de leurs ouailles. Certains ont été canonisés6 : saint Mansuy, saint Amon, saint Èvre, saint Gauzelin, saint Gérard, saint Léon... Trois d’entre eux sont particulièrement célèbres.

Saint Mansuy (338-375) est le premier évêque de Toul qui soit mentionné. Au IVe s., sous l'empereur Constantin, il aurait été un évêque itinérant qui parcourait la province de Belgica Prima. A la fin de sa vie, il se serait établi à Toul, capitale de la cité des Leuques. Sa notoriété vient en particulier d’un événement prodigieux : il aurait ramené à la vie le fils du gouverneur romain qui s'était noyé dans la Moselle7. Ce miracle ouvrit la région à l’évangélisation et la dévotion populaire ne tarda pas à s'emparer des reliques du saint ; on l'invoquait surtout contre la lèpre.

On doit le renouveau du culte de Saint Mansuy à l'évêque de Toul saint Gauzelin. Il restaura la vieille église St-Pierre, située hors les murs dans un cimetière ; il y fit aménager une crypte avec les tombeaux de saint Mansuy et de son successeur saint Amon. L'évêque Gérard, comme on le verra, devait continuer cette œuvre de réhabilitation. Par la suite, le pape Léon IX, qui avait été évêque de Toul auparavant, authentifia le culte de saint Mansuy. En 1506, après plusieurs translations des reliques, Mgr Hugues des Hazards (1506-1517) préleva le chef du saint pour le placer dans un reliquaire qui est toujours conservé à la cathédrale. Le rituel du diocèse Toul célèbre la fête de Saint Mansuy le 3 septembre.

Saint Èvre, le 7e évêque de Toul, de 500 à 507, est invoqué contre les chutes. Il est célébré le 17 septembre. C’était un homme de loi avant de devenir prêtre et d’être formé par l’évêque de Troyes saint Loup. À la mort de l’évêque saint Ours, saint Èvre est élu au siège épiscopal de Toul. Fort apprécié de ses fidèles, il aurait donné tous ses biens aux pauvres et vécu dans l'austérité. Il a combattu le paganisme qui survivait dans les campagnes : il aurait en particulier prêché au sanctuaire de Grand, qui connaissait alors un nouvel essor.

Saint Èvre est connu pour avoir entrepris la construction d'une église dédiée à St Maurice, où il fut inhumé, selon sa volonté. L'évêque Frothaire en fit l'abbaye St-Èvre au IXe s. sous la règle de saint Benoît8. L’hagiographie de saint Èvre mentionne que de nombreux miracles s’y produisirent peu après sa mort. La présence des reliques du saint attira les pèlerins jusqu'aux troubles du Xe s. Conservées malgré les pillages, puis replacées dans l'église, elles furent dérobées par les moines de l’abbaye. Saint Gérard les fit restituer par après9.

Saint Gérard (963-994), le 33e évêque de Toul, succède à Gauzelin de 963 à sa mort. Canonisé en 1051, saint Gérard est fêté 23 avril, mais aussi le 21 octobre, jour anniversaire de la translation de ses reliques. Il est certainement le plus éminent des évêques de Toul. Né à Cologne en 935 dans une famille de haute noblesse, Gérard reçoit une excellente éducation. Il se sent appelé au sacerdoce alors qu'il est encore élève du chapitre de la cathédrale. Devenu prêtre, il tient la fonction de cellérier du chapitre et prêche dans les paroisses de la ville tout en poursuivant ses études. En 962, à la mort de l'évêque Gauzelin, le diocèse de Toul fait appel à l'archevêque de Cologne Brunon, frère de l'empereur Othon Ier et duc de Lotharingie, afin de pourvoir le siège épiscopal. Le chapitre de la cathédrale de Cologne lui propose le jeune chanoine Gérard. Celui-ci, après avoir d'abord refusé, n'accepte qu'à l'insistance de l'archevêque ; il est sacré le 29 mars 963 par l'archevêque de Trèves. Le nouvel évêque de Toul se montra d'une entière fidélité envers les empereurs du Saint-Empire et soutint l'action de l'archevêque Brunon, qui cherchait à uniformiser les cultes lotharingiens. Aussi les relations de l'évêque de Toul avec les nobles et les prélats de la région, comme l'évêque de Metz Thierry Ier, l'évêque de Langres Achard ou le duc de Haute-Lotharingie Frédéric Ier, furent-elles difficiles malgré l'appui des souverains ottoniens.

L'évêque Gérard est aussi renommé pour son attitude envers ses administrés. D'une grande humilité et d'une activité inlassable, il entreprit dès sa nomination de redresser son diocèse car la gestion de son prédécesseur, plutôt bon vivant, en avait affaibli le prestige aussi bien que les finances. Les nombreuses visites pastorales, partout dans son domaine, ont laissé de  saint Gérard le souvenir d'un voyageur infatigable. Sans doute prenait-il exemple sur saint Mansuy, auquel il était très attaché. Poursuivant l'œuvre de Gauzelin, Gérard remit en 965 la gestion du culte du tombeau et des reliques de saint Mansuy aux moines de l'abbaye St-Èvre. Et pour raviver plus encore la dévotion au premier évêque de Toul, il fit rédiger la Vie de Saint Mansuy par un écolâtre de cette abbaye.

Saint Léon IX, né Bruno d'Eguisheim-Dagsbourg en 1002, fut évêque de Toul avant de coiffer la tiare en 1049. Sa famille appartient à la très haute noblesse10. Son éducation, confiée à l’évêque de Toul Berthold, se déroule si brillamment qu’il entre très jeune encore au chapitre de la cathédrale. Il est alors séduit par la réforme de Gorze11, que soutient aussi son cousin l’empereur Conrad II. À la mort de l'évêque Hermann en 1026, Bruno, appuyé l’empereur, est proposé par le clergé pour lui succéder sur le siège épiscopal de Toul ; il est consacré par l’archevêque de Trèves la même année.

Durant son épiscopat, de 1026 à 1049, il mène une vie à la fois humble et pieuse, en accord avec le mouvement réformateur bénédictin de Cluny et de Gorze. Il s’attache au redressement moral des clercs de son évêché en combattant le nicolaïsme et la simonie. Aux yeux de l’empereur Henri III, ses qualités et ses vertus font de lui le parfait candidat pour le siège de Saint-Pierre : sous le nom de Léon IX, l’évêque de Toul est nommé pape par l’empereur en décembre 1048, mais n’accepte qu’en février 1049, après avoir été élu par le peuple de Rome. Comme dans son diocèse, le nouveau pape s’entoure de collaborateurs issus de la réforme bénédictine. Son pontificat est marqué par la réorganisation de l’administration et des finances du Saint-Siège, mais aussi par l’affirmation de la primauté du sacerdotal sur le laïque, et donc de l’autorité papale sur le pouvoir impérial. Il poursuit son œuvre en faveur d’un renouveau moral et lutte contre le clientélisme et les hérésies, notamment celle de Bérenger12. Le règne de Léon IX est néanmoins entaché par le schisme entre les Églises d’Orient et d’Occident. Il mourut en 1054 et fut inhumé dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Saint Léon IX fut canonisé par Victor III en 1087.

Quelques évêques de Toul, bien que l’Église ne les ait pas honorés comme saints, ont néanmoins exercé leur apostolat de façon fort honorable. On peut citer quelques exemples. Antimonde, qui aimait s’adonner à la prière, est connu pour la douceur de sa conduite ; Bornon emprunta de fortes sommes aux évêques de Metz et de Verdun pour reconstruire les habitations des miséreux de Toul. Plus proches de nous, Mgr Bégon faisait preuve d'une grande compassion envers les malades et les pauvres et venait en aide aux séminaristes nécessiteux. Son successeur, Mgr Drouas distribuait aux pauvres, lors des pénuries, du blé qu’il avait acheté ; il finança la retraite des prêtres de son diocèse ainsi que la création d’écoles de filles dans chaque paroisse et d’un collège à Toul13.

D'autres ont eu une carrière plus politique que religieuse. Le Cardinal Jean de Lorraine (1498-1550), qui reste à ce sujet le plus illustre exemple, est une personnalité hors du commun. Fils du duc de Lorraine et de Bar René II, il fut élevé à la cour de France avec son frère Claude, futur duc de Guise. Intime du roi François Ier, Jean de Lorraine assista en 1520 à l'entrevue du Camp du Drap d'Or et fut avec Anne de Montmorency14 l'un des hommes les plus puissants du royaume de France entre 1536 et 1540.

Destiné à l'état ecclésiastique, le Cardinal de Lorraine eut une carrière exceptionnelle. Il est nommé en 1501 – il n’avait que 3 ans ! - coadjuteur de son oncle Henri de Lorraine, évêque de Metz. Cardinal en 1518, il est appelé à diriger de nombreux évêchés et archevêchés15. Il fut évêque de Toul à trois reprises : de 1517 à 1524, de 1532 à 1537 et de 1542 à 1543. Ce haut personnage fut également pourvu de plusieurs abbayes, notamment Gorze, Varangéville, Cluny, Marmoutier, Saint-Mansuy-les-Toul... Il fut candidat au trône de Saint-Pierre en 1549, mais échoua de quatre voix face au futur Jules III. Comme beaucoup de personnalités de l’Église catholique de l’époque, Jean de Lorraine plaçait sa carrière politique bien avant ses fonctions religieuses, comme le montre son attitude envers son premier successeur, Mgr Hector de Rochefort d'Ally.

Mgr Hector de Rochefort d'Ally, 74e évêque de Toul de 1524 à 1532, est un autre exemple de ces évêques « politiques ». Il fut d’abord évêque de Bayonne de 1519 à 1524, mais il fut aussi, dès 1519, ambassadeur à Venise pour la mère de François Ier, Louise de Savoie. Sa carrière est ensuite liée au cardinal Jean de Lorraine : en 1524, à Rome, celui-ci lui céda l'administration spirituelle de son évêché de Toul, bien qu’il en conservât les revenus. La carrière de Rochefort d'Ally comprend aussi les fonctions de chancelier et président du conseil du duc Antoine de Lorraine et d’ambassadeur du duc auprès de Charles Quint et du pape Clément VII.

On peut aussi mentionner les évêques Eudolius, Teudefrid et Odon16, ou encore Nicolas-François de Lorraine, le 81e évêque de Toul, de 1624 à 1634. Frère du duc de Lorraine et de Bar Charles IV, il se fit relever de ses vœux pour lui succéder et pouvoir prendre épouse.

 

Certains évêques, enfin, ont mené une existence déplorable, fort éloignée de la dignité de leur fonction. Hermann était d’un caractère violent et belliqueux. Pibon fut non seulement accusé de simonie, mais vivait avec une femme dont il eut un fils ; il s’opposa avec obstination aux injonctions du pape Grégoire VII à réformer sa conduite17. Étienne François Xavier des Michels de Champorcin, enfin, qui fut le dernier évêque de Toul de 1773 à 1802, ne fut certes pas le plus populaire, puisque sa nomination avait pour condition, moyennant finances, qu’il accepte le démembrement de son diocèse !

  • 1. Ludhelm fut le 30e évêque de Toul, de 895 à 905 ; Drogon le 31e, de 905 à 921 ; Pierre du Châtelet le 77e, de 1565 à 1580.
  • 2. Mgr du Saussay fut le 85e évêque de Toul, de 1655 à 1675. Mgr Bégon, 89e évêque de Toul, exerça son épiscopat de 1723 à 1753.
  • 3. Les dalles funéraires constituent une grande partie du sol du transept et du cloître, où l’on en voit aussi encastrées dans les murs. Seules quelques-unes sont des épitaphes d’évêques ; la plupart sont celles de personnes dont la position justifiait qu’ils soient enterrés à cet emplacement prestigieux mais qui ont aujourd’hui disparu des mémoires.
  • 4. Le cœur de Mgr Hector de Rochefort d’Ally est resté à Nancy, où il est décédé ; sa sépulture de la cathédrale de Toul ne contient que son corps.
  • 5. Mgr Claude Drouas de Bussey fut le 90e évêque de Toul, de 1754 à 1773.
  • 6. L’Église s’est montrée assez large dans ses canonisations. Cela se comprend aisément pour les évêques des premiers siècles, dont la vie est parsemée de faits miraculeux, moins pour ceux des périodes suivantes. Saint Gauzelin (922-932), par exemple, bien qu’il ait donné un certain éclat à son diocèse, passe pour avoir été un personnage hédoniste et un piètre gestionnaire.
  • 7. Le sculpteur du cénotaphe de la cathédrale de Toul a choisi d'illustrer ce miracle en représentant l'enfant au pieds du gisant.
  • 8. Ami de l'empereur Louis le Pieux, l’évêque de Toul Frothaire était un ancien moine de Gorze.
  • 9. En 1802, Mgr de La Fare, évêque de Nancy, obtint le transfert du chef de saint Èpvre. Il l’installa dans une l’église qui précéda l’actuelle basilique Saint-Èpvre.
  • 10. Son père est comte de Nordgau et seigneur d’Eguisheim, sa mère est fille du comte de Dabo. La famille est en parenté avec les Carolingiens et les rois de Germanie ; elle comprend des comtes de Reims, des évêques de Metz et de Langres… Bruno d'Eguisheim-Dagsbourg est cousin des empereurs Conrad II et Henri III.
  • 11. À la fin du Xe s. l’abbaye de Gorze, à l’instigation de l’abbé Jean de Vandières, entreprend une grande réforme de la règle bénédictine qui s’étendra à de nombreux monastères dans tout le Saint-Empire.
  • 12. Le théologien de Tours Bérenger s’opposait à la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie et affirmait qu’il n’y est présent que spirituellement. Déjà condamné aux conciles de Rome et de Verceuil, puis au synode de Paris, Bérenger fut déféré en 1054 au concile de Tours et dut reconnaître que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ à la consécration.
  • 13. Antimonde (575-602) fut le 13e évêque de Toul, Bornon (767-794) le 25e.
  • 14. Les titres d’Anne de Montmorency (1493-1567) disent à eux seuls sa puissance et l’influence qu’il a exercée : connétable, duc et pair de France, maréchal puis grand maître de France, il fut en outre l’ami intime des rois François Ier et Henri II.
  • 15. Metz, Toul, Valence, Thérouanne, Verdun, Luçon, Narbonne, Reims, Albi, Lyon, Agen, Nantes. Il en céda néanmoins quelques-uns, comme Reims et Lyon. Il fut évêque de Metz par deux fois, de 1505 à 1543 et de 1548 à 1550.
  • 16. Eudolius est le 14e évêque de Toul, de 602 à 640 ; Teudefrid le 15e, de 640 à 653 ; Odon le 39e, de 1052 à 1069.
  • 17. Hermann fut le 37e évêque de Toul, de 1018 à 1026, Pibon le 40e, de 1070 à 1107.