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11 juin au 12 juillet

On me remit de plus, par ordre du Bureau de l'Amirauté, une foule de choses propres à augmenter l'industrie, & améliorer le sort des pays où nous relâcherions. Les deux Vaisseaux avoient d'ailleurs une cargaison assez considérable, d'outils & d'instruments de fers, de miroirs, de grains de verre, &c. que nous devions échanger contre des provisions ou donner en présent.

On s'occupa avec le même zèle de nos propres besoins. On sentit que les équipages ne seroient pas assez vêtus dans les climats froids ; on leur accorda plusieurs habits ; en un mot on ne nous refusa rien de ce qui pouvoit, à quelques égards, contribuer à notre santé ou nous procurer des agrémens.

11
Les soins extraordinaires des Lords de l'Amirauté, allèrent plus loin encore. Ils s'empressèrent de nous donner tous les moyens qui pouvoient rendre notre voyage utile à toutes les Nations. Ils nous envoyerent le 11plusieurs Instruments d'Astronomie & de Marine, que le Bureau des Longitudes voulut bien confier à moi & à M. King, mon second Lieutenant : nous promîmes l'un & l'autre de faire les Observations nécessaires aux progrès de l'Astronomie & de la Navigation, & de remplacer, à cet égard, l'Observateur de profession qu'on avoit d'abord voulu engager.Le Bureau des Longitudes m'accorda la montre marine, ou le garde-tems, que j'avois emporté dans mon second voyage, & qui nous avoit instruit d'une manière si exacte de la distance du premier méridien. Elle a été faite par M. Kendall, sur les principes de M. Harrison. Nous reconnûmes, le 11 à midi, qu'elle retardoit de 3' 31'' 890 sur le tems moyen à Gréenwich ; en général, elleretadoit par jour de 1' 209 sur le temps moyen.On mit à bord de la Découverte un garde-tems, & autant d'autres instruments d'observation, que nous en avions sur notre vaisseau ; on les confia à M. William Bayley, qui ayant donné, durant mon second voyage, des preuves de son zèle & de son talent sur l'Aventure, commandée par le Capitaine Furneaux, fut choisi pour l'Observateur du Capiataine Clerke.M. Anderson, mon Chirurgien, qui, aux connoissances de son Art, joignoit une grande instruction sur l'Histoire Naturelle, eut la bonté de se charger de décrire tout ce qu'on trouveroit digne d'attention dans la Botanique, la Minéralogie, le Regne animal, &c. Il étoit en état de bien faire ce travail ; il m'avoit accompagné dans mon second voyage ; il m'avoit rendu, à cet égard, des services distingués ; je lui devoit une foule de remarques utiles sur les hommes & sur les choses1, & je comptois beaucoup sur ses secours.Il y avoit parmi nos Officiers plusieurs jeunes gens, qui pouvoient, sous ma direction, être employés à faire des cartes, à prendre des vues des Côtes & des Caps, près desquels nous passerions, & à lever des plans, des Bayes & des Havres où mouilleroient nos vaisseaux. Je savois avec quelle attention infatigable je devois m'occuper de ce soin, si je voulois rendre nos découvertes utiles aux navigateurs.J'avois tous les moyens possibles de donner au Public une relation aussi amusante pour les gens du monde, qu'instructive pour les Marins & les Savans ; M. Webber, avec qui l'Amirauté prit des engagemens, s'embarqua sur la Résolution, afin de dessiner les scenes les plus remarquables, & de suppléer à l'imperfection de nos Journaux, en peignant aux yeux ce qu'il est mal-aisé de décrire dans un discours.

Nos préparatifs étant achevés, on m'ordonna de me rendre à Plimouth, & de prendre la Découverte sous mon commandement. Je donnai deux ordres au Capitaine Clerke, l'un de me reconnoître pour le Commandant en chef, & l'autre de conduire son vaisseau à Plimouth.

15
Le 15 la Résolution appareilla à Long-réach, suivi de la Découverte, & le soir, les deux vaisseaux mouillèrent au Nore. Le lendemain, la Découverte continua sa route ; mais, comme j'étois alors à Londres, j'ordonnai à la Résolution de m'attendre.Nous devions relâcher à O-Taïti, & aux Isles de la Société, avant de parcourir les parties septentrionales de la Mer du Sud, & de nous rendre à la côte d'Amérique,& le Roi voulut profiter de cette occasion, qui ne sembloit pas devoir jamais se retrouver, pour renvoyer Omaï dans sa patrie. Je partis de Londres avec Omaï, le 24 à six heures du matin ; nous arrivâmes à Chatam à dix heures ; le Commissaire Proby eut la bonté de nous donner à dîner, & son Yacht nous conduisit à Sheerneff, où ma chaloupe m'attendoit.Omaï quitta Londres avec un mélange de regrets & de satisfaction. Lorsque nous parlions de la Grande Bretagne, & de ceux qui, durant son séjour en Europe, l'avoient honoré de leur protection & de leur amitié, il étoit vivement ému & il avoit peine à retenir ses larmes. Mais ses yeux étinceloient de plaisir dès que les Isles de la Société devenoient la matière de notre conversation. Il étoit pénétré de l'accueil qu'il avoit reçu en Angleterre, et il avoit la plus haute idée de ce pays & de ses habitans, mais le tableau des richesses & des trésors qu'il étaleroit à son arrivée, & le flatteur espoir d'obtenir avec cette opulence une sorte de supériorité sur ses compatriotes, calmèrent peu-à-peu ses regrets, & il parut parfaitement heureux, lorsque nous montâmes à bord.Le Roi lui avait donné une quantité considérable de ces choses qu'on regarde comme d'utilité ou de luxe, dans les Isles de la Mer du Sud ; il avoit reçu d'ailleurs une foule de présens du même genre du Lord Sandwich, de M. Banks2, & de plusieus autres Anglois & Angloises de sa connoissance. Enfin, on n'avoit rien oublié durant son séjour à Londres, & on n'oublia rien à son départ, de ce qui pouvoit lui inspirer une haute idée de la grandeur & de la générosité de la nation Britannique.Tandis que la Résolution mouilloit au Nore, M. King fit plusieurs observations pour déterminer la longitude à l'aide du garde-tems. D'après le résultat moyen de toutes ses observations, le vaisseau se trouva à 44' 0'' de longitude ; ses calculs rapporté à Sheerneff par les relévemens & la distance estimée, annoncèrent que cette place est à 0d 37' 0'' Est du méridien de Gréenwich. M. Lyons, qui a observé cette position, avec la montre marine, embarquée sur le vaisseau du Lord Mulgrave, durant le voyage au pole Boréal, la place sept mille plus près. Ceux qui ont mesuré la distance entre Sheerneff & Gréenwich, peuvent dire laquelle de ces deux observations est exacte.Par un milieu de plusieurs observations faites avec des compas différens, la déclinaison de l'aiguille aimantée, étoit de 20d 37' Ouest.

Le 25, à midi, nous levâmes l'ancre avec une jolie brise du Nord-Ouest quart-Ouest, & nous fîmes voile pour les Dunes, en suivant le canal de la Reine Charlotte ; nous mouillâmes à neuf heures du soir ; le Foreland nord nous restoit au Sud-quart-Sud-Ouest, & la pointe de Margateau Sud-Ouest-quart-Sud.

Nous remîmes à la voile le lendemain au matin à deux heures, & nous doublâmes Foreland ; lorsqu'il nous restoit au Nord, déduction faite de la déclinaison de l'aiguille, la montre marine annonçoit 1d 24' Est de longitude ; en rapportant l'observation à Foreland, on trouvera 1d 21' pour la longitude de ce Cap. Les observations de lune faites le soir de la veille, le fixoient à 1d 20'.

26.
A huit heures du matin du même jour, nous mouillâmes aux Dunes. J'envoyai chercher tout de suite deux canots qu'on avoit construits pour nous à Deal. Un grand nombre de personnes s'étoient rassemblées sur le rivage, afin de voir Omaï qui ne descendit pas à terre.27.
Il s'éleva une brise légère du Sud-Sud-Est, & nous appareillâmes le lendemain à deux heures après-midi ; mais la brise s'éteignit bientôt, & nous fûmes obligés de mouiller, jusqu'à dix heures du soir. Le vent ayant passé à l'Est, nous descendîmes le canal.

30.
Le 30, à trois heures après-midi, nous mouillâmes dans le canal de Plimouth, où la Découverte n'étoit arrivée que trois jours auparavant. Je saluai de treize coups de canon, l'Amiral Amherst, dont le pavillon flottoit à bord de l'Océan ; & il me rendit le salut de onze coups.

1 & 2 Juillet.
On remplaça tout de suite l'eau & les vivres que nous avions consommés, & nous embarquâmes du vin de Porto ; ce travail nous occupa le premier & le second jour de juillet.On servit de la viande fraîche tous les jours aux équipages, & je ne rendrois pas justice à M. Ommaney, munitionnaire de la Marine, si j'oubliois de dire, qu'il nous donna des preuves du plus vif intérêt, & qu'il eut soin de nous fournir des provisions de la meilleure qualité : il avoit montré le même zèle, lorsque j'étois parti pour mon second voyage. Le commissaire Ourry ne nous témoigna pas moins d'amitié, & il nous envoya des magasins & des arsenaux, tout ce qui nous étoit nécessaire.1776.

Juillet.
Au moment où nous allions commencer un voyage, qui avoit pour objet de faire de nouvelles découvertes sur la côte Ouest de l'Amérique Septentrionale, l'Angleterre se trouvoit dans la malheureuse nécessité d'envoyer des escadres & de nombreuses troupes de terre, contre la partie orientale de ce continent, qui avoit été reconnue & peuplée par nos compatriotes dans le dernier siècle. Cette circonstance assez singulière m'inspira des réflexions douloureuses. Le 6, les vaisseaux du Roi, le Diamand, l'Ambuscade & la Licorne, & soixante-deux bâtimens de transports qui conduisoient en Amérique de la cavalerie, & la dernière division des troupes Hessoises, furent forcés par un gros vent du Nord-Ouest, de rentrer dans le canal.

8.
le 8, un courrier m'apporta mes instructions, 3, & un ordre d'appareiller tout de suite avec la Résolution, pour le Cap de Bonne Espérance ; l'Amirauté m'enjoignit de laisser au Capitaine Clerke un ordre de me suivre, dès qu'il auroit joint son vaisseau. Ses affaires le retenoient encore à Londres.L'Europe fut si frappée de la hardiesse éclairée, & du courage intrépide des navigateurs, qui découvrirent le nouveau monde, ou qui parcoururent les premiers l'Océan de l'Indeet la Mer du Sud, que leurs noms se transmettent à la postérité, avec toute la gloire des anciens Argonautes. Nous n'avons pas comme les peuples de l'antiquité, changé leurs vaisseaux en constellations, mais long-temps après leur retour, on alloit voir avec une sorte de respect les débris des bâtimens, qui avoient fait des navigations si longues & si périlleuses.

Quant à moi & mes braves camarades, qui vivons dans un siècle où l'art de la marine est très-perfectionné, qui profitons des travaux de nos prédécesseurs, & qui les suivons comme nos guides, nous ne devons pas aspirer à la même célébrité. Le public cependant croit devoir encore certains éloges, à ceux qui vont reconnoître les partie du globe, où les autres voyageurs ne sont point allés ; d'après cette prévention favorable, j'ai inséré, dans mon second voyage, les noms des Officiers de nos vaisseaux, & la liste de leurs équipages ; j'ai lieu de croire qu'on attend de moi les mêmes détails pour celui-ci.

La Résolution avoit le même nombre d'Officiers, de matelots, & de soldats de marine que dans son premier voyage4. Le complément de la Découverte étoit aussi le même que celui de l'Aventure, excepté seulement que dix soldats de marine qu'elle avoit à bord, s'y touvaient sans Officiers.

9.
Nous devions prendre à Plimouth les hommes qui nous manquoient, & le 9 nous reçûmes le détachement de soldats de marine, que nous donnoit l'Amirauté. Le Colonel Bell, qui commandoit la division de ce port, me choisit des hommes sains, courageux & robustes, dont je fus très-satisfait. Les matelots que ce renfort rendit inutiles, furent envoyés sur l'Ocean. Voici le nombre & le titre de ceux qui étoient à bord des deux vaisseaux.

10.
Le 10, le Commissaire & les Trésoriers vinrent à bord ; ils payèrent la solde des Officiers & des équipages, jusqu'au 30 du mois précédent ; les bas-officiers & les matelots reçurent en outre deux mois d'avance ; l'Amirauté leur accorde ordinairement cette petite grace. Elle voulut bien avoir les mêmes égards pour les Officiers supérieurs, & leur faire compter ce qui leur étoit dû ; elle crut qu'en nous donnant ces secours, nous serions plus en état de nous procurer les choses ncessaires durant ce voyage qui devroit être si long, & qui devoit nous conduire dans des pays, où nous ne trouverions au plus que des vivres.

11.
Je n'étois retenu dans le port, que par un vent contraire, qui souffloit avec violence du Sud-Ouest. Le 11 au matin, je remis à M. Burney, premier Lieutenant de la Découverte, un ordre qui enjoignoit au Capitaine Clerke d'appareiller ; j'en laissai une copie au Commandant de la Marine à Plimouth5. L'après-midi, le vent diminua ; nous mîmes à la voile avec le reflux, & nous dépassâmes tous les vaisseaux qui étoient dans le canal. Nous essayâmes inutilement de gagner la haute mer, il fallut attendre jusqu'au lendemain : durant cet intervalle, on nous apporta de l'eau, & la chaloupe qui fut chargée de ce service, reconduisit nos futailles au port.

12.
N'ayant pas imaginé que mon séjour à Plimouth dut être aussi long, je ne débarquai point nos instrument d'Astonomie, & on ne fit aucune observation pour déterminer la longitude à l'aide de la montre marine. M. Bayly ne s'occupa de ces objets qu'après s'être assuré que la Découverte appareilleroit plusieurs jours après nous. Il plaça alors son quart de cercle sur l'Isle de Drake ; &, avant que la Résolution mit à la voile, il eut le temps de faire les observations que je n'avois pas faites moi-même. Ma montre marine indiquoit 4d 14', & la sienne 4d 13' & demie à l'Ouest de Gréenwich, pour la longitude de cette Isle ; MM. Wales & Bayly reconnurent au commencement de mon second voyage qu'elle gît par 50d 21' 30'' de latitude Nord.Nous appareillâmes le soir, & nous sortîmes du canal, avec une jolie brise du Nord-Ouest-quart-Ouest.

  • 1. Par exemple, le Vocabulaire étendu de la langue d'O-Taïti, la comparaison des idiomes de plusieurs autres Isles, qui se touvent dans la Relation du second voyage de Cook, sont de M. Anderson.
  • 2. Aujourd'hui le Chevalier Banks.
  • 3. Ces instructions se trouvent dans l'introduction.
  • 4. Le premier voyage de la Résolution fut le second du Capitaine Cook.
  • 5. Au Capitaine le Craff. L'Amiral Amherst avoit abattu son pavillon quelques jours auparavant.