Introduction générale

L'esprit de découverte, qui produisit des expéditions si difficiles & si heureuses, durant le seizieme & le dix-septieme siecle, s'étant affoibli peu-à-peu, & même éteint pendant un tems considérable, commença à se ranimer dans la Grande-Bretagne, sous le dernier règne1, & la protection généreuse, & les secours accordés avec tant de magnificence par le Roi actuel, lui ont rendu toute l'activité qu'il eut autrefois.
Sa Majesté qui, immédiatement après son avènement au Trône, termina d'une manière si glorieuse les opérations destructives de la guerre, imagina des entreprises propres aux douceurs de la paix, & plus favorables à l'humanité, sans être moins brillantes. Non content d'encourager, en Angleterre tous les arts libéraux & toutes les recherches utiles, il étendit ses soins sur les objets qui exigeoient de longs voyages ; & ses vaisseaux, après être revenus triomphans de tous les pays du monde connus, furent employés à ouvrir des communications amicales, avec les îles que les Européens n'avoient pas encore reconnues.
Les expéditions, qui avoient un objet si digne d'une grande Nation commerçante, se suivirent de très près, & je puis ajouter avec une gradation régulière. Wallis2 & Cartaret3ne tardèrent pas à perfectionner l'ouvrage que Byron4avoit commencé. Ces succès firent entrevoir un plan de découverte beaucoup plus étendu, que M. Cook a exécuté dans ses deux premiers Voyages5 ; &, pour ne laisser que des détails peu importans aux générations futures, le même Capitaine dont l'habileté, en tout ce qui avoit rapport à la Marine, ne peut être comparée qu'à la persévérance éclairée & infatigable qu'il a toujours mis dans ses recherches, fut chargé, pour la troisieme fois, de suivre, ou plutôt d'achever la reconnoissance du Globe. Son troisieme Voyage, quoique le dernier, dans l'ordre des tems, n'est pas le moins considérable, relativement à l'étendue & à l'importance de son objet ; mais il a été le plus malheureux, puisqu'il a terminé les jours précieux de ce célebre Navigateur.
Lorsque des plans calculés pour le bien général, s'exécutent par des vues partielles & des motifs intéressés, il est naturel d'essayer de cacher aux autres Nations, une partie des avantages qu'un exposé complet de tout ce qu'on a découvert d'utile procureroit au Monde entier ; &, d'après ce principe, on a souvent, peut-être dans ce pays, ainsi que chez quelques uns de nos voisins, affecté de couvrir d'un voile, le résultat des expéditions qui avoient pour objet de reconnoître des portions inconnues du Globe. Il faut dire, à l'honneur du règne actuel, que l'Angleterre a aujourd'hui des vues plus généreuses ; les derniers Voyages entrepris par nos Navigateurs, devoient servir à tous les peuples de l'Europe, & même aux Peuples les plus éloignés qui s'adonnent au Commerce et à la Navigation, & on a eu la noblesse de dire au Public tout ce que savoit notre Amirauté. Le noble esprit, qui a ordonné ces différentes expéditions, a pris aussi des mesures, pour que le récit des découvertes fût écrit d'une manière authentique & fidele. Le Journal des cinq premiers Voyages autour du Monde, a été publié 6 par le Ministre de la Marine, de l'aveu de sa Majesté : nous publions, sous la même sanction, celui du sixième, dans lequel, noun-seulement on revient sur des terres découvertes antérieurement dans l'hémisphere austral ; mais où l'on parle de celles qu'on a trouvées dans l'hémisphere nord, en suivant une route qu'aucun Navigateur n'avoit encore suivi.
Comme ils sont tous partie d'un vaste plan, il est clair que les cinq premiers Voyages ont une liaison avec le dernier, & qu'une récapitulation exacte des vues qu'on s'étoit proposé en les ordonnant, & des découvertes qu'ils ont procuré, jettera beaucoup de jour sur celui-ci. Pour que le Lecteur se forme un idée exacte des lumières que donne l'Ouvrage dont je suis ici l'Editeur, il ne sera donc pas hors de propos d'exposer les articles qui se trouvent suffisamment éclaircis, & de disposer ces détails, de maniere qu'is offrent, sous un même point de vue, les divers résultats semés dans la collection volumineuse qui est déjà entre les mains du Public ; c'est-à-dire, les Journaux rédigés par le Docteur Hawkelsworth, & celui que le Capitaine Cook a écrit lui-même. En montrant ainsi ce qu'on avoit fait, on verra plus aisément ce qui restoit encore à faire, & on sentira que, quoique les vaisseaux Anglois eussent achevé cinq fois le tour du Globe dans l'espace de dix ans, il étoit cependant nécessaire d'ordonner un autre Voyage.
Ce précis, placé dans l'Introduction, aura un autre effet. Le plan de découvertes qui a donné lieu à tant d'expéditions successives, se trouvant, nous oserons le dire, exécuté en grande partie, la récapitulation que je vais faire, mettra l'Europe en état de rendre justice au vues généreuses qui en étoient l'objet, & je poserai des bases solides, sur lesquelles on pourra établir une réponse satisfaisante à ces hommes chagrins, & d'une malveillance grossière, qui demandent quelquefois : quels avantages ont retiré ou peuvent retirer le peuple qui a ordonné ces expéditions avec tant d'appareil, les peuplades qu'on est allé chercher dans leurs retraites, l'humanité, & les sciences en général ?
Les différens Voyages autour du Monde, entrepris, par ordre de Sa Majesté, avant celui dont on va lire le Journal, avoient pour but, de découvrir les portions de terre qui pouvoient se trouver dans les vastes mers dont tout l'hémisphere austral est revêtu.
On y avoit fait jusqu'à nos jours si peu de recherches ; ces recherches étoient si imparfaites, que, devenues publiques, elles avoient produit des incertitudes plutôt que donné des connoissances ; qu'elles avoient plus trompé les hommes crédules, que satisfait les savants judicieux ; qu'elles avoient introduit, dans la Géographie de la moitié de la surface de la terre, une multitude infinie de conjectures imaginées par des Spéculateurs qui se piquoient de deviner la disposition du Globe ; de sots contes transmis par une tradition obscure, ou des fictions inventées par des menteurs impudens.
Il eût été très-étonnant que cinq différentes expéditions, quelques-unes, par des routes peu connues & encore moins fréquentées, ne produisissent pas des découvertes très-utiles. Au reste, on va voir que les instructions de Sa Majesté ont été exécutées avec beaucoup d'intelligence, & que les Voyages multipliés de nos vaisseaux dans l'hémisphere austral, ont fort augmenté nos richesses Géographiques.

• 1. On fit deux Voyages pour découvrir un passage au Nord-Ouest, par la Baie d'Hudson. Le Capitaine Middleton exécuta le premier en 1741 & 1742, avec le vaisseau la Fournaise & la Pinque la Découverte. Les Capitaines Smith & Moore furent chargés du second, & on leur donna les vaisseaux le Dobbs & la Californie, armés par souscription en 1746 & 1747.
• 2. Le Capitaine Wallis commandoit le Dauphin & le Swalow. Il appareilla au mois de Juin 1764, & il revint en Angleterre au mois de Mai 1768.
• 3. Le Swalow, commandé par le Capitaine Cartaret, s'étant séparé du vaisseau du Capitaine Wallis, & la route différente qu'il suivit ayant produit des découvertes différentes, on le regarder comme un Voyage à part. Le Swalow fut de retour enAngleterre au mois de Mars 1769.
• 4. Le Capitaine Byron, aujourd'hui Amiral, commandoit le Dauphin et la Tamar. Il partit au mois de Juin 1764, & il revint dans les Ports d'Angleterre au mois de Mai 1768.
• 5. Le Capitaine Cook partit avec l'Endéavour au mois d'Avril 1768, & il fut de retour au mois de Juillet 1771. A son second Voyage, il commandoit la Résolution & l'Aventure ; il appareilla d'Angleterre au mois de Juillet 1772, & il fut de retour le 30 Juillet 1775.
• 6. L'histoire des quatre premiers Voyages rédigée par le Docteur Hawkelsworth, d'après les Journaux des divers Commandans, fut publiée en 1772, & elle forme, dans l'original, trois volumes in-4°. Le Capitaine Cook a écrit lui-même celle du cinquième ; elle a été imprimée en 1777, & elle forme, en Anglois, deux volumes in-4°.